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Haïti : Pour un meilleur accès à l’information crédible au profit des citoyennes et citoyens

Par Pierre-Antoine Chérilin*

8 janvier 2023, plusieurs médias, notamment sur les réseaux sociaux, ont rapporté que l’animal politique Joseph Lambert a été attaqué par des bandits au Bicentenaire. Un jour après, une image du concerné, montrant son œil gauche avec des pansements, a suscité une vague de réactions auprès des internautes.

Est-ce que l’ex-sénateur n’aurait pas été réellement victime ? S’agirait-il d’un montage, bien orchestré au profit de ses intérêts personnels ?

Par rapport à cette situation, une remise en question profonde de l’information, diffusée dans les médias (conventionnels), s’impose.

Quel niveau de confiance le public accorde-t-il aux médias d’information en Haïti ? Que fait la citoyenne/le citoyen pour bien s’informer, dans un contexte où il existe une méfiance quasi-totale du narratif officiel, construit à travers la presse, en général ? Quel est l’avenir de la notion « citoyen’ » face à cette matrice d’opinion fabriquée ou bien orchestrée, susceptible de mettre l’information, le socle de la démocratie en perdition, selon Fernand Terrou ?

Le 9 janvier 2021, dans un contexte d’insécurité généralisée dans le pays, les internautes ont lu, dans un « tweet » d’un journaliste de renom à Port-au-Prince :

« La base des 400 Mawozo a été complètement détruite par les policiers, lors d’une opération musclée ce samedi. Plus de 40 maisonnettes ont été fouillées, 8 véhicules récupérés et un bandit arrêté. Lanmò 100 jou, Azoukin et black Ronald, traqués et recherchés, ont pris la fuite ».

Par ou pour quels motifs un journaliste a-t-il pu déclarer, sans aucune rectification par la suite, que la bande de criminels, exerçant à Croix-des-Bouquets, fut complètement détruite ? Se rappelle-t-on combien de kidnappings, viols de femmes, massacres, destructions de biens perpétrés par ce gang armé à Croix-des-bouquets et ses environs, de janvier 2021 jusqu’ à aujourd’hui ? Pourquoi un tel narratif pour informer d’une opération, menée par la police ?

Plusieurs documents de référence internationale nous montrent la place de l’information dans la prise de décision des citoyennes et citoyens, concernant leur avenir sur tous les points de vue. Donc, elle constitue, pour eux, un élément fondamental.

Que se passera-t-il quand l’information diffusée dans les médias est motivée par des intérêts politiques et économiques débridés ?

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), l’éthique de l’information trouve son fondement sur les principes se rapportant à la déclaration universelle des droits humains, comprenant le droit à la liberté d’expression, l’accès universel à l’information, le droit à l’éducation...

La promotion de valeurs et de principes, fondés sur les droits humains fondamentaux, est nécessaire au développement d’une société de l’information équitable.

Nous pouvons constater que l’organisation ou la production de l’information, à travers la presse en Haïti, se trouve dans une forme de « perdition déontologique » et, de fait, occasionne l’oubli systématique de la citoyenne et du citoyen. Dans ce cas, l’avancement de la démocratie en Haïti se trouve dans un périlleux chemin.

L’information, reçue et consommée par les citoyennes et citoyens, peut être comme un thermomètre, pouvant mesurer la santé de la démocratie.

A bien observer, l’information, produite dans la presse parlée et écrite en Haïti, se trouve coincée dans un étau.

Il est difficile de décrire exhaustivement cet étau.

Mais, nous pouvons, quand même, parler de l’usage abusif des genres journalistiques, de la mauvaise cohabitation entre l’information et la publicité dans les médias, du problème de loi protégeant les travailleuses et travailleurs de la presse, en matière d’enquête, des soupçons sur quelques patrons de médias en connivence avec des narcotrafiquants, de l’entremêlement entre les travailleuses/travailleurs de la presse et des hommes forts des secteurs politique et économique, de la précarité économique des travailleuses et travailleurs de la presse, etc.

Conscients du rôle de l’information pour le citoyen dans son plein exercice de ses droits civils et politiques, nous nous demandons quel est l’avenir de la démocratie en Haïti, quand ce ferment se trouve dans cette situation aussi critique ?

Ne sommes-nous pas dans une forme de concrétisation de l’oubli de la citoyenne et du citoyen en Haïti ?

Paradoxalement, le rôle des médias d’information dans l’exercice de la démocratie est d’autant plus devenu un sujet important pour la citoyenne et le citoyen.

La citoyenneté constitue l’ensemble des conduites, par lesquelles l’individu s’investit dans la communauté politique ou un régime démocratique représentant ainsi une dimension importante de sa participation politique de la cité. Elle repose sur ce que nous avons aujourd’hui comme système démocratique, l’octroi aux individus d’une série de droits issus de diverses traditions philosophiques. Ces droits sont chargés de garantir et de promouvoir la liberté politique des citoyennes et citoyens. Elle recouvre les processus et les codes sociaux, par lesquels l’individu est reconnu comme membre du corps social.

Comment la citoyenne haïtienne / le citoyen haïtien peut-elle/il apporter sa contribution au corps social, en étant exposé à des informations mensongères ou manipulatoires ?

Dans le cadre de l’exercice de son droit politique, comment va-t-elle/il faire valoir son point de vue, changer ou confirmer les gouvernants, ou encore, dans le cadre d’un référendum, décider des grandes orientations de la politique nationale ?

Dans cet état de fait, nous sommes dans un carrefour très difficile, où l’information (au sens besoin) est devenue de plus en plus rare. C’est une privation, qui augmente sur tant d’autres. Depuis plusieurs décennies, le pays fait face à des crises multidimensionnelles, atteignant leur paroxysme, pendant ces 10 dernières années, avec l’accession du régime du Parti haïtien tèt kale (Phtk) au pouvoir.

La population haïtienne a, en maintes fois, démontré sa détermination pour un retour à un ordre démocratique. Des efforts, qui n’ont pas atteint, jusqu’à présent,, les résultats souhaités, car cette lutte s’avère plus complexe avec la complicité de plusieurs secteurs, dont la presse.

Observons le fossé grandissant, qui existe entre les citoyennes et citoyens et les médias (traditionnels), phénomène régulièrement attesté par plus d’un dans les opinions. Ce qui nous ramène aux dérives et manquements, de plus en plus fréquents dans ce secteur, manifestement encouragés par la course à la rentabilité et à l’information-spectacle.

Le combat pour l’avancement de la démocratie en Haïti ne saurait être mené, sans un effort pour un meilleur accès à l’information crédible au profit des citoyennes et citoyens. La démocratie et l’information sont consubstantielles.

Le métier du journalisme est-il en danger en Haïti ? La quête de l’information crédible par les citoyennes et citoyens est-elle dans une impasse ?

Aujourd’hui, est-ce que l’information doit être fatalement et exclusivement rentable ou être d’abord au service du public ? Combien de fois assistons-nous à cette déception croissante de nombreux jeunes journalistes vis-à-vis d’un métier qui correspond de moins en moins à leur idéal ?

Comment pallier aux contraintes, liées à l’alourdissement de la production journalistique en Haïti ? Que faire pour encourager l’émergence d’un souci de réforme importante au niveau structurel, organisationnel et légal, afin de favoriser un meilleur engagement social des médias et des journalistes dans le pays ?

Les citoyennes et citoyens ont perdu la confiance qu’ils devraient accorder aux médias.

Il faut un combat plus important pour l’accès à la bonne information en Haïti.

* Communicateur social