Par Gotson Pierre
P-au-P., 7 mars 2024 [AlterPresse] --- Les responsables américains se montrent désormais très inquiets face à l’ampleur de la crise particulièrement sécuritaire et politique qui terrasse Haïti, où l’emprise des gangs sur la capitale tend à être totale, observe AlterPresse.
« La situation en Haïti est aussi critique que celle à laquelle nous sommes confrontés dans le monde entier » et « nous devons agir le plus rapidement possible », s’alarme un responsable du département d’État.
Il a accepté, sous couvert de l’anonymat, de se confier à des journalistes travaillant pour le quotidien Miami Herald, qui rapporte ses propos.
Actuellement, les questions sur le tapis à Washington concernent l’urgence du déploiement de la Mission multinationale de sécurité que doit conduire le Kenya en Haïti. Elles sont relatives aussi à une formule de sortie de l’impasse politique, alors que le premier ministre de facto est bloqué à Porto Rico, État associé des États-Unis, dans la Caraïbe.
Dans les conditions actuelles, un effondrement total de la police n’est pas à écarter, estiment des membres de l’administration américaine.
Peu visibles dans les rues, les agents arrivent difficilement à contenir l’avancée des gangs. Depuis le début de l’offensive des bandits, qui réclament la démission du chef de gouvernement de facto, au moins une dizaine d’infrastructures policières ont été attaquées, incendiées ou occupées par les gangs, selon un décompte non officiel.
A plusieurs reprises, la police a battu en retraite et au moins 6 policiers ont été tués et 2 autres blessés depuis le début du violent mouvement coordonné des gangs, le 29 février dernier.
A présent, vu l’étendu des actions et la puissance de feu démontré par les gangs. les Américains se demandent si la Mission multinationale planifiée de longue date pour fournir des renforts à la police va suffire.
Ils craindraient même que le pays passe complètement sous le contrôle des gangs, d’après ce qu’on peut lire dans les colonnes du quotidien de Floride.
La police se trouve dans une situation d’autant plus fragile que le gouvernement est actuellement très faible, en l’absence notamment du premier ministre de facto.
Suivant les considérations rapportées, un vide potentiel du pouvoir et un effondrement du gouvernement déjà très impopulaire, risquent de saper le peu de moral qui reste parmi les forces de police. Dans une telle éventualité, la police pourrait être encore moins motivée.
« Le gouvernement pourrait tomber à tout moment… Si la police ne peut plus jouer le rôle de contre-force efficace, si nous voyons l’aéroport (international Toussaint Louverture) ou le palais présidentiel tomber, c’est fini. »
L’administration Biden travaille d’arrache-pied pour accélérer et voir se concrétiser le déploiement de la Mission multinationale de sécurité.
Mais désormais, dans le contexte actuel, le nombre de policiers à déployer devient un sujet crucial de réflexion. Les Américains se demandent si les 1.000 policiers que s’engage à fournir le Kenya feront une vraie différence sur le terrain.
Le scepticisme monte : il est peu probable que l’ajout de 1.000 bottes supplémentaires sur le terrain - même si elles sont bien armées, bien entraînées et déployées immédiatement - réponde aux exigences de la crise, lit-on dans l’article du Herald.
Ces inquiétudes sont partagées au niveau de l’Onu, où le Conseil de sécurité tenait, le 6 mars, une réunion à huis clos sur la crise haïtienne.
« La situation à Port-au-Prince reste extrêmement fragile, car les attaques sporadiques se sont poursuivies et tous les vols à destination et en provenance d’Haïti demeurent annulés », a déclaré Stephane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres.
A l’Onu, on est à se demander si véritablement la Mission multinationale de sécurité, en partenariat avec la police haïtienne, aura l’effectif qu’il faut, pour pouvoir récupérer l’une ou l’autre des infrastructures critiques déjà sous le contrôle des gangs, ou bien les quartiers investis par les gangs.
Bien que la taille totale de la force ait été estimée à environ 2.500 policiers, ni les Nations-unies ni les États-Unis n’ont donné de précision sur le nombre d’agents de police qui seraient impliqués dans l’ensemble de l’opération, souligne le journal.
Pour le moment, seulement cinq pays, en plus du Kenya, ont confirmé qu’ils contribueraient des effectifs au sein de la Mission.
Voilà toute une série d’aspects qui restent à éclaircir et les dirigeants américains et onusiens savent qu’il ont très peu de temps pour le faire. D’où des réunions à tout moment, au niveau de l’Onu, des dirigeants de la Maison Blanche et du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, avec la participation directe du secrétaire d’État Anthony Blinken.
« De combien de temps disposons-nous ? C’était urgent il y a deux ans, c’est incroyablement urgent maintenant. Chaque jour est trop long », a déclaré un haut responsable de l’administration américaine, citée par le Miami Herald.
Tout cela, serait-ce la conséquence de ce que certains qualifient de laxisme de la part de la communauté internationale, qui durant plus de deux ans, n’aurait pas su capter les signaux de dégradation accélérée de la situation, alors que l’avancée des gangs sautait aux yeux ?
Que dire de la classe politique haïtienne qui a toujours donné l’impression d’avoir tout son temps et qui n’a pas semblé vouloir faire preuve de sens de compromis patriotique au bénéfice du progrès de la société ?
Ayant perdu confiance en Ariel Henry, les responsables américains et les dirigeants de la Communauté économique de la Caraïbe (Caricom) ont fait pression pour que le premier ministre de facto, actuellement en difficulté à Porto-Rico, cède le pouvoir à un gouvernement de transition et démissionne.
Mais, entretemps, à Port-au-Prince, c’est la croix et la bannière pour la Caricom, qui ne fait qu’essuyer des échecs dans ses tentatives de conduire avec les protagonistes haïtiens des pourparlers de dernière minute.
Officiellement, la Caricom appelle de tous ses vœux « une quelconque forme de consensus entre le gouvernement et les parties prenantes respectives de l’opposition, du secteur privé, de la société civile et des organisations religieuses ».
Si simple, si compliqué. [gp apr 07/03/2024 19 :00]