Par Gary Olius*
Soumis à AlterPresse en mars 2023
Le meilleur pied de nez que des pays comme Haïti pourraient faire à l’occident serait de cesser de sacraliser ses inventions sociales, sociétales et politiques, puisqu’une fois que cet occident ait la certitude que les gens de ces pays y croient vraiment, il en fait un outil stratégique de domination insoupçonnable et, de surcroit, acceptable. Les maitres à penser et les décideurs de cette partie privilégiée du monde ont l’art de piéger les sociétés snobées dans tout ce qu’elles sacralisent, un peu comme on immole par dévotion un idolâtre aux pieds de son idole.
Par exemple, c’est une chose noble, le fait d’être épris de démocratie et de droits humains et, comme en réalité, on trouve en Haïti des gens qui cultivent un attachement viscéral pour ce modèle de gouvernance politique. Malheureusement, on y trouve aussi des ultra-zélés qui se croient plus démocrates que le plus démocrate de la plus grande démocratie du monde. Bien souvent, ce sont eux qui avaient ou ont encore le don et les moyens d’influencer les grandes décisions concernant le présent et l’avenir du pays. Leur amour fou pour la démocratie et les droits humains, cristallisé dans la constitution de mars 1987, est devenu le socle mortaisé d’une démocratie (à l’haïtienne) qui n’existe que dans leur esprit suffisant. Toutefois, aucun de ces super-démocrates, devenus conseillers ou décideurs au hasard d’une circonstance, ne soupçonnait pas le fait que les droits humains pourraient être manipulés et instrumentalisés pour favoriser l’éclosion du grand banditisme, tout comme la démocratie pourrait devenir un sacré prétexte pour donner un accès illimité au pouvoir politique à des nullards et à des têtes brulées.
C’est dans cette logique singulièrement piégeante qu’au nom d’une certaine forme de « féminolâtrie », dont la société haïtienne raffole, que les USA et l’ONU nous ont accroché à la gargamelle deux superbes dames (Sisson et Lalime) qui nous ont fait voir de toutes les couleurs. Et, pour avoir chanté ou fredonner à cœur joie pendant longtemps "donnez le monde aux femmes", la société haïtienne (dans sa grande majorité) se voyait contrainte de s’embarrasser d’un drôle de complexe qui l’a poussé à mettre une sourdine dans sa façon de dénoncer les bêtises accouchées par ces deux grandes ‘bêtiseuses’ internationales.
Sur la base de l’énorme succès engrangé, les USA se sont empressés de rééditer une autre expérience de la même trempe, pour faire face à l’aggravation de la crise haïtienne, depuis la disparition pitoyablement planifiée du président Jovenel Moïse. Au nom d’une négrité feinte, servant de paravent pour dissimuler une démarche résolument racistoïde, l’équipe de Joe Biden n’a pas vu mieux que de choisir Bryan Nichols, comme son envoyé spécial dans le dossier haïtien. C’est un choix gagnant et un coup de maître, puisque l’attitude de ce petit commandeur et bon nombre de ses actions seraient ouvertement qualifiées de racistes si c’était un blanc (comme Kenneth Merten) qui siégeait à ce poste. Les américains savent, autant que nous, que les bourreaux noirs sont exemptés de facto de ce genre de qualificatif sur la terre de Dessalines.
Qui sait, un homme blanc n’aurait jamais réussi à convaincre Madame Manigat, cette intellectuelle de la plus belle eau, d’accepter de jouer la figurante dans une structure de gouvernance fantôme (HCT, 2023) dépourvue de tout (selon ses dires), au risque de gommer le passé de sa famille, bien connue pour son sens élevé de l’honneur. Helen Lalime l’a fait avec une facilité déconcertante. Oui, c’est peut-être la preuve que la sacralisation des valeurs fabriquées sur mesure par l’occident peut nous piéger, nous complexer et nous porter à mettre en veilleuse nos meilleures qualités humaines.
Dans le dossier haïtien, il y a lieu de dire que les Américains, les Canadiens et les Français se comportent comme ces dieux cruels et barbares qui s’amusent à verrouiller le reste du monde pour que ne nous viennent au secours - dans nos malheurs - aucun coopérant bon samaritain et aucun ange-diplomate bienveillant, mais qui laissent grande ouverte la gueule puante de la géhenne pour qu’elle continue de nous vomir à profusion des démons enragés et assoiffés de sang. Et, pour cause, les Américains et leurs alliés ont tout manigancé pour forcer la sortie du pays du programme PetroCaribe et rendre impossible la poursuite de la coopération cubaine, ils nous ferment l’accès à la route de la soie et surveillent comme du lait sur le feu tout éventuel contact des potentiels dirigeants haïtiens avec le tandem russo-chinois.
Ils éprouvent un malin plaisir à rouler le pays et sa société dans la farine. Sans pitié, ils permettent aux groupes de bandits, dirigés par des policiers qu’ils ont formés, de s’approvisionner régulièrement en armes lourdes et munitions à partir du port de Miami, tandis qu’ils interdisent strictement aux Forces Armées d’Haïti de se doter de moyens adéquats pour mater ces criminels endurcis et invétérés. En un rien de temps, ils transfèrent des chars Abrams et Léopards à l’Ukraine en cadeaux, tandis que les commandes de véhicules blindés placées auprès du Canada (sous leur recommandation) par Haïti sont mal exécutées et livrées au compte-gouttes avec des retards scandaleux. Ils font semblant d’ignorer, comme le précise Frantz Duval du quotidien Le Nouvelliste, qu’il y a plus de victimes civiles en Haïti qu’en Ukraine.
En définitive, qu’importe à M. Joe Biden si l’ile d’Haïti s’écroulait au fond de la mer des Caraïbes, le monde blanc se serait débarrassé d’une épopée désagréable dont il ne savait que faire. Qu’importe à Trudeau la disparition de l’homo haitianus, le Canada resterait le seul porte-étendard (comme pays indépendant) de la francophonie dans les Amériques et il serait exonéré de la dette morale née de la participation massive d’Haïtiens et d’Haïtiennes à ce qu’est devenu ce pays de nos jours. Et, qu’importe à Macron la disparition de la société haïtienne, on ne parlerait plus ni de restitution ni de réparation et ni même de la plus retentissante défaite de Napoléon Bonaparte. Une telle disparition hanterait éternellement l’esprit des indépendantistes martiniquais et guadeloupéens … et les porterait à abandonner, à tout jamais, leur projet de se séparer un jour de la France métropolitaine.
Ce n’est plus un secret pour personne que les missions occidentales, qui ont défilé à Port-au-Prince, l’ont été pour évaluer la faisabilité des élections, avec la présence active des sanctuaires de banditisme. Cette évaluation a laissé un peu perplexe le principal dirigeant canadien, M. Justin Trudeau, et dans une déclaration publique, il a tenu à signifier son malaise. Mais les principaux missionnaires croient encore à l’idée de paver la voie au sacre d’un de leurs « kannannan » à la présidence et d’une horde de pseudo-parlementaires acquis sans réserve à une série de causes sociétales que la société haïtienne, toute épeurée et appauvrie à l’extrême, n’est pas encore prête à endosser. Après le code civil cousu de fil rouge par le Binuh, ils veulent couler dans le marbre constitutionnel un certain nombre de choses qui ne font pas l’unanimité dans le pays. Pour cela, ils veulent un referendum à leur goût. Ils veulent des élections sous contraintes ... tout en laissant aux bandits le soin de faire taire ou de régler à leur manière, les contestations post-électorales.
Dans une telle perspective, continuerez-vous à faire, comme avant, l’éloge de cette démocratie ou de ces droits humains monétisés et instrumentalisés ? Plus directement, serez-vous « kannannan » à la présidence, au sénat ou à la députation ? De votre réponse dépend l’avenir d’Haïti ...
Au nom d’une discrimination positive (affirmative action), les puissances occidentales vont offrir un financement massif pour la participation des femmes et des jeunes dans un processus électoral qui sera copieusement contrôlé, dans les salons du CEP, par les envoyés spéciaux de Washington, de Paris ou d’Ottawa, et sur le béton par les bandits lourdement armés. Tout cela, dans un pays dépourvu d’un appareil étatique digne et habité par une société mise à genoux ou conditionnée à accepter l’inacceptable à cause de l’insécurité, du grand banditisme et de la misère multiforme.
Enfin, comme on paie des crieurs pour verser de chaudes larmes lors des funérailles des gens sans famille ; des « kannannan » à la présidence ou à d’autres postes électifs seront abondamment financés pour prendre part à des élections sous fortes contraintes, rien que pour perpétuer ce que M. Boniface Alexandre appelle, lors de la transition 2004-2006, une ‘démocratie assistée’. Somme toute, c’est tout un sacrilège qu’on tente d’imposer à Haïti, ce pays que l’on s’efforce à détruire à grands coups de massue et qui, malgré tout, … refuse de mourir.
*Membre du Haut Conseil de l’Université Publique du Sud-Est à Jacmel (UPSEJ)
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