Par Eddy Cavé, Leslie J-R Péan, Alin Louis Hall, Robert Berrouet-Oriol, Michel Soukar, Henri Piquion, Gerta Pilate, Guylène Salès [1]
Soumis à AlterPresse le 7 juin 2023
La question est pertinente. Nous répondons immédiatement par l’affirmative. Aussi, souhaitons-nous du succès aux professionnels du livre et autres membres de l’intelligentsia du pays et de la diaspora qui organisent cette foire du livre à New-York les 10 et 11 juin 2023. Sans hésitation, nous disons donc « oui » à ces travailleurs de la pensée, tout en leur demandant de tendre la main aux jeunes femmes et hommes qui ont suivi l’appel de cette courageuse femme de Delmas 33 reprenant le mot d’ordre « Bwa Kale » à la Capitale. Une femme portée disparue aux mains des assassins et qui, casserole à la main, sonnait la générale pour qu’Haïti ne devienne pas « un territoire perdu » dans son intégralité, comme l’a déclaré hypocritement l’actuelle ministre de la Justice, en référence à certains quartiers, tels que Village de Dieu, aux mains des gangs.
Ces jeunes exigent la mise sur pied d’un véritable État de droit, dont la tâche fondamentale est d’assurer la sécurité de la population. Continuant les pratiques criminelles du mauvais tournant de 1957 et des macoutes de Duvalier, l’État bandi legal, émanation du délire martellyen, s’est mis à séquestrer les biens des citoyens, à kidnapper pour exiger des rançons et à semer la terreur en tuant indistinctement. Cette situation macabre, maintenue par un gouvernement en carton supporté par les commanditaires du cordon sanitaire, a alarmé le reste du monde, qui s’est prononcé, dans nombre d’instances internationales, en vue de trouver une solution, qui tarde à se concrétiser pendant que Rome brûle. L’essentiel est de trouver une cure à la panne d’inspiration dans la recherche d’un modèle social et économique qui ne reproduit plus la misère pour le plus grand nombre.
Rappelons aux vrais amis d’Haïti que la contribution des étrangers ne doit pas être en-deçà de celle du jacobin Sonthonax qui avait donné en 1796 aux nouveaux libres 20 000 fusils neufs en leur disant à chacun d’eux : « celui qui t’enlèvera ce fusil voudra te rendre esclave ». Réelle ou mythique, cette déclaration renvoie à un symbole clair. À cette étape, l’utilité et la nécessité du mouvement Bwa kale ne font aucun doute. Cette forme de résistance populaire au terrorisme et à l’insécurité des gangs, alliés naturels du pouvoir en place, doit éviter de se transformer en parti Bois kale et en son avatar mortifère et dégénéré, le parti Tèt kale, scatologie triomphante de la continuité du macoutisme. Si le slogan Bwa kale a une résonance avérée dans certains secteurs démocratiques et populaires, il n’en demeure pas moins un langage plutôt irrespectueux et grivois. Il importe de signer ses ambitions d’une nouvelle Haïti en faisant la rupture avec la vulgarité du Parti haïtien tèt kale (Phtk).
Les écrivains de la rencontre des 10 et 11 juin 2023 à New-York pourraient y réfléchir et proposer d’autres orientations et une gamme d’autres slogans à ce mouvement de légitime défense. Le soutien à cette forme novatrice de résistance populaire peut s’exprimer différemment, avec la même détermination sur le fond, mais nuancée dans la forme. Le même esprit de lutte contre la zombification doit présider autant dans la rue que dans l’ombre, chez ceux qui accompagnent cette levée populaire avec leurs poches, leurs plumes et leurs paroles. Parce que l’action engagée trouve ses fondements dans la recherche d’un idéal de justice et de démocratie, le feu d’artifices n’est pas complet, quand il lui manque l’étincelle que les intellectuels apportent à la cause populaire.
Les efforts pour réclamer le droit à la vie du peuple haïtien s’appuient sur les luttes de toutes les catégories sociales, agressées par les bandi legal et obligées de se défendre, par tous les moyens à leur disposition, contre les agressions d’un gouvernement issu du cartel politico-mafieux du Phtk néo-duvaliériste, qui roule et ondule pour les gangs. Ce camouflage ne peut plus continuer. On y retrouve l’affiliation malsaine de l’école populiste des malheurs, le masque des macoutes, le plumage du Cng du massacre des électeurs de la ruelle Vaillant et les mêmes visages, qui jalonnent la vie nationale depuis le départ forcé des Duvalier. Tout à la fois, on retrouve les traits et répertoires de ces régimes antérieurs, de droite comme de gauche, sans solutions aux problèmes qui taraudent la société.
Il importe aujourd’hui à la diaspora, contribuant pour plus d’un tiers de la richesse nationale, et aux intellectuels d’entrer dans le combat avec des machettes d’un autre ordre. Il est nécessaire d’organiser, sous de multiples formes, un large mouvement de soutien, à cette révolte d’une irrésistible puissance qui fait tache d’huile. Aussi, convions-nous nos écrivains de l’intérieur et de l’extérieur à armer la musicalité de leurs lettres, en commençant par adopter et publier une résolution à laquelle les soussignés apposent d’ores et déjà leurs signatures, manifestant ainsi le début d’une participation plus active à ce feu qui brûle pour purifier les esprits trop longtemps maintenus dans la peur, la répression et la mort.
Comme nos boat-people le savent bien, le bateau haïtien vogue dans la nuit et a besoin de tous les sémaphores pour éviter les égarements. La respiration de la pensée exige des horizons nouveaux, loin des étranges concordances qui animent souvent un « calbindage » de la parole. Dans toutes les dimensions possibles, amorçons les perspectives d’unité avec un peuple qui fait éclater à l’infini ses justes revendications. Démontrons notre amour pour lui en conciliant l’action et la pensée.
New York, le 7 juin 2023
[1] Eddy Cavé, historien, spécialiste de l’édition
Leslie J-R Péan, économiste, écrivain
Alin Louis Hall, historien, écrivain
Robert Berrouet-Oriol, Linguiste, écrivain
Michel Soukar, historien, écrivain
Henri Piquion, écrivain
Gerta Pilate, psycho-clinicienne, militante associative
Guylène Salès, éducatrice, militante de droits humains