P-au-P, 13 juin 2023 [AlterPresse] --- L’aide financière des Etats-Unis d’Amérique à Haïti est insuffisante pour lutter contre l’aggravation dramatique de l’insécurité alimentaire dans le pays, analyse l’économiste et professeur Camille Chalmers, directeur exécutif de la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (Padda), Camille Chalmers, dans une interview accordée à la plateforme AlterPresse/AlterRadio.
Le niveau financier de l’aide ne correspond pas du tout à l’ampleur des problèmes. Car, le nombre de personnes se trouvant dans une grave insécurité alimentaire a plus que doublé, de 2016 à 2023, souligne Chalmers.
Il faut des investissements assez importants, pour arriver à combattre et renverser cette tendance, suggère-t-il.
L’aide de plus de 64 millions de dollars américains, offerte à Haïti, par le gouvernement étasunien, pour adresser les problèmes humanitaires et agricoles, ne changera rien de fondamental dans le pays, prévient Chalmers.
Ce financement a été annoncé par la vice-présidente des États-Unis d’Amérique, Kamala Harris, lors d’une rencontre de chefs d’État et de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (Caricom), tenue à Nassau (Bahamas), le jeudi 8 juin 2023.
Avec cette aide, les mêmes erreurs et les choix négatifs, ayant amené Haïti dans sa situation de dépendance extrême, vont se reproduire, anticipe l’économiste Chalmers.
Même si cet argent peut aider à résoudre des problèmes ponctuels, en termes d’accès à la nourriture pendant quelques jours, elle ne résoudra pas, pour autant, le problème de la faim, nuance-t-il.
Cette aide financière est incapable de mettre la population dans une situation de sécurité alimentaire, insiste-t-il.
Cet argent va servir, de préférence, à financer la machine de l’aide et à fabriquer beaucoup plus de dépendance et de pauvreté dans le pays, augure le directeur exécutif de la Padda.
Le fonds de 10 millions de dollars, annoncés pour remembrer le secteur agricole, entre dans la même ligne politique que l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) applique depuis longtemps, relève-t-il.
Le fonds américain pourrait « appuyer, probablement, les exportateurs de mangues, de café, de cacao, tandis qu’en général ces fonds n’aident pas les paysans à produire pour eux et le pays ».
Forte dépendance alimentaire d’Haïti
La Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda) critique le dumping de certains produits, comme le riz.
Une pratique de dumping, qui affaiblit, de façon dramatique, la capacité d’Haïti de nourrir sa population.
Le pays était dans l’autosuffisance en céréales à 98% vers les années 1972.
Aujourd’hui, Haïti importe des États-Unis d’Amérique 85% du riz consommé. Elle est devenue le deuxième pays plus gros importateur de riz américain au monde, avance la Papda.
C’est un changement structurel, qui veut dire que l’une des dépenses alimentaires, qui domine le panier, concerne l’achat de riz importé, ajoute-t-elle.
« Aujourd’hui, nous importons près de 450 à 500 miles tonnes métriques de riz américain. C’est un marché important et considérable, qui devrait servir de levier pour, justement, dynamiser la production céréalière nationale et permettre la construction de systèmes d’irrigation », explique-t-elle.
Plaidoyer pour un autre modèle économique
Il faut financer la production alimentaire, l’économie paysanne et de nouveaux mécanismes pour un autre modèle de consommation, recommande la Papda.
L’économie paysanne devrait permettre un renversement total par rapport à la politique américaine envers Haïti depuis 40 ans, poursuit-elle.
Le pays possède d’énormes potentialités pour produire suffisamment de nourriture, capable de nourrir la population. Mais, il faut une politique économique, macroéconomique et sectorielle au niveau de l’agriculture, conseille-t-elle.
La Papda dénonce la mise en place des politiques anti-paysannes, anti-production, qui engendrent un effondrement économique.
Haïti figure, avec trois pays d’Afrique (Burkina Faso, Mali et Soudan), où le niveau d’alerte par rapport à la famine reste très élevé, avait signalé un nouveau rapport, publié, le lundi 29 mai 2023, par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) et le Programme alimentaire mondial (Pam).
4 millions 900 mille Haïtiennes et Haïtiens en situation d’insécurité alimentaire nécessitent urgemment une assistance humanitaire pour la période de mars à juin 2023, avait aussi alerté la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa), dans un document publié, en mars 2023, sur son site.
Cette aggravation du niveau d’insécurité alimentaire en Haïti résulterait de la flambée des prix, liée à la forte volatilité de la gourde par rapport au dollar américain, l’expansion de la violence des gangs armés, qui paralyse de plus en plus les activités économiques dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, dans la péninsule Sud et dans une bonne partie du grand Nord, explique la Cnsa. [je mff emb rc apr 13/06/2023 10:40]