P-au-P., 26 nov. 02 [AlterPresse] --- Sans tambour ni trompette, le quotidien haïtien "Le Nouvelliste", vieux de 104 ans, a commencé depuis quelques semaines à emménager progressivement dans un nouveau bâtiment flambant neuf à la Rue du Centre, au centre-ville de la capitale, au même endroit qu’auparavant, mais dans un autre cadre physique climatisé et plus aéré.
Etabli sur 4 niveaux, le nouveau bâtiment couvre environ 400 m2 de superficie, juxtaposée à la salle de presse dont une partie est utilisée pour la rédaction du journal. L’espace occupé actuellement par l’atelier et la rédaction du journal, représentant environ 200 m2, sera transformé plus tard en un autre service lié à la production du journal, après leur "transbordement" au sein du nouveau bâtiment.
Toutes les sections sont informatisées et devraient être mises en réseau avant la fin du mois de novembre 2002. Mais, le processus de mutation de l’ensemble des sections du journal n’est pas encore achevé.
A cause de la poursuite des aménagements - il reste des meubles à installer, la section graphique et la rédaction n’ont pas encore vraiment pris logement, d’autres équipements doivent arriver -, les responsables du journal comptent procéder à une inauguration officielle du nouveau local d’ici début décembre 2002.
S’étant rendue compte de l’étroitesse des bureaux, de l’absence d’espaces adéquats pour les rédacteurs, pour l’équipe technique, la direction du journal a entamé le projet de construction du nouveau bâtiment à l’occasion du centenaire du journal, le 1er mai 1998.
"Jusqu’à date, dans une situation présente caractérisée par un plein marasme économique, le Nouvelliste n’a reçu que des encouragements et félicitations, assortis d’interrogations : est-ce que les responsables du journal ne perdraient pas la tête ? Pour nous, c’est une preuve que nous croyons dans le pays. Qui n’avance pas recule", a déclaré à AlterPresse Max Chauvet, directeur du journal.
S’appuyant sur les réalités économiques difficiles auxquelles fait face le pays, Max Chauvet suppute que le tarif d’abonnement du journal risque de subir bientôt des ajustements.
L’ensemble des intrants du journal - papier, films, encre, plaques, produits chimiques - est acquis en dollars américains. Matière première la plus importante pour le journal, le papier importé suscite le coût le plus élevé dans le processus de production. Lorsque l’abonnement mensuel a été ajusté à 75 gourdes, il fallait 22-23 gourdes pour un dollar américain, alors qu’aujourd’hui il faut 40 gourdes.
Un tantinet surpris par la visite d’AlterPresse, puisque aucune annonce d’inauguration n’a été faite, Max Chauvet n’a pas pourtant caché sa satisfaction d’entrer dans le nouveau bâtiment. Il espère parvenir à une meilleure productivité générale du personnel, des services plus efficients - non seulement en ce qui a trait à la distribution, mais aussi à la publicité et aux avis divers - à un meilleur contrôle des services et de la production, notamment en ce qui concerne la présentation graphique du journal.
"C’est une nette différence, en considérant les 4 dernières années passées dans un espace étroit loué en face de l’ancien local aujourd’hui rénové et agrandi. Les conditions vraiment difficiles de travail, dans lesquelles nous avons évolué, ont affecté la qualité de service à la clientèle : en plus de la chaleur, le bureau ne disposait pas de salle d’accueil".
De nombreux clients se sont plaints de la non publication de leurs commandes publicitaires, due à une absence de contrôle, à une séparation des services qui étaient distribués dans deux bâtiments.
"Malgré nos fonds propres, il a fallu nous endetter pour réaménager le local du Nouvelliste. Se grès kochon an ki kuit kochon an. Certes, certaines charges, comme les bordereaux d’électricité, vont augmenter. Mais, si nous voulons créer les conditions minimales de travail pour améliorer la productivité de nos employés, au niveau administratif et rédactionnel, il y a un minimum d’investissements à faire pour que les gens se trouvent dans un environnement productif et agréable".
Pour Max Chauvet, le souci d’améliorer le service et la qualité du produit expliquent les débours qui ont été consentis dans l’informatique, le réseau, la téléphonie, une nouvelle génératrice plus puissante, la climatisation "qui remonte à deux ans et qui obéit à un souci de long terme à partir d’un choix d’équipement convenable".
Le Nouvelliste, qui tire quotidiennement à 15 mille exemplaires, du lundi au vendredi - en général 24 pages en format tabloïde 11 1/2 x 17 - a un personnel d’environ 40 personnes réparties dans la production, l’administration et la rédaction (qui compte 18), sans oublier près d’une centaine de facteurs assurant la livraison du journal.
Le bonus serait à venir
Max Chauvet estime que l’intégration en réseau de toutes les sections au bâtiment rénové devrait permettre d’accélérer l’ouverture du site web du Nouvelliste, encore en chantier, que le public peut espérer pour les prochains mois.
Après avoir inséré diverses rubriques adressées à plusieurs catégories d’âge (Le petit Nouvelliste, rubrique Santé), le Nouvelliste a lancé, à l’occasion de l’exposition "Musique en Folie" d’octobre 2002, une nouvelle publication, le magazine "Ticket" adressé à un public de jeunes "qui représente une part de marché importante à pénétrer".
En 2003, les responsables caressent le projet de mettre en œuvre l’édition internationale du Nouvelliste qui visera principalement les marchés de Miami, New York et Canada (Montréal en particulier).
"Nous pensons opportun de diffuser le journal parmi la diaspora : la formule idéale n’est pas encore trouvée à cause d’un fichier technique très lourd, tel un système de communication qui permet de upload la partie électronique dans un laps de temps régulier et normal. Des contacts très positifs ont été faits avec le Miami Herald, des maisons de distribution à New York et au Canada. Cette option est prise par rapport à la livraison par la poste, de manière à ce que le journal soit livré très rapidement à l’extérieur du pays dans les 48 heures de sa parution en Haïti", a confirmé Max Chauvet.
Quant à la langue Créole, parlée par tous les Haïtiens, Max Chauvet reste persuadé qu’il n’y a pas encore un marché pour une publication en créole, en dépit de toutes les avancées de la langue nationale de la population haïtienne. Tout en partageant les efforts déployés pour promouvoir la lecture en Créole, le directeur du Nouvelliste a signalé à AlterPresse l’existence d’une inadéquation entre le pouvoir d’achat et la lecture du Créole.
"Nous avons suivi de très près l’expérience du journal en créole "Libète" qui avait commencé avec 10 mille exemplaires subventionnés et vendus à 1 gourde. Il y a une différence entre le volume de lecteurs en créole et leur potentiel économique, leur pouvoir d’achat pour prendre un abonnement. Tant que cette masse de personnes n’auront pas un pouvoir économique réel, elles n’auront pas de moyens suffisants pour acheter un journal en créole. Pour nous, ce débat reste à faire. L’intérêt pour une publication en créole sera mesuré lorsque cette lecture en créole deviendra une réalité pratique : les citoyens ne peuvent trouver ni de prescriptions médicales en créole, ni d’étiquettes de médicaments en créole".
Inquiétudes par rapport à l’avenir ?
Interrogé sur les risques encourus avec les investissements dans l’espace physique et technique du journal et sur les dangers qui pèsent sur la Presse avec les attaques récentes de membres du pouvoir lavalas contre les médias, Max Chauvet a indiqué que personne n’en est exempt dans quel que soit le pays considéré.
Pour lui, pratiquer le métier de presse expose les professionnels à des pressions de toutes sortes. Le Nouvelliste, qui a 104 ans, a suspendu sa publication seulement deux fois, sous l’occupation américaine (entre 1915 et 1934).
Malgré les turbulences de la politique haïtienne, le Nouvelliste demeure… "Nous pensons avoir accompli tous les efforts nécessaires pour nous mettre à l’abri de certaines attaques avec une certaine ligne modérée que nous maintenons. Mais, nous sommes en Haïti, tout peut arriver à n’importe quel moment, c’est l’essence même du métier de Presse, un métier à risque que nous ne pouvons pas contourner. On espère que les différents secteurs de la société, particulièrement les politiques, vont comprendre l’importance d’un média, l’obligation de dire la vérité et de faire circuler l’information".
Mais, soutient Max Chauvet, la meilleure défense du journal et des médias en général dans le pays doit être recherchée chez le peuple haïtien qui sait ce qu’est la Liberté d’Expression. "Le peuple haïtien a goûté et a pris goût à la Liberté d’Expression, il n’acceptera jamais de perdre cette conquête". [rc apr 26/11/02 21:30]