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Un poète ne meurt jamais...

Par Y. P. Augustin

Soumis à AlterPresse le 21 juillet 2005

La chanson du poète a jailli en éclats de lumière...
La chanson du poète a pénétré l’éternité du silence
Et n’est plus que parfum
Dans l’univers de nos mémoires.

La chanson du poète a pris le dernier train,
Sur le quai de la solitude elle a laissé ses empreintes,
Rien qu’un râle sur les lèvres des roses muettes
Et un envol de colombes pour libérer la parole ;
Le temps s’est achevé avec l’aube de ton sommeil
Un martyr de plus dans le lit des étoiles.

Hier encore tu parlais du pays torturé,
Mis en croix,
Tu parlais de ces fragments d’êtres
Livrés à la barbarie des bourreaux sans visage,
De l’errance de nos âmes
Qui se réfugient dans les pétales des souvenirs,
Et des quartiers sordides où la misère
A épousé la haine et enfanté le deuil.
Tu nous contais tes fantasmes de visionnaire :
Le rire en arc-en-ciel des enfants nus, abandonnés,
Leur regard plein-soleil, leurs jeux, leurs chansons de cristal,
Et leur cri dans le jour
Plus haut que le vol des hirondelles...

Qui es-tu, poète
Sinon un veilleur de tous les âges, un attrapeur de rêve,
Un rongeur de silence, un peintre qui esquisse
Le bonheur sur les palettes de la souffrance ?

Mais l’aube a pris naissance
Pour que la fleur de ta vie s’étiole
Et le jour a trahi ce qui reste de toi...
Aujourd’hui entre nous : l’épine de la violence
Et ce sommeil brutal avec des nuages de sang
Qui éloignent de nous l’image de ta vie...
Quatorze juillet de larmes, quatorze juillet de deuil...

Je ne reconnais plus le visage en lambeaux
De cette portion d’île que tu évoquais,
L’ombre de la discorde a éclipsé nos joies
Et nos corps naufragés
Cherchent vainement le port où jeter l’ancre
De nos espérances utopiques...

Au plafond de la nuit, des étoiles ne sont plus épinglées
Pour guider notre marche...
Ainsi meurt ta chère île, ton berceau, ta folie.
Ta terre de poète, ta terre noyée de sang,
Du sang de tes enfants...
Pourquoi tant de douleurs
Et pourquoi tant de crimes ?

Je porte ton départ comme une brûlure dans ma chair,
Dans ma chair de poète
Et je pense à l’exil, au voyage triangulaire,
Au hurlement des chaînes,
Aux graffitis de haine sur nos corps étampés,
Et j’ai vu ton destin lié au destin
Du peuple de l’île qui fut ta portion d’île :
Tu es mort enchaîné, brûlé et torturé.

Mon cœur près de ton cœur converse
Dans la solitude creuse de ce monde inconnu
Il y a les couleurs de l’automne,
La douleur que toi seul peut décrire,
Le visage ravagé de ton père triste,
La souffrance de la fille violée,
Le désarroi de l’enfant orphelin,
La morsure du rire de l’assassin,
La potence,
Les rosiers ensanglantés, criblés de balles,
La misère avec ses mains tendues,
La parole fauchée à fleur de lèvres,
Le martyr qui fut toi, qui est moi,
Le penseur en toi, en moi...

Et parce que le poète ne meurt jamais,
Je viendrai libérer les oiseaux par milliers
Et les milliers d ‘images encagés dans ta pensée,
Je viendrai ramasser les haillons de tes rêves
Et les fragments de mots pour recréer
Ma terre de feu, de cendre et de souffrance ;
Je viendrai chercher l’écho de ta chanson
Dans la débâcle de nos violences
Et dans le quotidien meurtri par nos rancœurs multiples.

Ils t’ont coupé la langue pour t’arracher les mots,
Mais n’ont pas ce pouvoir de torturer ton âme...

Le poète que tu es a traversé la mer rouge de notre sang,
Le poète que tu es a frôlé l’intimité des nuages,
Le poète que tu es a couvé l’espoir au bord du crépuscule,
Le poète que tu es a étreint le silence,
Le poète que tu es a palpé ce jour
Qui s’ouvrira avec la liberté...

Le poète que tu es ne meurt jamais...