Par Leslie Péan*
Soumis à AlterPresse le 5 février 2024
La peur a changé de camp. La panique s’est emparée de Port-au-Prince. L’étau se referme sur Ariel Henry qui ne se contente plus de réduire Haïti à l’état de jungle depuis tantôt trois ans, en dehors de toute légalité et de toute légitimité, sans pouvoir exécutif élu, sans parlement, sans pouvoir judiciaire. La crise s’est généralisée et le gouvernement de facto d’Ariel Henry est dans ses derniers retranchements. La tension monte et bientôt la pénurie risque de s’installer partout. Industriels et commerçants sont menacés de faillite.
Le pouvoir a créé des gangs pour intimider le peuple afin qu’il ait peur et ne revendique pas ses droits. Cela ne règle pas le problème. Au contraire, l’insécurité attise les feux de la révolte qui s’est répandue dans sept sur dix départements. Le gouvernement ne peut plus revoir sa copie et adopter des mesures d’urgence. Le moment est venu d’appeler à la responsabilité de chacune et de chacun. En attendant l’arrivée des troupes armées de la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP) alliée à l’ancien sénateur et chef rebelle Guy Philippe, les mouvements de mobilisation populaire conduits d’un côté par Jean-Charles Moïse, ex-maire de Milot et de l’autre par le syndicaliste Rosemond Jean [1] ont pris les devants et manifestent à la capitale. La forme ultime que prennent les luttes est la manifestation devant la résidence d’Ariel Henry le 4 février. Les policiers du Corps d’Intervention et de Maintien de l’Ordre (CIMO) ont lancé du gaz lacrymogène et sont vite repartis. La manifestation ne les regardait ni de près ni de loin. Entre ces grandes mouvances, les mouvements politiques classiques se décident timidement sur quel pied danser tout en préparant le plan de relance nécessaire pour faire face à la faillite d’une décennie du PHTK.
La plus grande participation dans la bataille des rues est nécessaire pour rallier les dernières forces de la police et de l’armée et contraindre le gouvernement d’Ariel Henry à fermer boutique. On ne peut qu’inviter tout le monde à franchir ce pas pour démanteler les derniers espaces de ce gouvernement fantoche car nous sommes tous dans le même bateau. Daniel Foote, ex-envoyé spécial américain en Haïti, a déjà tiré le signal d’alarme en déclarant : « Ariel Henry doit démissionner ou être évincé du pouvoir » [2]. Insistant que le renversement est la solution, le diplomate américain continue : « Dr. Henry, renoncez à votre rôle illégitime de Premier Ministre par intérim. Vous avez échoué le peuple haïtien, et tout nouvel épisode de souffrance vous sera imputable si vous résistez » [3].
L’heure est à la colère. Et pour cause. Le gouvernement américain doit comprendre qu’il est de son intérêt de laisser les Haïtiens choisir eux-mêmes leurs dirigeants. Il faut cesser de s’immiscer dans les résultats électoraux et imposer un voyou de la trempe de Michel Martelly pour les diriger comme ce fut le cas avec les élections sous le président René Préval en 2010 en les menaçant de couper leur aide financière. Car même quand ils se courbent, le cœur n’y est pas. La violation de la dignité des personnes avec de l’argent est la pire des politiques [4].
*Économiste, écrivain
[1] Rosemond Jean anonse yon jounen manifestasyon pou prepare rantre Guy Philippe nan kapital la, Tele Ginen, 30 janvier 2024
[2] Daniel Foote, Interview avec Rhinews par Franckyin B. Geffrard, Miami, 4 février, 2024.
[3] Idem.
[4] Michael J. Seidel, What Money Can’t Buy : The Moral Limits of Markets, Harvard University Presss, 2012.