Extraits de l’homélie prononcée par Mgr. Pierre André Dumas, à l’occasion des obsèques du journaliste et poète Jacques Roche
Repris par AlterPresse le 22 juillet 2005
Avant de prononcer son homélie de circonstance, le célébrant principal, Mgr. Pierre André Dumas, de l’archidiocèse de Port-au-Prince, a convié l’ assistance à observer un moment de recueillement en mémoire du défunt.
« De quoi Jacques Roche est-il coupable pour mériter un pareil sort ? Qu’ a-t-il fait pour être mort comme une sale bête ? pour mériter d’être ligoté ? Qui l’eut dit, qui l’eut cru, qui l’aurait imaginé q’une telle douce colombe, qui ne fut que plume, verbe , amour et altruisme, pourrait être sauvagement abattu et abandonné dans la nature ? Aujourd’hui même, le jour de son anniversaire, il a fait le passage de ce monde au monde qu’il a tant rêvé.
La mort de Jacques, comme celle de toutes les victimes innocentes, reste et demeure une insulte à la dignité humaine, un cri qui monte vers le ciel, un crime contre l’humanité, que rien et rien ne sauraient justifier.
Le droit à la vie est sacré, comme est sacrée l’image de Dieu enfuie dans le cœur de chacun de nous. Au nom de quoi, au nom de qui, au nom de quelle idéologie, de quelle théorie politique, de quelle immoralité, peut-on vouloir programmer systématiquement la mort de pauvres innocents ?
« Comment peut-on vouloir faire disparaître de paisibles citoyens ? Comment a-t-on voulu faire disparaître tout un peuple, dont sa seule peccadille est de vouloir vivre et vivre en paix ? A-t-on donc le droit de pousser les fils d’un peuple dans l’abîme de la haine, de la violence et du fratricide ?
Non, messieurs et dames, arrêtez !, dit le seigneur, et sachez que je suis Dieu. Je demanderai compte pour la vie de chaque homme, pour la vie de chaque femme, pour le sang de chaque être humain, dit le seigneur, qu’on fait couler dans ce pays.
Cette violence, qui, aujourd’hui, nous a valu la mort de cet homme extraordinaire, cette violence, qui détruit la vie dans ce pays, est la pire ennemie de l’intégration fraternelle et de l’inclusion. Cette violence est un mensonge, elle entraîne la ruine de notre cité. C’est un mal et, comme tel, elle est inacceptable, comme solution de notre problème. Elle ne peut jamais être qualifiée de logique inévitable. Car, on ne peut pas aggraver, inscrire, arrêter le destin de tout un peuple à Titanyen, ou à travers les rues de Port-au-Prince baignées de sang.
Combien faut-il encore de victimes innocentes pour arrêter cette descente aux enfers de tout un peuple ?. Combien faut-il encore des gens détruits en eux-mêmes ? Combien de familles brisées, de cœurs déchirés, d’enfants blessés dans leur innocence ? Combien faut-il encore de veuves, d’orphelins, pour en finir avec cette macabre tragédie, cette chronique de morts annoncées ?
Maintenant Jacques est tombé, Jacques est parti. Alors, on se demande est-ce qu’il y aura des gens pour crier pour les vivants, pour les survivants.
Le moment est venu pour un sursaut national. Un réveil citoyen s’impose à nous.
C’est le temps plus que jamais de retrouver ce vent de liberté, d’égalité de fraternité que Jako a écrit et chanté.
Oui, le temps est venu pour former un grand faisceau de solidarité, une grande chaîne d’unité pour retrouver l’unité historique de notre peuple. Le temps est venu pour dire, non pas seulement avec des mots, des paroles, mais avec des faits et des actes, au nom du Dieu de la vie, au nom de l’ humanité, pour dire trop c’est trop, nous en avons assez.
Le robinet de sang doit cesser de couler dans le pays.
Il nous faut tous former un arc-en-ciel de beauté, d’union de fraternité, pour dire Non à la violence, Non à la destruction, Non aux viols, Non à l’ impunité, Non aux zones de non droit dans le pays, Oui à la vie pour tous, Oui à la sécurité, Oui à l’amour, Oui à la paix, Oui à une Haïti unifiée dans l’intégration fraternelle sans violence.
Le Samba Roche a roulé sous la montagne, dans le chemin de l’ombre, il a succombé. Une voix retentit en écho dans nos cœurs, nous saluons sa mémoire une dernière fois, Une Voix de pluie qui sort des entrailles de la terre et monte, Une Voix de Liberté, Une Voix charriant des espoirs, qui nous dit Non !
Ce rêve ne doit pas mourir. L’espoir doit germer et le soleil de l’espoir va se lever. Jacques s’en va et laisse un rêve, un rêve qui traduit le rêve de toute une nation, un modèle dans sa simplicité, sa générosité, son dévouement au service, un sacrifice qui rappelle l’idéal des ancêtres : Pas de Patrie sans Vertu, Pas de Patrie sans Unité, Pas de Patrie sans l’esprit d’appartenance.
Jacques a combattu le bon combat, le combat pour les humains. Jacques ne peut pas mourir, il vit encore dans ses rêves. Puisse le Vent de la Liberté souffler et nous conduire vers la voix de la délivrance. Jako, Allez en paix, les jeunes ont su trouver un modèle en toi ».