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Reportage-Photo : Haiti triomphe aux francopholies de Montréal

Du 26 juillet au 6 août prochain, au Canada, on célèbre le festival international "Les Francofolies de Montréal". Le premier week-end de cette manifestation reconnue mondialement a été marqué par une forte participation de groupes haïtiens qui ont remporté un franc succès auprès du public québécois. Le reportage de Nancy Roc depuis Montréal :

Collaboration de Nancy Roc

Montréal, 06 aout 05 [AlterPresse] --- Haïti était à l’honneur ce 30 juillet sur la célèbre Place des Arts des Francofolies de Montréal avec la participation de vedettes de la musique haïtienne telles que Michaà« l Benjamin et Luck Mervil. Le premier, rebaptisé Mica par le célèbre critique musical du quotidien La Presse de Montréal Alain Brunet, a été qualifié par ce dernier de ‘’nouvelle pop créole et d’espoir de la musique créole’’. « Ce jeune haïtien (en l’occurrence Michaà« l benjamin), écrit Alain Brunet, a le potentiel des authentiques hitmakers. (...) Il rajeunit le kompa, musique populaire par excellence en Haïti, l’actualise en y greffant une variété de genres musicaux prisés par sa génération. Emaillée de quelques rimes francophones et anglophones, cette nouvelle pop créole a tout ce qu’il faut pour conquérir la jeunesse haïtienne et plus encore’’, dixit Alain Brunet de La Presse de Montréal qui souligne que dans la musique de Michaà« l Benjamin ‘’rien n’est trop pointu pour effrayer le grand public, on y trouve assez d’éléments romantiques pour faire frémir la gent féminine et tout est assez honnête pour convaincre (provisoirement peut-être) des légions d’allergiques à la pop préfabriquée et surdiffusée ».

Logo des Francofolies.
Mica sur la scene Ford Focus de la Place des Arts

Et de fait, dans la soirée du 30 juillet dernier, le public hétéroclite de La Place des Arts a été séduit par ce jeune artiste haïtien de 24 ans qui vit entre Pétion Ville et Montréal depuis plusieurs années et qui insiste sur le fait que, même s’il vit entre ciel et terre entre ces deux villes, il est avant tout Haïtien et chez lui, c’est d’abord Haïti. Samedi dernier, lors d’un concert de 60 minutes, Mica a séduit le public québécois mais aussi les nombreux Haïtiens présents à travers son rythme cadencé variant entre la soul music, le hip hop, le R&B, le reggae et le kompa.

Vue partielle du public
Vue de la scene Ford Focus sur la Place des Arts

Le moins que l’on puisse dire c’est que La Place des Arts des Francofolies de Montréal aura permis à ce jeune musicien et chanteur de faire ses preuves sur scène et de démontrer non seulement son naturel pop mais également son aisance sur scène. Michaà« l Benjamin est désormais un talent confirmé et il lui faudra à présent assurer le suivi de son succès tant en Haïti avec son groupe Krazy Mizik qu’au Canada avec son groupe montréalais. Son prochain CD live en préparation sera donc un test important dans ce tournant de sa carrière et la sortie de son prochain album est prévue pour février prochain nous a-t-il confié.

Luck Mervil en concert

De son côté, Luck Mervil, connu pour son engagement humanitaire, a électrisé le public présent en chantant uniquement des interprétations créoles tirées de son dernier album à grand succès intitulé ‘’Ti peyi la’’, dédié à Haïti. Chouchouté par le public québécois et connu comme ‘’bête de scène’’, Luck Mervil n’a eu aucune difficulté a entraîné plusieurs milliers de spectateurs a danser le kompa et même le rara. Il était accompagné d’excellents musiciens sur scène parmi lesquels Toto Laraque que nous avons eu le grand plaisir de revoir à Montréal, pareil à lui-même : virtuose de la guitare et toujours de bonne humeur.

Luck Mervil en concert

Contrairement à Michaà« l Benjamin qui revendique sa neutralité politique, Luck Mervil n’a pas hésité a nous confier ses préoccupations quant à la situation politique en Haïti. Sur la scène Ford Focus de la Place des Arts comme à notre micro, Luck Mervil a déclaré que, selon lui, la situation allait s’empirer en Haïti.

Nancy Roc interviewant Luck Mervil

Le célèbre chanteur haïtiano québécois Luck Mervil qui revenait tout juste d’un voyage au Rwanda comme porte-parole officiel de l’Association CECI (Centre d’Education et de Coopération Internationale) qu’il avait contacté l’année dernière pour recueillir près de 4 millions de dollars canadiens pour les victimes de la tempête Jeanne aux Gonaïves n’a pas hésité à déclarer que « Tous les gens essayent de partir d’Haïti car le pays est ‘’tête en bas’’. Ce qui se passe en Haïti se passe un peu partout et surtout en Amérique Latine. le problème d’Haïti est une question internationale. Ici on dit qu’il n’y a plus d’ Haïtiens dans les prisons de Montréal. Pourquoi ? Parce qu’ils ont tous été déportés et ceci est très grave pour notre société car il n’y a pas d’infrastructures anti-criminelles en Haïti. J’ai l’impression que ces déportés qui sont très bien rôdés ont contribué à l’accentuation de la violence en Haïti et au phénomène du kidnapping ».

Luck Mervil signant des autographes aux Francofolies

« D’autre part, le combat qui se tient en Haïti en ce moment est comme celui de David et Goliath, a-t-il déclaré en soulignant qu’Haïti est une plaque tournante de la drogue où transitent près de 20 milliards de drogue et de cocaïne par an alors que la cocaïne n’est pas produite en Haïti. Le chaos haïtien est donc utile aux personnes qui l’utilisent à dessein pour protéger leurs intérêts : c’est un chaos organisé qui n’est pas uniquement haïtien. Il y a des gens qui pensent que le plus grand problème c’est les armes ou le pétrole. Non, c’est le sucre. Le sucre a le plus grand lobby aux Etats Unis et le plus d’appui au niveau gouvernemental. Il n’y a rien sans sucre : ketchup, coca cola, Mac Donald. Or ce sucre provient des pays du sud. Si Haïti reste ainsi, nos compatriotes continueront à traverser la frontière pour trouver un bien être ailleurs. Le jour où l’on trouvera une solution pour Haïti, on la trouvera aussi pour l’Afrique ou d’autres pays car ce sont les mêmes personnes qui dirigent ce chaos mondial international. Le monde a tendance a retourné vers la droite, et une droite conservatrice et c’est terrible pour les pays du sud car les riches vont devenir plus riches et les pauvres encore plus pauvres. ».

Luck Mervil et Nancy Roc

Luck Mercil revenait tout juste d’un voyage effectué au Rwanda où il a participé au tournage d’un film intitulé ‘’Un dimanche à Kigali’’, une adaptation du roman de Gilles Courtemanche et réalisé par le québécois Robert Faveau. Ce périple où le génocide de 1994 a fait un million de morts en trois mois a beaucoup marqué le chanteur : « Cette année je vais voyager dans les 4 coins de l’Afrique et aux Indes. Au Rwanda, le génocide a laissé des souvenirs terribles et j’y ai ressenti le malheur et le trouble des gens même si cela fait 11 ans que le génocide a eu lieu. Plus d’un million de personnes ont été tuées à coups de machettes. Où sont les coupables ? Or ce pays a la même population qu’Haïti et il faudrait que nous tirions une leçon de ce qui est arrivé au Rwanda avant qu’il ne soit trop tard ’’a-t-il déclaré.

Vue partielle du public

Quant à la position du Canada par rapport à Haïti, Luck Mervil n’a pas été tendre envers son pays d’adoption. Pour le chanteur vedette québécois, il ne voit pas de solution durable pour Haïti à travers les prochaines élections prônées par le Canada et pense que l’implication de ce pays dans la crise haïtienne est uniquement motivée par un souci électoral par rapport à l’importance grandissante de la diaspora haïtienne à Montréal et par le fait que le Canada se conduit comme un ‘’sous fifre’’ des Etats-Unis.

Toto Laraque accompagnant Luck Mervil sur scene

Sur scène, Luck Mervil était accompagné de son frère et de sa sœur mais également du guitariste Toto Laraque qui a quitté Haïti pour immigrer au Canada il y a déjà 5 ans. Toto nous a confié qu’il collabore désormais régulièrement avec Luck Mervil et a participé aux deux derniers albums de ce dernier, Mezanmy et Ti peyi’a. Toto Laraque a également participé pour la troisième fois consécutive cette année au prestigieux Festival de Jazz de Montréal avec son groupe Harmonic Five. L’année dernière il avait été sélectionné parmi 300 guitaristes pour faire partie finalement des 6 musiciens sélectionnés pour ce Festival. Un honneur pour notre compatriote autant que pour la culture haïtienne. Son dernier album s’intitule ‘’Le Passage’’ et est déjà diffusé sur les ondes des radios haïtiennes.

Toto Laraque egal a lui-meme

Enfin, signalons que d’autres artistes tels que le groupe Jahnesta et Azor ont également performé aux Francofolies mais sur d’autres scènes moins mythiques que celle de la Place des Arts. [nr apr 06/08/05 00:15]