Par Pierre Philor Saint-Fleur
P-au-P., 11 janv. 2024 [AlterPresse] --- La république d’Haïti devient de plus en plus vulnérable, 14 ans après le tremblement de terre meurtrier et dévastateur du mardi 12 janvier 2010, signale le directeur général du Bureau des mines et de l’énergie (Bme), l’ingénieur-géologue Claude Preptit, dans une interview accordée à la plateforme AlterPresse/AlterRadio.
Les nombreuses recommandations sur les comportements à adopter, les modes appropriés pour construire les maisons et les bâtiments publics, la cartographie sismique du pays, les caractéristiques du sous-sol, etc., ne sont toujours pas mises en application, 14 ans après ce séisme (12 janvier 2010- 12 janvier 2024), regrette-t-il.
Le tremblement de terre a fait plus de 280 mille morts, 300 mille blessés et 1,3 million de sans-abris dans la capitale Port-au-Prince, dans la zone des Palmes (Léogâne, Grand-Goâve, Petit-Goâve) et dans la ville de Jacmel (département du Sud Est), selon l’Organisation des Nations unies (Onu).
Manque de suivis liés aux travaux de recherche sismologique
Claude Preptit fustige l’attitude des institutions, de leurs dirigeantes et dirigeants, qui n’ont jamais pris les mesures nécessaires pour faire le suivi de ces travaux de recherche, pour la réalisation desquels de fortes sommes d’argent ont été déboursées.
« 14 ans après, la situation sismique reste pratiquement inchangée. La menace reste telle qu’elle a été, avant même cette date cauchemardesque du 12 janvier 2010 », fait-il remarquer.
« Ce qui a changé, c’est la vulnérabilité de la population qui s’accentue davantage. 14 ans plus tard, nous devons prendre des mesures pour agir et réduire la vulnérabilité. Je ne crois pas que nous atteignons cet objectif, malgré les nombreuses études sur la question sismique en Haïti et sur les mesures à prendre pour mieux préparer la population face à un éventuel puissant séisme ».
Claude Preptit souligne combien « la sismicité en Haïti est élevée, à cause des différentes failles qui traversent le territoire national ».
« Les études ont été conduites. Mais, les conclusions et recommandations sont restées enfermées dans les tiroirs des ministères et institutions, chargés de les mettre en application. Et cela est un drame majeur », relève l’ingénieur-géologue.
« Nous ne sommes pas allés jusqu’au bout dans la gestion du problème. Nous avons comme l’impression que rien n’a été fait en termes de recherche, à cause de la non vulgarisation des conclusions. Mais, cette impression n’est pas vraie. Avant le 12 janvier 2010, nous avions peu d’informations sur les failles sismiques. 14 ans plus tard, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, grâce à des études réalisées avec le support du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), nous connaissons, avec de bonnes précisions, les caractéristiques de la géologie nationale, grâce à des études dans les départements de la Grande Anse et des Nippes (Sud-Ouest) et du Nord-Ouest ».
« Grâce à des études de microzonage, réalisées après 2010, nous connaissons l’état du sol dans les communes de Port-au-Prince, Tabarre, Pétionville, Delmas et Cité Soleil dans le département de l’Ouest. Ces étude de microzonage ont permis également de connaître l’état du sol et la sismicité des principales grandes villes du Grand Nord, à savoir Cap-Haïtien (département du Nord), Port-de-Paix, Saint-Louis du Nord (Nord-Ouest), Fort Liberté et Ouanaminthe (Nord-Est). Ces études ont également permis d’évaluer l’état des propriétés bâties, l’état du sol. Toutes ces données sont restées dans les tiroirs », continue-t-il.
Quid du code national de construction ?
« Deux ans après le cataclysme du 12 janvier 2010, nous avions élaboré un code national de construction. Jusque-là, peu de gens connaissent son existence. Ne parlons pas de sa mise en application dans les projets de constructions », note Preptit.
« En matière de formation des professionnelles et professionnels de construction et d’éducation dans les écoles, nous n’en avons pas fait assez », se désole-t-il.
Exercices de simulation pour préparer la population à l’éventualité de séismes et de tsunamis
« Des exercices de simulation (Simex) sont faits, particulièrement dans le Grand Nord, pour mieux préparer la population. Mais, nous n’en avons pas fait assez. C’est dommage que nous soyons restés là », considère le spécialiste en géologie.
Toutefois, l’ingénieur Claude Preptit reconnait combien des avancées significatives ont été enregistrées dans la surveillance sismique, grâce à l’installation des appareils permettant de communiquer régulièrement les activités sismiques sur le territoire national.
« Ces appareils sont là, mais ils ne sont pas suffisants. Car, il en faudrait plus et réparer ceux qui sont en service depuis des années ».
Conséquences de la terreur des gangs armés sur les opérations de surveillance sismique en Haïti
Le climat de terreur des gangs armée empêche les techniciennes et techniciens de faire la maintenance de ces appareils dans certaines zones du pays.
De surcroit, des panneaux solaires, placés pour alimenter les centres en électricité, sont volés. Les bâtiments sont en mauvais état sans oublier le maigre budget mis à disposition pour conserver les acquis de l’Unité technique de sismologie (Uts).
De la préparation de la gestion des risques sismiques
Aucun pays n’est pas prêt à 100% pour faire face aux éventuels puissants séismes, selon le directeur général du Bme, prenant l’exemple du Japon, qui vient d’être frappé, le premier janvier 2024, par un tremblement de terre de magnitude 7.6, ayant causée la mort de plus d’une cinquantaine de personnes, ayant provoqué des glissements de terrain et ayant fait effondrer bâtiments et routes.
De même, en Haïti, les tremblements de terre risquent encore de provoquer des morts et des dégâts matériels importants, souligne l’ingénieur-géologue Claude Preptit, pointant le mauvais état des bâtiments, notamment ceux ayant été construits depuis des années en dehors des normes parasismiques.
« Maintenant, c’est à nous de nous mettre à la hauteur des défis et enjeux sismiques du territoire national », exhorte Claude Preptit, mettant l’accent sur trois axes prioritaires : bonnes constructions, éducation et sensibilisation de la population, préparation de la réponse aux urgences.
14 ans après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, l’ingénieur géologue Claude Preptit continue d’attirer l’attention sur un ensemble d’actions à entreprendre pour mieux préparer Haïti à faire face à d’éventuels séismes.
Selon lui, les autorités doivent agir sur trois principaux axes pour y parvenir.
Des recommandations, y compris des dispositions adéquates de financements, pour faire face à d’éventuels séismes
D’abord, il faut mettre en application le code de construction des bâtiments, former et mettre à niveau les compétences des professionnelles et professionnels de la construction, dont les architectes, les ingénieures et ingénieurs, les contremaîtres et les maçons, dit-il.
Il convient aussi de mettre en place des programmes de formation et de sensibilisation de la population sur les comportements à adopter pour se protéger avant, pendant et après les séismes.
Il faut développer une culture de risques pour éviter des comportements préjudiciables pour la vie des citoyennes et citoyens, recommande Preptit, précisant combien ces comportements doivent d’abord être intégrés dans les écoles pour les pérenniser dans la vie sociale du pays.
Le directeur général du Bureau des mines et de l’énergie plaide pour une bonne planification de la réponse aux urgences, afin de mieux voler au secours des éventuelles victimes, à travers un plan de contingences coordonnées par les institutions pour une aide rapide et efficace.
Claude Preptit préconise aussi l’augmentation du budget de l’Unité technique de sismologie (Uts), afin de lui permettre d’être plus proactive dans la surveillance sismique en Haïtien.
828 séismes enregistrés au cours de l’année 2023
828 séismes, de magnitude comprise entre 0.6 et 5.5, ont été enregistrés au cours de l’année 2023, alors que 1,451 ont été dénombrés pour l’année 2022, indique l’Unité technique de sismologie (Uts) du Bureau des mines et de l’énergie, dans un bilan annuel des activités sismiques observées en Haïti.
Le nombre élevé de séismes recensés en 2022 est surtout dû aux répliques continues, observées dans la partie ouest de la presqu’île du Sud après le séisme majeur du 14 août 2021, signale l’Uts.
Le nombre de séismes enregistrés en mer pour l’année 2023 « s’élève à environ 408, soit 49.3 %, avec une forte concentration au nord de Jérémie et à l’ouest de la presqu’île du Nord-Ouest ».
Les séismes survenus en mer sont susceptibles de provoquer des tsunamis avec une magnitude supérieure à 6.5, profondeur inférieure à 50 kilomètres et failles en mer, avertit le Bureau des mines et de l’énergie.
Le bilan du séisme du samedi 14 août 2021, dont l’intensité rappelle celui du mardi 12 janvier 2010, a fait 2,200 morts, dans les départements du Sud, de la Grande Anse et des Nippes (Sud-Ouest d’Haïti), selon des données communiquées dans la soirée du 18 août 2021 par la Protection civile.
Plus de 13,000 personnes ont été blessées et plus de 130,000 maisons effondrées dans les départements du Grand Sud, lors de ce tremblement de terre d’une magnitude de 7.2 sur l’échelle de Richter.
Quatre personnes sont mortes et 36 autres blessées dans un tremblement de terre, de magnitude 5.5 sur l’échelle de Richter, survenu tôt, le mardi 6 juin 2023, dans le département de la Grande Anse (une partie du Sud-Ouest d’Haïti).
Parmi les victimes, se trouvaient deux fillettes âgées respectivement de 2 et 6 ans.
Ces fillettes et les 2 autres personnes sont décédées, suite à l’effondrement de deux maisons dans le quartier très peuplé Sainte Hélène, à Jérémie, où les constructions sont faites en dehors des normes. Les 36 autres personnes blessées ont été prises en charge.
Le tremblement de terre du mardi 12 janvier 2010 a occasionné la mort d’environ 300 mille personnes et des dégâts matériels énormes. [psf emb rc apr 11/01/2024 13:10]
Crédit Photo : Ministère de la culture et de la communication (Mcc)