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Haïti, Jean Dominique : Éthique et esthétique radiophoniques

Par Gotson Pierre

P-au-P., 02 avril 2023 [AlterPresse] --- Voilà 23 ans que disparaissait Jean Dominique, directeur de Radio Haïti Inter, exécuté en compagnie du gardien Jean-Claude Louissaint, sur la cour de la station à Delmas (périphérie est).

Interminable silence de la justice, depuis ce jour sombre du 3 avril 2000. Mutisme forcé aussi d’Haiti Inter, dont l’expérience s’est achevée brusquement, en 2003, dans la tourmente.

Parole libre, parole critique, qui ne survit que dans des archives virtuelles. Mais heureusement.

Ces émissions précieuses montrent à quel point le célèbre journaliste, aux commandes d’une station phare de toute l’histoire médiatique d’Haïti, était porteur d’un idéal radiophonique.

Dire à la radio, principal espace de parole en Haïti, ne saurait être divaguer.

Parole conséquente, exprimant des réalités vraies, quantifiées, comparées. Affirmées avec des données nuancées, contextualisées. La qualité. Un b.a.-ba plus facile à énoncer qu’à appliquer.

Facilité : jouer sur le sensationnel, diffamer et appeler à la haine !

Mais, travail ardu pour faire preuve de responsabilité et prudence dans la manipulation d’un outil sensible. Arme à double tranchant, comme on a pu le voir hier et comme on l’observe aujourd’hui. Dommage.

Polémiste mordant, Jean Dominique, c’est tout autant l’argument et la beauté dans l’expression. Pour capter l’attention, mais surtout pour cultiver un dire constat, articulé à la réflexion.

Le langage pour le dire est fabriqué avec des mots de tous et de toutes. Ceux-ci se retrouvent dans les bouches indistinctes, mais aussi sur les étagères de bibliothèques.

Parole alerte, consistante et élégante. Une manière certaine de la porter.

Parole organisée, intimement liée à l’expression et la création culturelles, aux bruits et silences de la vie, pour produire du sens. « Pawòl pale, pawòl konprann ».

Valable pour un éditorial, une interview, un reportage, une fiction radiophonique, etc. En « live » comme en production.

Ne rien laisser au hasard. Rien qui puisse attirer l’oreille. Rien qui puisse alimenter, dynamiser l’esprit. S’exprimer tout en étant attentif. En pensant à l’auditoire.

Jean Dominique avait, certes, les yeux rivés sur un idéal de journalisme libre, indépendant, engagé en faveur de la démocratie et du progrès. Mais aussi sur l’éthique et l’esthétique d’une radio intelligente et belle. Qu’il faudrait enseigner en urgence aux générations d’aujourd’hui et de demain.

Voilà pourquoi les années passent, les époques changent, et, dans l’Haïti de maintenant, il nous manque. [gp apr 02/04/2023 15:00]