Par le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti (Rehmonco)
Transmis à AlterPresse le 22 juin 2023
Depuis le 1er mai 2023, les travailleuses et travailleurs du secteur industriel ont relancé une importante mobilisation pour exiger l’indexation de leurs salaires sur le taux de l’inflation. Cette levée de boucliers fait suite à la décision arbitraire du gouvernement de facto de procéder à une seconde augmentation du prix de l’essence à plus de 100%, conformément aux recommandations de Fonds monétaire international (Fmi).
Rappelons que les travailleuses et travailleurs reçoivent un salaire horaire de 0.55$ américain. En refusant d’indexer le salaire minimum en fonction de l’inflation, comme cela est indiqué pourtant dans le code du travail, l’État haïtien ne fait qu’aggraver la misère des travailleuses et travailleurs. Aujourd’hui, l’inflation tourne annuellement autour de 50%. Les travailleuses et travailleurs se trouvent ainsi dans une situation de survie et de misère abjecte.
Le 24 mai 2023, une mobilisation de travailleuses et travailleurs de la Société nationale des parcs industriels (Sonapi), située dans la capitale, Port-au-Prince, a été sauvagement réprimée par la Police nationale d’Haïti (Pnh). Une mobilisation tuée dans l’œuf, au prix de plusieurs blessés par balles, de coups de matraques et de gaz lacrymogènes toxiques.
Parallèlement, le patronat a renforcé les pratiques d’intimidation dans les différentes usines. Des travailleuses et travailleurs syndiqués sont arbitrairement licenciés pour raison syndicale, alors que d’autres sont menacés de révocation sans raison apparente.
Au sein de la Compagnie de développement industriel (Codevi) dans la ville de Ouanaminthe (Nord-Est d’Haïti), sur la frontière commune avec Dajabón (République Dominicaine), le contrôle des travailleuses et travailleurs prend une dimension que l’on peut qualifier de « totalitaire » [1], car ces travailleuses et travailleurs sont non seulement contraints de fournir des quotas de production faramineux, mais elles et ils sont également soumis à un régime de disciplines allant au-delà des activités de travail. Elles et ils sont surveillés dans l’intimité de leur corps et de leurs choix vestimentaires.
Pour mener à bien ce contrôle infantilisant, le patronat dispose de sa propre milice. En effet, un contingent d’hommes cagoulés lourdement armés surveille les travailleuses et travailleurs, jusque même dans leur façon de s’habiller. Ces agents du patronat s’arrogent le droit de juger de la convenance de leurs vêtements. Ils se servent de l’autorité, qui leur a été octroyée par les patrons, pour non seulement intimider, réprimer, mais également harceler sexuellement les travailleuses.
Cette surveillance dégradante a tourné au drame, le jeudi 15 juin 2023, lorsque la milice du patronat a empêché une travailleuse de gagner son poste, sous prétexte que sa tenue vestimentaire aurait été non conforme. Face à la protestation des autres travailleuses et travailleurs, des agents de la Police nationale d’Haïti, appelés en renfort par la milice du patronat, ont ouvert le feu à bout portant sur les travailleuses et travailleurs. Plusieurs personnes sont mortes, dont un adolescent de 14 ans [2] .et deux ouvriers. La sanglante fusillade a fait également plusieurs blessés graves parmi les travailleurs et travailleuses. Les habitantes et habitants résidant dans le voisinage du parc industriel sont également atteints par les balles assassines de la Police nationale [3].
En dépit de la gravité du drame, le patronat a manifesté une grande indifférence par rapport au massacre des ouvrières et ouvriers dans leur lieu de travail, puisqu’il se contente d’annoncer la fermeture de l’usine pour une enquête administrative (Ndlr : Entre-temps, les responsables de la Codevi ont décidé de reprendre les activités, le jeudi 22 juin 2023, dans les usines à Ouanaminthe). Dans sa note de presse, il ne fait aucune mention des meurtres crapuleux et des blessés [4] .
Soulignons que l’État haïtien fait montre d’un silence complice. Le Ministère des affaires sociales et du travail (Mast) a déclaré ouvrir une enquête administrative, alors qu’aucune disposition n’a été prise pour inculper les auteurs et commanditaires de ce massacre. À l’instar de la prolifération des gangs dans le pays, les autorités gouvernementales font fi du fait que le propriétaire de la Codevi crée une milice d’hommes armés pour intimider, réprimer et harceler les travailleuses et les travailleurs. Livrés à la brutalité démesurée du patronat et de ses sbires, les syndicalistes s’interrogent sur la volonté de l’État haïtien de « remettre en vigueur le code noir » de l’ère esclavagiste [5] .
Face à cette situation, le Rehmonco dénonce et condamne avec véhémence la répression sanglante du patronat de la Codevi contre les travailleuses et travailleurs. Il prend au sérieux l’interrogation des syndicalistes, qui associent l’indifférence de l’État haïtien à une volonté de transformer les travailleuses et travailleurs en esclaves des bourgeois locaux et des firmes multinationales. Le carnage du jeudi 15 juin 2023 met en lumière le vrai visage de l’État haïtien, lorsque des unités de la Police nationale ont tiré sur les travailleuses et travailleurs. Soulignons que la Police nationale est sous le commandement du gouvernement de facto. En septembre 2022, elle s’est associée à un contingent de l’armée dominicaine pour réprimer une protestation dans le parc industriel de la Codevi.
Le Rehmonco salue la mémoire des victimes et encourage les syndicats à poursuivre la lutte, non seulement pour obtenir justice et réparations pour les familles des victimes, mais également pour contraindre l’État et le patronat à mettre en place de meilleures conditions de travail.
Pour authentification,
Renel Exentus,
Frank W. Joseph
Montréal, le 22 juin 2023
Contact : rehmoncohaiti1915@gmail.com
[1] En 2004, l’État haïtien a fait une concession de 80 hectares de terres à la Compagnie de développement industriel (Codevi) appartenant au groupe dominicain M (Grupo M) pour l’établissement d’une zone franche industrielle de sous-traitance dans la commune de Ouanaminthe. Ce projet a été conduit par le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide. Pour plus de précisions, consulter le lien suivant : https://lenouvelliste.com/article/223074/linstallation-de-la-codevi-a-ouanaminthe-quels-impacts-pour-la-ville-apres-16-ans-de-fonctionnement
[2] Pour plus de précisions, voir le lien : https://www.alterpresse.org/spip.php?article29386
[3] Plusieurs unités de la police, dont Polifront et la Brigade d’intervention, ont participé dans le massacre des ouvrières et ouvriers au parc industriel Codevi, le jeudi 15 juin 2023
[4] Pour plus de précisions, voir le lien : https://www.alterpresse.org/spip.php?article29386
[5] Communiqué de presse de Confédération des travailleurs haïtiens (Cth) et Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (Ctsp), le 19 juin 2023, sur le massacre des travailleur.es dans le parc industriel de la Codevi