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Violences des gangs : Le mouvement Bwa Kale, un symptôme de la faillite du système judiciaire en Haïti, dixit l’expert indépendant William O’Neill

P-au-P, 29 juin 2023 [AlterPresse] --- Le mouvement de résistance populaire Bwa Kale représente un symptôme de la faillite du système judiciaire en Haïti, estime l’expert indépendant de l’Organisation des Nations Unies sur la situation des droits humains en Haïti, l’Américain William O’Neill, en conférence de presse donnée le mercredi 28 juin 2023, à Port-au-Prince, à la fin de sa première mission de 10 jours en Haïti, et à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.

« L’histoire a montré que la justice populaire et ses nombreuses dérives n’avaient jamais permis de résoudre la violence », a déclaré William O’Neill en visite officielle en Haïti, du lundi 19 au jeudi 29 juin 2023.

Il souligne combien la population pourrait contribuer à endiguer les gangs armés, en fournissant plutôt des renseignements précieux à la police.

Du lancement, le lundi 24 avril 2023, d’un mouvement de résistance au sein de la population, dénommé Bwa Kale, au samedi 24 juin 2023, 204 présumés bandits et proches de gangs ont été tués sur le territoire d’Haïti, a relevé le Centre d’analyse et de recherche en droits humains (Cardh), dans un bilan actualisé.

155 membres présumés de gangs ont été exécutés dans le cadre de ce mouvement, dans le département de l’Ouest, 24 dans l’Artibonite, 12 dans la Grande Anse (une partie du Sud-Ouest d’Haïti), 5 dans le département du Plateau central, 2 dans le Nord-Est, un (1) dans le Nord, un (1) dans le Sud, un (1) dans le Sud Est, a précisé le Cardh.

L’organisme de droits humains demande aux autorités d’encadrer le mouvement Bwa Kale, en vue d’une sécurité durable, respectant les principes de l’État de droit, et d’éviter que la justice expéditive remplace la justice formelle.

L’urgence de garantir la sécurité

Désigné, le 12 avril 2023, par le Haut-commissaire des Nations unies aux droits humains (Hcdh), l’Autrichein Volker Türk, l’expert indépendant des Nations Unies des droits humains en Haïti, William O’Neill, « appelle les autorités de l’État à prendre toutes les dispositions nécessaires, avec le soutien de la communauté internationale, pour assurer la sécurité et la protection de la population, surmonter les lacunes institutionnelles structurelles et rétablir la confiance dans les institutions publiques ».

Pour sortir le pays de son impasse, il est urgent d’agir, recommande l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits humains en Haïti, William O’Neill.

« Le pays a le choix de se redresser, de démontrer sa volonté de surmonter la crise pour aller vers un avenir meilleur ou de se résigner et sombrer davantage dans le chaos ».

Par ailleurs, William O’Neill a aussi évoqué le régime de sanctions de l’Organisation des Nations unies (Onu), qui constitue, affirme-t-il, une étape importante pour lutter contre la corruption et l’impunité.

Ces sanctions doivent s’accompagner également de mesures, visant à traduire les auteurs devant la justice haïtienne.

Le Conseil de sécurité de l’Onu avait voté à l’unanimité, le vendredi 21 octobre 2022, une résolution établissant « un régime de sanctions spécifiques, ciblant les chefs de gangs armés, qui opèrent en Haïti, et tous ceux qui les soutiennent », en finances et en armes.

Ces mesures restrictives consistent, pour ces personnes, en l’interdiction de voyager, le gel de leurs avoirs et un embargo sur les armes pour les acteurs non étatiques, suivant le texte qui avait été approuvé par 15 nations.

Le gouvernement du Canada a imposé des sanctions, depuis novembre 2022, à 25 membres de l’élite haïtienne, en vertu du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti.

Le Canada et les États-Unis d’Amérique ont déjà sanctionné une soixantaine de personnes, depuis octobre 2022, pour financement des gangs, corruption et blanchiment d’argent, issu, entres autres, du trafic de drogue.

William O’Neill est aussi intervenu sur la corruption et la nécessité de reddition de comptes.

La transparence de l’information, y compris des comptes publics, est un prérequis essentiel pour lutter contre la corruption, avance-t-il.

L’effort d’assainissement du service public et de reddition de comptes doit être accompagné d’un cadre juridique, permettant un accès à l’information sans entrave, insiste l’expert indépendant sur la situation des droits humains en Haïti.

« Il est aussi nécessaire que l’État puisse protéger les journalistes, Haïti étant le deuxième pays de la région le plus dangereux pour cette profession ».

L’organisation Reporters sans frontières (Rsf) a pressé les autorités haïtiennes de tout mettre en œuvre, pour retrouver le propriétaire de la chaîne Télé Pluriel, Pierre-Louis Opont, ancien président du Conseil électoral provisoire (Cep, du 23 janvier 2015 au 28 janvier 2016), kidnappé le mardi 20 juin 2023, à Tabarre, dans une note.

L’enlèvement, le mardi 13 juin 2023, en sa résidence privée, par plusieurs individus armés, de la journaliste Marie-Lucie Bonhomme, libérée peu de temps après, et la disparition de son mari, Pierre-Louis Opont, montrent combien les journalistes et membres de médias ne sont en sécurité nulle part en Haïti, déplore Rsf.

En 2022, sept (7) journalistes ont été tués pour des raisons liées à leur métier en Haïti, rappelle l’organisation Reporters sans frontières.

Au terme de sa visite dans le pays, William O’Neill a aussi déploré le dysfonctionnement du système judiciaire, qui donne le flanc à l’aggravation du phénomène de détention préventive prolongée.

Plus de 83% des personnes incarcérées dans les différentes prisons haïtiennes, dont celles de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien, sont encore en détention préventive prolongée, sans avoir eu accès à un juge ou à un avocat, certains depuis plus d’une décennie, y compris des mineurs, souligne l’expert indépendant sur la situation des droits humains en Haïti.

Quoique très inquiet sur les réalités dramatiques et les violations systématiques des droits humains sur le territoire national, l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits humains en Haïti, William O’Neill, affirme, tout de même, garder espoir quant à une éventuelle amélioration de la situation des droits humains dans le pays.

"(...) j’ai trouvé des signes prometteurs pour contribuer au changement. J’ai été impressionné par les résultats obtenus par un directeur départemental de la Police nationale d’Haïti (Pnh) pour endiguer l’insécurité dans le département du Nord. J’ai noté les avancées rapides, déjà obtenues par le nouveau commissaire du gouvernement (près le tribunal civil) de Port-au-Prince, qui a suivi de près de nombreux dossiers et qui s’est engagé personnellement à rendre des comptes périodiquement sur les progrès réalisés ».

William O’Neill dit saluer ce qu’il appelle « les progrès accomplis par l’Unité de lutte contre la corruption (Ulcc), pour poursuivre les présumés auteurs de cas emblématiques, tout en soulignant les efforts réalisés par la Police nationale d’Haïti (Pnh) qui opère dans des conditions difficiles et des moyens limités. [ppsf emb rc apr 29/06/2023 12:10]