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Les États-Unis aux prises avec Wagner en Haïti ?

P-au-P., 14 avril 2023 [AlterPresse] --- L’éventualité de la présence en Haïti d’émissaires russes, liés au groupe Wagner, représenterait un challenge important pour les États-Unis d’Amérique, alors que les pays occidentaux font preuve d’incapacité, momentanément, à contribuer à une résolution de la crise haïtienne, qu’ils auraient en partie alimentée, observe l’agence en ligne AlterPresse.

Cette observation se précise suite à la circulation récente d’une série de documents secrets des services de renseignement américains, ayant révélé que le groupe armé international russe Wagner aurait l’intention d’étendre sa présence en Haïti, considérée comme faisant partie de la zone d’influence des États-Unis.

Wagner est présenté par les occidentaux comme un groupe privé de mercenaires, lié directement au président russe Vladimir Poutine, tandis que la Russie soutient qu’il s’agit d’une structure de volontariat.

Alors que les responsables américains se demandent en privé si Wagner a la capacité de déployer des effectifs en Haïti, compte tenu de ses pertes en Ukraine et de ses engagements à l’étranger, les observateurs de la situation en Haïti estiment qu’ils devraient néanmoins s’inquiéter, lit-on dans un article publié cette semaine sur le sujet par le Miami Herald.

Selon les documents secrets divulgués, Wagner, accusé d’ingérence et de déstabilisation des pays d’Afrique par le département du Trésor des États-Unis, prévoyait d’envoyer, discrètement, des émissaires en Haïti, pour rencontrer le gouvernement de facto, au sujet d’un contrat privé visant à lutter contre les gangs, qui sèment la terreur à travers le pays.

Le rapport des services de renseignement américains date de février 2023, le même mois où, selon un autre document, le personnel de Wagner s’est rendu en Turquie pour acheter des armes et des équipements destinés à leurs forces au Mali et en Ukraine, précise le journal étasunien Miami Herald.

Un haut fonctionnaire du gouvernement de facto en Haïti a déclaré au Miami Herald « qu’il n’y avait eu aucune discussion entre un représentant de Wagner et le premier ministre Ariel Henry, qui a demandé l’aide de la communauté internationale pour le déploiement d’une force armée spécialisée ».

Mais, ajoute le quotidien floridien, « la source, notant que Henry n’a aucun intérêt à utiliser des mercenaires, a reconnu que cela ne signifiait pas que les émissaires russes n’avaient pas été en contact avec d’autres personnes en Haïti ».

Membre du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie occupe la présidence tournante pour le mois d’avril 2023. Elle a déjà démontré qu’elle ne manquait pas une occasion d’utiliser la détérioration de la sécurité et la crise humanitaire en Haïti, pour critiquer les États-Unis ou la communauté internationale pour l’échec de leurs politiques, souligne le journal.

« Les Russes, où qu’ils soient, vont profiter de toute faiblesse perçue, et Haïti est une faiblesse perçue », considère Luis G. Moreno, ancien ambassadeur américain par intérim (2001- 2004) en Haïti, qui s’est confié au Miami Herald.

« Poutine est de plus en plus désespéré et je suis sûr qu’il voit ici une occasion de nous donner du fil à retordre. Je suis sûr qu’il le fera ».

Luis G. Moreno a déclaré qu’il ne voyait pas le gouvernement de facto en Haïti, actuellement en difficulté, travailler avec Wagner, qui a été sanctionné par le département du Trésor des États-Unis.

Luis G. Moreno rappelle, toutefois, combien la Russie (anciennement l’Union soviétique) avait mené des actions de déstabilisation dans certaines parties de l’Amérique latine.

Il ne serait pas surpris d’un retour à ses anciennes habitudes, en ce qui concerne Haïti, « véritable talon d’Achille de Washington ».

De son côté, Evan Ellis, spécialiste de la Russie et professeur d’études latino-américaines à l’Institut d’études stratégiques de l’U.S. Army War College, a déclaré qu’il ne pensait pas que la Russie disposait actuellement des ressources nécessaires, pour étendre sa présence au-delà de la guerre en Ukraine, mais qu’elle avait la capacité de proférer des menaces symboliques à l’encontre des États-Unis.

Le journal rappelle l’offre « surprenante » du Kremlin, en mars 2021, d’« aider les Haïtiens à rétablir la stabilité politique, à maintenir la sécurité intérieure et à former le personnel ».

Trois mois plus tard, le président de faccto en Haïti, Jovenel Moïse, avait accueilli le nouvel et troisième ambassadeur de la Fédération de Russie, accrédité en Haïti, Sergey Melik-Bagdasarov.

Le mois suivant, le 7 juillet 2021, Jovenel Moïse a été assassiné de 12 balles dans sa résidence privée à Pétionville (périphérie est), après qu’un groupe d’Américains d’origine haïtienne, de ressortissants haïtiens et d’anciens soldats colombiens ont « échoué à le kidnapper » deux semaines plus tôt, alors qu’il rentrait d’un voyage en Turquie, une visite dont l’objet reste entouré de secret.

La Russie tentait déjà d’user de son influence avant même la mort de Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021.

Mais, observe le Miami Herald, comme les États-Unis sont distraits par la guerre en Ukraine et qu’ils échouent dans leurs tentatives d’endiguer la crise haïtienne, l’administration politique à Moscou semble désormais prête à intensifier ses efforts.

Le journal rapporte aussi combien l’opinion publique en Haïti serait actuellement plus favorable à un engagement international russe, pour contribuer à résoudre la crise, qu’à celui des États-Unis ou du Canada, qui tente d’assumer un certain leadership.

Au niveau de la classe politique, la Russie bénéficie du soutien de l’ancien sénateur Jean-Charles Moïse, un dirigeant de l’opposition.

Jean-Charles Moïse a eu à conduire des manifestations de rue, en agitant des drapeaux russes, et a annoncé une visite, en février 2023, en Russie, dans l’espoir de nouer des liens plus étroits. [apr 14/04/2023 12:00]