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Haïti-Musique/Criminalité : Les voix de Roody Roodboy et Belo pour dénoncer les patrons des gangs

Par Edner Fils Décime

P-au-P, 30 août 2023 [AlterPresse] --- Jean Belony Murat alias Bélo et Roody Pétuel Dauphin dit Roody RoodBoy, deux artistes haïtiens, dénoncent une instrumentalisation des communautés originaires des quartiers appauvris et se positionnent pour le bannissement, la mise à l’écart des faiseurs de bandits, à travers la chanson « Babylòn » tirée de l’album « Tou9 » de Roody RoodBoy, dont a pris connaissance l’agence en ligne AlterPresse.

En moins de 4 mn, Belo et Roody fustigent la méchanceté et la haine de tous ceux et de toutes celles qui répondent par une offre de « base (gang armé) » et « armes à feu » à la demande d’ « écoles » et de « livres » des jeunes des quartiers difficiles.

Ces patrons des bandits sont catalogués comme des « babylones », dans la chanson diffusée en rotation cette semaine sur la station AlterRadio 106.1 FM et en ligne.

« Quand nous vous demandons des écoles, vous nous offrez des bases (de gangs) / Quand nous vous demandons des livres, vous nous offrez des armes » : telles sont les premières paroles de la chanson, dans un lancement serein, qui ne tarde pas à déboucher sur un reggae solide.

Dans la musique reggae, le concept Babylone – en référence à l’une des plus anciennes villes du monde, la cité antique de Babylone, métropole mésopotamienne (Actuelle Irak) – est la représentation absolue de tout ce qui est mal sur terre, l’image de la dépravation des humains, les dérives sociétales, l’oppression sociale, etc. Certaines fois, les forces de l’ordre (policiers, militaires) sont aussi appelées Babylone.

Dans cette chanson de Belo et de Roody RoodBoy, Babylone désigne tour à tour des acteurs, actrices économiques, politiques ou de l’humanitaire.

Pèsonn moun pa dwe respekte (Personne ne doit respecter un Babylone)
Babylòn (Chœur)
Pèsonn moun pa dwe bay valè ak yon (Personne ne doit accorder de la valeur à un Babylone)
Babylòn (chœur)
Pèsonn moun pa dwe fonksyone ak yon (Personne ne doit collaborer avec un Babylone)
Babylòn (chœur) » met en garde Dauphin.

Belo, qui s’est fait connaitre depuis l’album Lakou Trankil (2005) avec son style « Ragganga » (reggae à base rara), est catégorique. Se mettant dans la peau d’un jeune des zones défavorisées, il chante qu’il ne voit « aucun moyen », « aucune façon » de travailler avec un Babylone.

Avec un « nous » inclusif, porte-parole, celui, qui a remporté le prix découvertes RFI en 2006, retrace amèrement l’instrumentalisation des habitantes et habitants des quartiers appauvris.

Yo itilize nou, demounize nou / (Ils nous utilisent, ils nous déshumanisent)
Lè yo pa bezwen nou yo djòs [just en anglais] elimine nou (Quand ils n’ont plus besoin de nous, ils nous éliminent tout simplement)
Nèg yo drive nou, yo fin dejwe nou (Ils nous exploitent, ils ont fait de nous des déviants)
Gwo lajounen yo mete dòmi nan je n (ils nous tuent en plein jour)

Yo ban n kòb pou n fè festival chak fwa yo fin met gwo gè antre nou (Ils subventionnent des festivals dans nos quartiers à chaque fois qu’eux-mêmes aient finis d’alimenter des guerres entre nous), dénonce Roodboy, qui a grandi à Cité militaire et qui a vu son père tomber sous des balles assassines.

Le triste tableau, dressé par Belo, est actuel.

Des bandes armées pullulent comme des champignons. Les jeunes sont gaspillés. Le bateau du peuple est à la dérive. Les structures sociales ne jouent plus leur rôle. Les problèmes s’aggravent. Qui sont les responsables ? se questionne Murat.

Les interprètes crient leur ras-le-bol. L’heure est grave.

Nou bouke konte kadav (nous sommes lassés de compter des cadavres), (…) Nou bouke sèvi esklav
pwòp tèt nou
(lassés d’être les esclaves des nôtres), Nou menm ankò ki vin pwòp frèt nou (Devenus nous-mêmes, notre propre châtiment, se lamente Belo.

Cette chanson arrive dans un contexte où les bandits armés kidnappent, violent, volent, tuent, incendient, pillent des maisons et contrôlent une bonne partie des quartiers de la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite, 73 personnes ont été assassinées dont 54 à Carrefour Feuilles (secteur sud-est), pour la première partie du mois d’août 2023, a révélé le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), dans un rapport publié le 18 août 2023.

Un nombre indéterminé de personnes ont été tuées et blessées par balles à Canaan (nord de la capitale) , samedi après-midi 26 août 2023, par le gang armé de Canaan, lors d’une manifestation organisée par « l’église évangélique piscine de Bethesda », dirigée par le pasteur Marcorel Zidor, alias Marco.

En conférence de presse donnée le lundi 28 août 2023, le directeur général par intérim de la Pnh, Frantz Elbé, a tente de se déresponsabiliser en déclarant avoir relevé des attaques simultanées, perpétrées par différents foyers de gangs dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince.

Comme dans un dialogue entre les deux chanteurs, Roody égrène ses complaintes, pleure « des torrents de sangs », les « coupables libérés à la place des innocents ».

La chanson « Babylòn » est aussi lieu de recommandations.

Tout en soulignant combien l’impunité ne pourrait être nullement une option dans la construction d’un État-Nation, Belo invite les Haïtiennes et Haïtiens à « se mettre d’accord pour prendre une autre direction et commencer à travailler et se mettre en action ».

Manifestations, revendications, barricades…

Cependant, à en croire certaines paroles de Roody RoodBoy, les manifestations de rues, les revendications, les barricades de pneus usagés enflammés ne feraient pas partie des actions à poser par la population.

Il assimile les mouvements de rues du peuple à de la manipulation.

Yo plede jwe nan may nou, yo fè n konprann se boule kawotchou, manifestasyon k ap chanje eta nou (Ils ne cessent de nous manipuler, ils nous font comprendre que ce sont les barricades de pneus enflammés et les manifestations qui apporteront le changement), chante RoodBoy.

Criminaliser les formes de revendications de la population semble être un positionnement dans la production musicale de Roody RoodBoy.

En 2019, sa meringue carnavalesque San konsyans avait fait des vagues.

Le chanteur avait traité le peuple de « sauvage ». Ala ti pèp sovaj oooo, n fè peyi a lèd vre, avait-il martelé.

Aujourd’hui en rupture avec les médias, Roody Roodboy, auteur de violences conjugales sur son ex partenaire, la chanteuse haïtienne Rutshelle Guillaume, avait déclaré sur les ondes d’une radio de Port-au-Prince qu’Haïti aurait besoin d’un dictateur comme Hitler.

Sorti le 19 août 2023 sur les plateformes de streaming, « Tou9 » est, à la suite de Fòk tèt ou la (2016), le deuxième album studio de Roody Roodboy. 9 des 16 titres sont réalisés en collaboration avec treize (13) artistes haïtiens sur des rythmes musicaux différents. [efd gp apr 30/08/2023 15:00]