Par Gary Klang [1]
Soumis à AlterPresse le 30 juin 2005
« Si l’on pratique oeil pour oeil, dent pour dent, le monde entier sera bientôt
aveugle et édenté » (Gandhi)
Rêvons un peu...
Si tous les Haïtiens du monde se donnaient la main, comme dirait le poète
Paul Fort, et cessaient toute attaque haineuse, insulte et calomnie, ainsi que
la litanie des critiques et reproches récurrents... C’est un voeu pieux que je
forme en voyant tous les jours des pamphlétaires infatigables passer leur
temps à balancer les mêmes discours de haine dans les mêmes termes, sur
internet et dans les journaux. Ce qui crée une ambiance de paranoïa et de
suspicion des plus nuisibles. Les amis se méfient des amis, il n’y a plus de
débats libres et honnêtes, tout le monde se regarde en chiens de faïence.
Chacun se replie dans sa tranchée et se croirait revenu à la guerre de 14 avec
les mots pour armes. On en a ras le bol, croyez-moi, de cette situation
irrespirable et l’on voudrait un peu d’air pur. L’esprit humain souffre
également de pollution. Moi, j’en ai la nausée, comme le héros de Sartre, et
cours me réfugier dans la lecture des grands poètes.
S’il ne s’agissait que de moi, me direz-vous, ce serait un moindre mal, mais
le problème est que cet air pollué ne fait qu’accentuer les divisions qui
décomposent Haïti, perturbent la diaspora et finiront par une révolution où
les morts ne se compteront plus par dizaines mais par milliers. 1789, à
Paris, avait commencé dans les journaux.
Est-ce là ce que désirent nos pamphlétaires ? Certainement pas.
Faisons donc l’effort de comprendre qu’en continuant de la sorte, nous
participons à notre insu à la mort lente de ce pays. Et décidons aujourd’hui
même de remplacer le ressentiment par l’ouverture à autrui. Cela demande
beaucoup d’efforts, mais qui propose une autre issue ?
Nelson Mandela, au lieu de tuer ou d’humilier ses adversaires pour se venger
de 28 ans de prison, parla de paix et de réconciliation, et alla jusqu’à rendre
visite à la femme de son pire ennemi. Bill Clinton lui demanda son secret,
car enfin, ce n’est pas rien que d’embrasser ceux qui vous font du mal.
Mandela répondit qu’en sortant de sa geôle, il était physiquement libre, mais
encore emprisonné dans les mailles de la haine. L’ayant compris, il fut, ditil,
instantanément délivré de tout sentiment négatif, la haine étant la pire des
prisons, l’hiver de l’âme, disait Hugo.
Martin Luther King, malgré les meurtres et les humiliations subis par les
Noirs aux Etats-Unis de la part d’organisations terroristes, n’a jamais proféré
un mot de vengeance et montra toujours un visage serein, celui d’un
Bouddha noir.
Ainsi donc, les reproches, les insultes et les insinuations perfides ne feront
qu’envenimer la situation catastrophique d’Haïti, en ajoutant
quotidiennement de la violence à hautes doses dans la tête des lecteurs de
Port-au-Prince, de Montréal, de Paris, de Miami et d’ailleurs qui ne savent
plus à quel saint se vouer. Pensez-vous que cela puisse arranger les choses ?
Faisons plutôt un autre 1804, un Vertières de l’esprit. Car dans l’état actuel
de décomposition de l’île, seule une vraie prise de conscience collective
aurait un sens. Je ne vois rien d’autre, si utopique que cela paraisse.
Rassemblons-nous au lieu de nous insulter sans cesse et essayons, ensemble,
avant qu’il soit trop tard, de rejeter la haine pour trouver une solution
pacifique à cette crise qui ressemble étrangement à une révolution en
marche.
L’Utopie non violente peut être le moteur de l’Histoire.
Mandela, I have a dream et Gandhi en sont la preuve.
Qui osera dire encore que les rêveurs sont des fous ?
Gary Klang
[1] Gary Klang a été nommé le 1er juin 2005 président du Conseil des
Ecrivains francophones d’Amérique. Son mandat est d’une durée de 2 ans.