P-au-P., 28 nov. 2023 [AlterPresse] --- L’impasse politique, qui perdure en Haïti, serait due à l’absence de l’intérêt national dans les préoccupations des protagonistes politiques, critique le politologue Jacques Nési, lors d’une intervention à l’émission Tichèzba, diffusée sur la station privée AlterRadio 106.1 f.m., suivie par l’agence en ligne AlterPresse.
« Les acteurs politiques éprouvent de grandes difficultés à trouver un terrain d’entente. De plus, l’intérêt national n’est pas au centre des préoccupations des acteurs politiques », analyse Jaacques Nési.
« L’intérêt du pays devrait être un élément fondamental à prendre en compte par les acteurs politiques. Son absence constitue un déficit dans la construction d’une communauté politique ».
Il y a eu, dans l’histoire d’Haïti, un cheminement vers la construction d’une communauté politique, qui est demeurée fragile, selon les observations du politologue Jacques Nesi expliquant combien ce processus historique, qui devrait cimenter la communauté, a disparu.
Mésentente entre les protagonistes et mauvaise foi de la communauté internationale
L’absence d’un point de convergence entre les parties prenantes de la crise donne libre cours au gouvernement des États-Unis d’Amérique de traiter Haïti comme un pays mineur, au lieu d’un grand pays, s’indigne le politologue Jacques Nési.
Il fustige le comportement de la communauté internationale, qui a rejeté les efforts du groupe Montana visant à une réappropriation de la souveraineté nationale perdue par la faute des élites.
De tels efforts ont été sabotés par les acteurs locaux, qui se sont instrumentalisés, insiste-t-il, tout en dénonçant le support de la communauté internationale, notamment du Bureau intégré des Nations Unies (Binuh), au premier ministre de facto Ariel Henry.
Ce soutien de la communauté internationale au chef du gouvernement de facto va à l’encontre de la morale, regrette le politologue Jacques Nési, évoquant de nombreux assassinats et enlèvements sous l’administration d’Ariel Henry, qui s’est installé au pouvoir politique, le 20 juillet 2021, à la suite d’un tweet de la communauté internationale.
Les élections démocratiques, transparentes et participatives constituent « le seul chemin pour sortir d’une transition politique », a écrit l’Équatorienne Maria Isabel Salvador, cheffe du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh), sur son compte ‘’X’’, le 7 novembre 2023.
« On ne sort pas d’une transition par une nouvelle transition. Pour arriver à ces élections, il faut d’abord garantir la sécurité », ajoute-t-elle, estimant que « ceux qui proposent une « nouvelle transition » s’éloignent des principes démocratiques et veulent imposer leurs intérêts individuels, en oubliant les intérêts du peuple ».
Cette déclaration de Maria Isabel Salvador a été vivement dénoncée par différentes organisations politiques et de la société civile, qui souhaitent la mise en place d’un nouveau gouvernement de transition sans la présence du premier ministre de facto, Ariel Henry, alors que d’autres s’y opposent.
La communauté internationale, ce club oligarchique, coopère constamment avec des personnalités qui ne défendent les intérêts du pays, des marionnettes sans personnalité et sans caractère, comme les ancien présidents Michel Joseph Martelly, Jovenel Moïse et le premier ministre actuel Ariel Henry, blâme le politologue Jacques Nési.
Ces types de profils ne correspondent pas à l’attente des différentes couches vives du pays, avance-t-il.
La Caricom fait du surplace
Il n’y a rien à espérer de la démarche de médiation de la Communauté des Caraïbes (Caricom) dans le cadre du processus de dialogue entre les protagonistes, en vue d’une solution à la crise, estime, par ailleurs, le politologue Jacques Nési.
« La Caricom, qui fait du surplace, est un maillot faible de la diplomatie régionale. Elle est sous l’ordre des Américains. Sa marge de manœuvre est très restreinte ».
La Caricom ne peut pas aider à trouver un consensus entre des protagonistes qui instrumentalisent les réunions, n’honorent pas leur engagement et ne font preuve d’aucune sincérité en politique, reproche Jacques Nési.
Le Groupe de personnalités éminentes (Gpe) de la Communauté des Caraïbes (Caricom) a estimé impératif et urgent de mettre en place une structure gouvernementale de transition, pour mettre fin à l’impasse politique prolongée, selon un projet de cadre de transition proposé par le Gpe.
Ce dispositif de gouvernance de transition devrait permettre de « faire face à la crise sécuritaire, d’ouvrir la voie à la sortie de l’impasse politique et de poursuivre un retour durable à la légitimité, la démocratie et la normalité, grâce à des élections libres, équitables et inclusives ».
Cette proposition d’accord du Gpe est contraire à la position de la représentante spéciale du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu) et cheffe du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh), l’Équatorienne Maria Isabel Salvador, qui s’oppose à une nouvelle transition en Haïti.
Elle fait suite à des discussions intensives, qu’il a eues, au cours des six derniers mois (de juin à novembre 2023), avec le premier ministre de facto Ariel Henry, des représentants des signataires du consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes, des représentantes et représentants de la déclaration conjointe de Kingston (juin 2023), ainsi que des représentants de la société civile y compris les femmes, du secteur privé et de la communauté religieuse.
Entre les mercredi 8 et mardi 14 novembre 2023, le Gpe a effectué sa troisième visite en Haïti, en vue de poursuivre les efforts visant à parvenir à un accord entre les parties prenantes, qui devrait permettre de mettre fin à l’impasse politique prolongée depuis plusieurs années.
Jacques Nési critique l’intransigeance de certains protagonistes politiques, proches de l’accord du 21 décembre 2021, qui n’ont pour ambition que de s’enrichir de manière illicite au détriment du pays.
La société civile est très affaiblie, d’une part, à cause de la lutte qui s’avère fatigante et, d’autre part, à cause des conditions de survie qui préoccupent au plus haut point, considère-t-il.
La résistance populaire est compliquée par la question de survie, dit-il, relevant une fissure dans la lutte populaire, qui était caractérisée par des moments de conquête dans les années 1986, 1994 et 2004.
« Les sanctions de la communauté internationale ne peuvent pas constituer une solution. La vraie solution devrait venir des actrices et acteurs locaux et de la population, qui doivent organiser une contestation très forte », soutient-il.
Le politologue Jacques Nési appelle à une convergence entre la diaspora, qui devrait donner aux actrices et acteurs locaux un support et la force résiduelle en Haïti, en vue d’une issue à l’impasse politique. [emb rc apr 28/11/2023 13:55]