Par Sir Ronald Sanders [1]
Repris de Caribbean News Global (Traduction libre) [2]
Le président non élu d’Haïti, le Dr Ariel Henry, a été identifié comme une partie importante de la crise actuelle dans le pays. Henry et une petite clique, qui l’entourent, ne dirigent guère les affaires de l’État. En effet, comme les gangs armés contrôlent plus de 60 % de Port-au-Prince et les principaux corridors d’Haïti, la disparition de l’État est évidente.
Cependant, Henry et son gouvernement nommé ont démantelé ce qui restait des institutions démocratiques d’Haïti. Comme le décrit une coalition de cliniques de facultés de droit basées aux États-Unis, « En janvier 2023, il n’y a plus un seul élu à quelque niveau de gouvernement que ce soit en Haïti ».
Entre-temps, Henry a été accusé par les cliniques des facultés de droit américaines, y compris la Harvard Law School, et d’autres, d’avoir pris des mesures illégales, qui sont conçues pour prolonger son rôle non élu en tant que président. En mars, Henry a illégalement nommé huit juges à la plus haute cour d’Haïti, la Cour de cassation, sapant la légitimité de la cour pour vérifier (juger) le pouvoir exécutif. En outre, en décembre 2022, il a élaboré un « Document de consensus national pour une transition inclusive et des élections équitables ».
Le document ne reflétait guère un « consensus national » dans lequel les principales organisations de défense des droits de l’homme et les acteurs politiques ont été exclus - une grave faille qui a été ignorée par les organisations hémisphériques et régionales.
Ce document impopulaire aiderait à consolider le pouvoir d’Henry en lui permettant d’emballer la Cour de Cassation, la Cour suprême d’Haïti, avec des personnalités triées sur le volet, et en mettant en place un Conseil électoral provisoire inconstitutionnel pour organiser et superviser des élections présidentielles et autres. La société civile haïtienne, dans de nombreuses déclarations publiques et présentations aux membres des branches exécutive et législative américaine et aux diplomates aux États-Unis, au Canada et en France, ont clairement indiqué qu’ils s’opposaient au document de décembre 2022.
Selon une déclaration faite par les chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) lors de leur réunion du 50e anniversaire à Trinidad du 3 au 5 juillet, Henry leur a dit "qu’il ne cherchera pas à se faire élire, mais qu’il dirigera un gouvernement de transition pour garantir les dispositions relatives à la transition du pays des crises sécuritaire et humanitaire jusqu’à la tenue d’élections crédibles, libres et équitables. Les initiés révèlent qu’Henry a du être contraint de faire cette déclaration, lui qui a résisté en mettant en faisant valoir que « Haïti est un pays souverain ».
Quoi qu’il en soit, alors que les dirigeants de la CARICOM disent, officiellement, qu’Henry a fait cette déclaration, il ne s’est pas encore adressé en ces termes publiquement au peuple haïtien. En outre, le fait que lui et ses proches alliés établissent seuls des mécanismes électoraaux, assure à la société civile et aux partis politiques en Haïti que des « élections crédibles, libres et équitables » sont impossibles.
De manière significative, dans un article publié dans le New York Times le 13 juillet, un expert expérimenté et bien informé des affaires haïtiennes, Jake Johnston, en tant qu’associé de recherche principal au Centre for Economic and Policy Research, a souligné que « Henry a des liens étroits avec un principal suspect dans l’assassinat (de l’ancien président Jovenel Moïse) ». Johnston révèle les informations troublantes suivantes : « L’ancien procureur en chef supervisant l’enquête sur l’assassinat a appelé Henry à témoigner. Il a refusé, puis a appelé le ministre de la Justice et lui a dit de licencier le procureur. Lorsque le ministre a refusé, Henry a licencié les deux. Depuis, un enregistrement audio du juge en question a été diffusé à CNN. « Ariel est l’un des principaux suspects dans l’assassinat de Jovenel Moïse, et il le sait », peut-on entendre le juge dire. « Pensez-vous que je puisse toucher Ariel maintenant ? »
Pendant ce temps, Haïti continue de sombrer dans le chaos, l’anarchie et la souffrance humaine à grande échelle. Le Programme alimentaire mondial dit que la moitié de la population haïtienne souffre de la faim ; il n’y a pas de système de justice pénale fonctionnel, il n’y a pas de procès et 85 % des prisonniers n’ont jamais été jugés ; l’unique production d’électricité dans le pays provient d’une entreprise privée appartenant à une famille haitienne de l’élite ; entre janvier et mars de cette année, 398 enlèvements et 1 634 agressions violentes - y compris les meurtres et les viols - ont eu lieu à Port-au-Prince ; de nombreuses personnes en Haïti n’ont pas de certificat de naissance et pas de papiers d’identité ; officiellement, ils n’existent pas ; un hôpital du quartier de Canape Vert, au sud de la capitale, rapporte qu’il traite quotidiennement plus de dix patients blessés par armes à feu.
Le peuple haïtien ne peut pas compter sur son gouvernement pour les services de base que chaque gouvernement est obligé de fournir à son peuple. L’État s’est effondré depuis longtemps.
Malgré tout cela, la communauté internationale tout au long de cette crise qui s’aggrave a été concentrée sur la question de savoir s’il fallait ou non fournir un soutien militaire à la police haïtienne, ce qui est la principale demande du régime d’Ariel Henry. C’est une demande profondément redoutée en Haïti comme une ruse de maintenir le régime au pouvoir et, par conséquent, de maintenir l’incapacité de faire face aux conditions désastreuses dans lesquelles le peuple haïtien est forcé de mener une vie misérable.
Les groupes haïtiens de défense des droits de l’homme et d’autres, qui aspirent à une vie meilleure, veulent le rétablissement de la sécurité, mais ils veulent aussi la justice et la responsabilité d’un gouvernement élu, soumis à la volonté du peuple et ayant des contrepoids, issus d’élections libres et équitables. Par conséquent, le début de toute réponse internationale à la crise haïtienne doit être la mise en place d’un gouvernement de transition légitime, composé de représentants de la société civile et de partis politiques.
Après trois jours d’une réunion ratée du 11 au 13 juin en Jamaïque - à laquelle Henry a dû assister après avoir été amadoué - il était évident qu’il n’avait aucun intérêt à un véritable partage du pouvoir.
En ce qui touche aux gangs en Haïti, il convient de rappeler qu’ils ont été créés par des membres de partis politiques rivaux et de familles d’oligarques d’élite à leurs propres fins. Nourris par la cupidité et les ambitions des autres, ils sont devenus des forces ayant leur propre dynamique. Pour y faire face, il faut des stratégies prudentes et même des négociations qu’il convient de laisser à un gouvernement de transition qui jouit de la confiance d’un large échantillon du peuple haïtien.
Pour donner au pays la chance dont il a désespérément besoin, et que le Dr Henry ne peut clairement pas fournir, il devrait envisager de se retirer pour faciliter la convocation des partis consentants à nommer un gouvernement de transition auquel ni lui ni aucun membre de son régime actuel ne devrait participer, à moins d’accord et d’acceptation par le regroupement à large base. Et ce devrait être le gouvernement de transition qui devrait fournir à la communauté internationale les besoins prioritaires du pays, en offrant des garanties contre la corruption et l’utilisation abusive des ressources politiques.
[1] Sir Ronald Sanders est ambassadeur d’Antigua-et-Barbuda aux États-Unis et à l’Organisation des États américains. Il est également chercheur principal à l’Institute of Commonwealth Studies de l’Université de Londres et au Massey College de l’Université de Toronto.