P-au-P, 04 mai 2023 [AlterPresse] --- « Depuis l’année 2019, la croissance économique est de plus en plus négative en Haïti. Les perspectives de l’exercice fiscal 2023-2024 s’annoncent très sombres. Ça va très mal. Quel que soit l’élément d’analyse, que nous pouvons considérer dans l’économie en Haïti, nous verrons combien les indicateurs sont au rouge. Au niveau global, au niveau macroéconomique, ça va très mal… », relève l’économiste haïtien Enomy Germain, dans une interview à la plateforme AlterPresse/AlterRadio.
Les agentes et agents économiques se trouvent confrontés, en mai 2023, à un cycle d’instabilité des prix, notamment des prix des biens les plus essentiels à la consommation.
L’inflation, la vie chère n’est plus nommée, tant les prix varient d’un jour à l’autre. Il y a, sans cesse, une flambée excessive, une augmentation générale des prix de tous les biens.
La monnaie nationale, la gourde, tend à se déprécier, par rapport au dollar américain, malgré de légères appréciations, depuis quelques semaines, sur le marché national des changes.
Ce qui induit une perte, de plus en plus systématique du pouvoir d’achat des ménages, reconnaît l’économiste Germain.
Depuis plusieurs mois, un nombre indéterminé de personnes se sont vues, du jour au lendemain, en situation de chômage, de perte de leurs emplois, par suite de la fermeture de différents bureaux, services, entreprises de production, ou de la mise en disponibilité de personnels par suite de la débâcle économique, selon divers témoignages rassemblés par AlterPresse/AlterRadio.
« Nous ne disposons pas de chiffres sur le niveau de chômage. Mais, selon les données de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (Ihsi), le taux de pauvreté se situe au niveau de 60%, aujourd’hui en Haïti. Sur chaque 2 Haïtiennes/Haïtiens, nous retrouvons en moyenne une (1) personne, qui est dans l’insécurité alimentaire. Avec une telle réalité économique difficile, vers quel cheminement allons-nous » ?, s’interroge Enomy Germain
4 millions 900 mille Haïtiennes et Haïtiens, qui se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, nécessitent urgemment une assistance humanitaire, pour la période de mars à juin 2023, avait alerté la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa), dans un document, publié le 17 mars 2023 et consulté par l’agence en ligne AlterPresse.
Cette aggravation du niveau d’insécurité alimentaire en Haïti résulterait de la flambée des prix, liée à la forte volatilité de la gourde par rapport au dollar américain (Ndlr : US $ 1.00 = + 160.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.90 gourdes aujourd’hui), l’expansion de la violence des gangs armés, qui paralyse de plus en plus les activités économiques dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, dans la péninsule Sud et dans une bonne partie du grand Nord, expliquait la Cnsa.
Fin avril 2023, plusieurs madan sara (commerçantes grossistes), qui étaient allées s’approvisionner en produits alimentaires à Cabaret (à environ 37 km au nord de Port-au-Prince), ont dû payer beaucoup de droits de passage aux gangs armés, qui contrôlent, en toute impunité, cette partie de la route nationale No. 1, selon les témoignages recueillis par AlterPresse.
Ces marchandes ont été, alors, contraintes de se rendre aux Gonaïves (à 171 km au nord de Port-au-Prince), de passer par Ennery et Saint-Michel de l’Attalaye (autres communes du département de l’Artibonite), pour atteindre Saint Raphael et Pignon (département du Nord), avant de rejoindre Hinche, Thomonde et Mirebalais (département du Plateau central), jusqu’à emprunter le Morne-à-cabris, pour arriver à Port-au-Prince, avec les marchandises achetées au marché public de Cabaret.
Point besoin de mentionner la somme de débours financiers, qu’elles ont dû consentir, pour acheminer les produits alimentaires achetés, à partir de beaucoup de véhicules de transports publics.
Résultat. Ces madan sara n’ont d’autre alternative que d’intégrer les différents débours financiers effectués aux prix d’achat des produits alimentaires, sans oublier les multiples droits de passage entre Bon Repos et Cabaret, et d’ajouter un niveau de bénéfice pertinent aux prix de vente des produits alimentaires.
D’où des prix de vente exorbitants de différents biens essentiels, qui sont répercutés aux consommatrices et consommateurs, totalement méprisés par le régime de facto qui reste les bras croisés.
Parallèlement, pour traverser, avec des marchandises, la zone de Martissant (périphérie sud de la capitale, sous contrôle des gangs armés depuis le 1er juin 2021) – déclarée « territoire perdu » par le gouvernement de facto -, il faut trouver des véhicules de transports publics qui se chargeront de négocier les « droits de passage ».
Il en est de même pour les madan sara, qui s’approvisionnent en produits à Malpaso/Jimani (sur la frontiere de Malpasse). Elles doivent payer des « droits de passage » (aller et retour) au gang armé 400 mawozo, pour traverser Croix-des Bouquets (municipalité à environ 16 km au nord-est de Port-au-Prince).
Par contre, certaines personnes, qui le peuvent et qui résident à Léogane (à environ 40 km au sud de Port-au-Prince), de peur de traverser Martissant, essaient de prendre un avion en provenance et en direction des Cayes (à environ 200 km au sud de Port-au-Prince), pour des cas d’urgence…
Ce qui augmenterait les risques de pénurie..., de décapitalisation (propriétés abandonnées, investissements perdus, etc.), d’enfants qui se retrouvent sans repères, sans écoles…, de pressions familiales chez les proches, amis, qui acceptent d’accueillir ces milliers de personnes en détresse…
« Le véritable problème est l’accès aux biens. La population en Haïti n’a pas de pouvoir d’achat. L’inflation persiste. (Le taux de change de) la gourde tend à perdre de plus en plus de valeur par rapport au dollar américain. Les salaires ne peuvent pas être ajustés. Par conséquent, moins de citoyennes et de citoyens ont accès à la nourriture », fustige l’économiste Enomy Germain.
Enomy Germain fait état d’une détérioration accélérée (de jour en jour) de la balance commerciale en Haïti, qui importe plus qu’elle exporte.
En ce qui concerne la rareté de dollars américains dans les banques commerciales, Haïti généralement n’attirerait pas le dollar américain.
« C’est un pays qui a besoin de 5 milliards de dollars américains, qu’il n’arrive jamais à mobiliser, pour qu’il fonctionne. Haïti importe environ 5 milliards de dollars américains, mais elle exporte pour un milliard de dollars », explique l’économiste Enomy Germain.
« Notre plus grande source de revenus, ce sont les transferts privés. Or, les transferts sont en baisse. Le tourisme ne répond pas et les investissements directs de l’étranger n’arrivent pas. Lorsque nous analysons ces ensembles de faits, nous constatons qu’il y a vraiment une rareté de dollars américains », précise t-il.
Par ailleurs, « le coefficient de réserve obligatoire à la Banque de la république d’Haïti (la Banque centrale / Brh) est de 53%. Donc, sur chaque dépôt bancaire de 100.00 dollars, 53.00 dollars sont transférés dans la Banque centrale. Des montants qui restent, les banques commerciales font l’intermédiation, du formel à l’informel, c’est-à-dire les banques commerciales vendent le dollar américain sur le marché informel. C’est ce qui expliquerait la rareté de dollars américains dans les banques commerciales ».
La sécurité économique serait l’option de politique économique la plus importante, en ce moment, en Haïti, insiste l’économiste Enomy Germain.
« On ne saurait redresser l’économie en Haïti sans mettre fin à la criminalité, à l’insécurité ambiante. Tout ce qu’il faudrait espérer dépend de la situation de sécurité dans le pays. Si le climat sécuritaire s’améliore, l’économie en ressentira les effets. La sécurité est la véritable condition de mise en œuvre des activités économiques », souhaite l’économiste haïtien Enomy Germain, interrogé par la plateforme AlterPresse/AlterRadio. [tl je rc apr 04/05/2023 17:13]