Par Gotson Pierre
P-au-P., 02 aout 2023 [AlterPresse] --- Marvel Dandin, directeur général de Radio Kiskeya, est à une grande table autour de laquelle s’installent brièvement ceux et celles qui viennent lui adresser des mots de condoléances, suite à la mort subite, le 31 juillet 2023, de Liliane Pierre-Paul, célèbre journaliste et co-fondatrice de la station, dont elle était la directrice de programmation.
Une poignée de main, une accolade. Visage fermé. Chacun.une fait part de sa tristesse, sa stupéfaction. Les silences sont parfois longs. Émotion.
La douleur de Marvel Dandin ne peut être imperceptible, malgré de légers sourires qui se distillent au travers de courts récits, les uns plus succulents que les autres. Étrangement seul. Une brusque séparation après une aventure commune d’une cinquantaine d’années.
Petites histoires
Les petites histoires reviennent, de Radio Haïti Inter où Marvel Dandin et Liliane Pierre-Paul se rencontrent dans les années 1970, à Radio Kiskeya qu’ils ont fondée avec leur « frère » Sony Bastien (lui aussi de l’équipe d’Haïti Inter) en 1994. (Expérience à laquelle j’ai participé dès la mise en place de la station. J’y ai vu près de 25 années défiler).
« Liliane est arrivée à Radio Haïti bien avant moi », dit Marvel. Un autre nom surgit… Konpè Filo, décédé lui aussi un 31 juillet. Il co-présentait avec Liliane Pierre-Paul le journal de 4:00 PM de la station de la rue du Quai. C’est le même rendez-vous que donne Liliane Pierre-Paul à ses auditeurs.trices, une fois Radio Kiskeya en ondes. « Li fè 4é ».
« N’entrait pas à Radio Haïti qui voulait… Jean était exigeant ». Marvel Dandin parle ainsi de Jean Dominique, directeur de la station, assassiné le 3 avril 2000 dans la cour même de sa radio, qui avait déménagé à Delmas. Il y avait, ajoute-t-il, plusieurs étapes à franchir avant d’avoir le micro, et ça pouvait durer longtemps. Il fallait être « parfaitement bilingue », maitriser le Créole et le Français.
Il fallait aussi, souligne-t-il, bien cerner ce qu’est une information, les techniques et le processus rédactionnels. La sévérité des directeurs de l’information comme Guy Meyer ou Harold Isaac (père du fils unique de Liliane Pierre-Paul, qui porte le même nom) est relevée.
Au fil des questions des visiteurs.euses, toutes oreilles, Dandin évoque Michèle Montas, épouse de Jean Dominique et directrice de l’information, Richard Brisson (exécuté en janvier 1982 par la dictature de Duvalier), directeur de la programmation, ainsi que des confrères qui sont passés avant lui par Radio Haïti, comme le célèbre Marcus Garcia (directeur de l’hebdomadaire Haïti en Marche et de la station Mélodie FM).
Il parle aussi de l’ambiance dictatoriale de l’époque, des convocations aux Casernes Dessalines par les services de répression du régime de Jean-Claude Duvalier, du zèle des macoutes, la milice civile du régime, et de la poigne de certains militaires.
Voix phare
Ainsi, sont établis des éléments de contexte entourant les débuts de Liliane Pierre-Paul dans les années 1970 à Radio Haïti Inter, qui a cessé d’émettre sous la contrainte et des menaces le 21 mars 2003. C’est là qu’elle est reporter et présentatrice.
Elle est une voix phare reflétant la ligne de cette radio indépendante, relayant une parole libre et des revendications en faveur de la démocratie. Elle y forge son engagement et fait preuve d’un courage légendaire.
Les principes observés depuis cette époque guideront sa carrière, que ce soit comme correspondante de médias à l’étranger ou comme co-fondatrice, directrice de programmation et présentatrice de Radio Kiskeya.
Elle et plusieurs de ses collègues sont arrêtés en 1980, lorsque la dictature de Duvalier met en œuvre, le 28 novembre 1980, une opération pour terrasser la presse indépendante et le mouvement démocratique. Radio Haïti Inter est brutalement fermée.
Puis, c’est l’exil. D’abord au Venezuela. Ensuite elle se rend au Canada où elle reste jusqu’à la chute de la dictature en 1986. Elle revient cette année-là en Haïti pour poursuivre son travail à Radio Haïti, qui revient en ondes.
L’un des points forts de Liliane Pierre-Paul est son choix, dès le départ, de présenter ses émissions exclusivement en Créole. Le Créole étant parlée par toute la population haïtienne.
C’est d’abord pour parler à tout le monde, pour être comprise par tout le monde, pour contribuer à démocratiser l’accès de la population à l’information, mais aussi pour faire avancer le combat en faveur de la reconnaissance de cette langue, qui, il y a 30-40 ans, a été marginalisée.
C’est surtout pour combattre l’exclusion et aider à mettre au-devant de la scène les catégories défavorisées.
Bien sûr, pour elle, au-delà de l’utilisation de la langue, il faut considérer la démarche journalistique vis-à-vis d’une population disposant de peu de prérequis conceptuels dans une société submergée par la pauvreté. L’accès à l’information nécessite non seulement de rapporter les événements, mais aussi de les expliquer !
Liliane Pierre-Paul était une compétitrice redoutable, d’une culture, d’un courage et d’une discipline exemplaire. Un modèle absolu pour tous les jeunes journalistes en Haïti.
Un être très sensible, qui, malgré les péripéties de la vie et de la profession, portait sans rechigner le fardeau de la peine des autres. [gp apr 02/08/2023 16:00]
Photo : capture d’écran