Español English French Kwéyol

Crise : La « justice transitionnelle » pour faire face aux exactions massives en Haïti, prône le juriste Jacques Letang

P-au-P, 20 mars 2024 [AlterPresse] --- Le juriste Jacques Letang, président de la Fédération des barreaux d’Haïti (Fbh), prône l’approche de la « justice transitionnelle », face aux traumatismes causés par les violences armées qui ont fait des milliers de morts et blessés en Haïti durant les dernières années, à l’émission TiChèzBa diffusée sur AlterRadio 106.1 F.m. et diverses autres plateformes Internet, et suivie par l’agence en ligne AlterPresse.

La justice transitionnelle est « l’éventail complet des divers processus et mécanismes, mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation », selon l’Organisation des Nations unies (Onu).

C’est le moment de mettre en place en Haïti des mécanismes de justice transitionnelle en tant que « justice de rupture », car l’État s’est effondré, soutient Me Letang.

« Il est opportun d’établir une Commission de vérité, de réconciliation ou de justice, qui permettra de réparer les torts commis et de châtier les auteurs de crimes, dans un souci de pacification de la société. »

Tout en sachant, précise-t-il, que cette structure sera un dispositif spécial qui ne remplacera pas la justice étatique ou traditionnelle.

Crise de l’État, crise de la justice

« La crise, que vit Haïti ces derniers temps, est la résultante d’une justice, qui était totalement absente de sa mission régalienne », déclare Jacques Letang.

La justice, qui n’a pas pu remplir sa mission avec efficacité, a permis, au fur et à mesure, aux bandits armés de gagner du terrain et de régner en maîtres, fait-il remarquer.

La crise a abouti à l’effondrement total de l’État, un processus qui a débuté depuis plusieurs années. Car, il n’y a jamais eu d’élections dans le pays pour renouveler le personnel politique, analyse-t-il.

La Fédération des barreaux d’Haïti (Fbh) fait état d’un vide parlementaire et présidentiel ainsi que d’un dysfonctionnement de la justice.

Haïti fait face à une grave crise politique, sécuritaire et humanitaire depuis l’assassinat, le mercredi 7 juillet 2021, de Jovenel Moïse.

Les forces de sécurité sont dépassées par la violence des gangs armés, qui ont pris le contrôle de pans entiers du pays, y compris de la capitale, Port-au-Prince.

Depuis le jeudi 29 février 2024, des gangs armés, qui réclamaient la démission du premier ministre de facto, Ariel Henry, ont attaqué des sites stratégiques comme l’aéroport international de Port-au-Prince.

Poser le problème des gangs armés

Tout nouveau pouvoir doit poser le problème des gangs armés en Haïti, estime le parti politique Grand rassemblement pour l’évolution d’Haïti (Greh).

Le parti politique Greh demande de prendre en compte la problématique de la violence armée dans toutes perspectives de solution à la crise, qui secoue Haïti, en proie à une escalade d’attaques de gangs sur la capitale depuis le 29 février 2024.

Dans la mise en place du prochain pouvoir, cette question doit être à l’ordre du jour des discussions, souligne le président du parti politique Greh, l’ancien colonel Himmler Rébu, dans une interview spéciale diffusée sur AlterRadio 106.1 F.m. et diverses autres plateformes Internet.

L’ancien titulaire (24 mars 1999 - 2 mars 2001) du Ministère de la justice et de la sécurité publique (Mjsp), Me. Camille Leblanc, préconise de désarmer les gangs armés, qui sèment la terreur en Haïti, et de les juger pour leurs actes, dans une autre interview spéciale sur AlterPresse et AlterRadio.

Les chefs de gangs armés, qui ont des dossiers lourds, peuvent se rendre volontairement à l’État, qui les désarmera, pour qu’ils soient jugés, souhaite Me. Camille Leblanc.

Il suggère aussi d’identifier les moyens de désarmer les milliers de jeunes, qui font partie de ces gangs armés, et de les intégrer dans des processus de formation.

La question des gangs armés, qui mettent Port-au-Prince à feu et à sang, est devenue un sujet de débats et de discussions très en vogue, ces temps-ci.

Après cette démonstration de force des gangs armés, l’ancien officier de police Guy Philippe a avancé qu’il serait prêt à implémenter un programme d’amnistie pour les chefs de gangs en Haïti, une fois élu président, dans une interview donnée à l’agence Reuters.

Guy Philippe déclare prôner une « révolution » dite « pacifique ».

C’est le jeudi 30 novembre 2023 que l’ancien officier de police, Guy Philippe, 55 ans (né le 29 février 1968), a été déporté vers Haïti, à bord d’un vol avec plus d’une douzaine d’autres personnes.

Il a purgé une peine d’emprisonnement de 6 ans, aux États-Unis d’Amérique, pour blanchiment d’argent lié au trafic illicite de drogue, après son arrestation à Pétionville le jeudi 5 janvier 2017.

La faillite

L’État n’a plus le contrôle du territoire, de ses institutions, de la puissance publique, ni du monopole de la violence, regrette par ailleurs, le président de la Fédération des barreaux d’Haïti (Fbh).

La police, principale force publique, fait face à un problème d’effectifs et de bonne gouvernance, donnant l’impression de se détacher de sa mission première, qui est de protéger et de servir, relève-t-il.

« Si la justice fonctionnait en tant qu’institution régalienne, avec un pouvoir judiciaire fort, indépendant, impartial, les sanctions auraient été prises. Le règne de l’impunité n’aurait pas eu le temps de se perpétuer et on n’aurait pas à faire face à ce règne de violence », affirme Letang.

L’échec de la justice vient du fait que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (Cspj) n’a pas véritablement rempli sa mission, qui est de garantir l’indépendance des juges et protéger le droit des citoyennes et citoyens, explique-t-il.

« Le Cspj et le Ministère de la justice devraient co-administrer la justice pour garantir une sécurité juridique aux citoyennes et citoyens. Mais, depuis quelques années, il existe une perte de confiance totale en la justice, par les citoyennes et citoyens cherchent à obtenir justice par voie détournée ».

« On a un système judiciaire instrumentalisé, manipulé, tantôt par le pouvoir économique, tantôt par le pouvoir politique. Ce qui conduit à une société fragilisée, au bord de l’explosion et à beaucoup d’inégalités », insiste le juriste Jacques Letang. [mff emb rc apr 21/03/2024 12:25]