Español English French Kwéyol

Reportage - photo : Haïti / “Trop c’est trop”

Hommage multidimentionnel au poète et journaliste assassiné, Jacques Roche

(Actualisé le 22 juillet 2005)

P-au-P, 21 juil. 05 [AlterPresse] --- Journalistes, artistes, sportifs, fonctionnaires, représentants de secteurs culturels, sociaux et religieux : ils étaient plusieurs milliers de personnes à rendre un dernier hommage, le jeudi 21 juillet 2005, au journaliste et poète Jacques Roche exécuté le 14 juillet après 4 jours de séquestration.

La cérémonie funéraire s’est déroulée à l’église catholique romaine Saint-Pierre à Pétionville (périphérie est), dans une atmosphère de forte émotion et de revendications renouvelées de justice et de cessation du règne de l’impunité en Haïti, ont noté les journalistes d’AlterPresse.

Au petit matin, dans la salle d’exposition de la dépouille, on pouvait apercevoir, outre la famille du disparu, plusieurs officiels du gouvernement, des représentants du Corps diplomatique, de partis politiques et de la société civile.

Le décès du journaliste Jacques Roche constitue "une insulte à la dignité humaine, un crime contre l’humanité", a avancé Monseigneur Pierre André Dumas, célébrant principal de la cérémonie. Dumas a appelé à "un effort national", un « réveil de la conscience citoyenne" et à la solidarité pour mettre un terme aux actes de violence perpétrés contre la population.

"De quoi Jacques Roche est-il coupable pour mériter un pareil sort ? Qu’ a-t-il fait pour être mort comme une sale bête ? pour mériter d’être ligoté ? Qui l’eut dit, qui l’eut cru, qui l’aurait imaginé, qu’une telle douce colombe, qui ne fut que plume, verbe, amour et altruisme, pourrait être sauvagement abattue et abandonnée dans la nature, aujourd’hui même le jour de son anniversaire" ?, s’est interrogé le prélat.

Mgr Pierre André Dumas, tentant de consoler la mère de J. Roche
Souffrance indiscible d’une mère

Au terme de son homélie, Mgr Dumas a invité l’assistance à applaudir le grand samba que fut Jacques Roche. Les participantes et participantes ont toutes et tous répondu par de vibrantes ovations. De son côté, la ministre de la Culture et de la Communication, Magali Comeau Denis, a de nouveau accusé les partisans armés lavalas d’être responsables de ce crime odieux. Ses propos ont été repris par un petit groupe d’étudiants exigeant la démission du Premier Ministre Gérard Latortue, en raison de « trop de sang » versé dans le pays.

“Trop c’est trop !†, s’est exclamé Mgr Dumas, invitant à prendre garde pour ne pas faire d’Haïti “un cimetière†. Il a dénoncé l’impunité et l’existence de “zones de non- droit†, faisant implicitement allusion aux quartiers sous controle de bandes armées favorables à l’ex-président Jean Bertrand Aristide.

La ministre de la Culture et de la Communication, Magali Comeau Denis, n’a pas caché sa tristesse vis-à -vis du lâche et horrible assassinat de Jacques Roche. "Quel dommage !", s’est-elle exclamée, en ajoutant que c’est "tout le pays enterre un cadavre".

"J’estime que le meurtre a pour but d’instaurer une crainte au niveau de la population et encourager le retour au pouvoir de l’ex-président Jean Bertrand Aristide, déchu le 29 février 2004 et exilé depuis en Afrique du Sud. Ils ne vont pas trouver ce qu’ils cherchent. Le chef des assassins ne va pas retourner", a-t-elle assuré.

La foule massée aux abords de l’église

Jerry Tardieu, vice-président du Conseil de Administration du quotidien Le Matin, où Jacques Roche dirigeait la Section Culture et Société, a déploré la mort du journaliste. "C’est ainsi qu’ils ont massacré notre ami", s’ est-il indigné. "Comment peut-on avoir éteint le souffle d’un militant progressiste, d’un véritable ouvrier social profondément attaché aux idéaux républicains, à la défense des intérêts nationaux et aux rêves de faire des marginalisés et des laissés pour compte de notre société des citoyens à part entière" ?, s’ est-il demandé en promettant de continuer le travail, enclenché par Jacques Roche, d’œuvrer pour "un pays qui soit une nation de citoyens".

Anthony Barbier, Directeur exécutif du Groupe des 184 organisations de la société, avec lequel Jacques Roche a collaboré dans le cadre d’ émissions-débats intitulées "Randevou sosyete sivil la - rendez-vous de la société civile", a, pour sa part, appelé à l’"unité" des secteurs politiques haïtiens pour résoudre les problèmes d’Haïti. « Ni le gouvernement, ni la Communauté international ne vont rien faire pour nous ", a-t-il dit.

Frank Etienne, écrivain haïtien de renommée internationale, qui a vécu dans le quartier volatile de Bel Air (centre de la capitale), a demandé « pardon » pour la violence qui se déchaîne dans ce quartier, contrôlé par des groupes armés.

"Où est-ce que nous sommes passés pour en arriver là  ? Quel chemin d’ épines, de tessons de bouteilles avons-nous parcouru ?" s’est interrogé Franck Etienne qui a lu quelques lignes spécialement composées en l’honneur de Jacques Roche. Il a souhaité que l’hommage rendu au journaliste "se perpétue à travers le temps".

Le début de la cérémonie était marqué par un bref incident, suite à l’ apparition, à l’intérieur de l’église, du père Gérard Jean Juste, un zélé partisan de Jean Bertrand Aristide, qui aurait exprimé la volonté de chanter les obsèques de Jacques Roche. Des participants ont immédiatement scandé des propos hostiles au prêtre lavalas, qui a été escorté par la police nationale jusqu’au commissariat de Pétionville, situé non loin de l’église.

Le père Jean Juste, conduit momentanément dans une salle du presbytère
Entretemps une partie de la foule exprime ses récriminations contre Jean Juste

Après la messe, des dizaines de journalistes, accompagnés de centaines d’autres personnes, ont investi pacifiquement les rues de Pétionville, jusqu’au centre de Port-au-Prince, pour exiger justice en faveur du confrère défunt.

"Jacques Roche, les journalistes ne t’oublieront jamais", ont-ils dit.

Les journalistes en marche

Présence des casques bleus
Les journalistes devant le palais présidentiel

Parallèlement, des étudiants ont réalisé un mouvement de protestation contre les scènes de violences enregistrées à Port-au-Prince. Les deux manifestations ont été sécurisées par des casques bleus et des agents de la police nationale.

Dans plusieurs villes du pays, des activités du même genre ont été organisées par plusieurs secteurs pour dénoncer le meurtre tragique de Jacques Roche.

Peu après la cérémonie funéraire à Pétionville, divers secteurs se sont à nouveau retrouvés au local du centre de production culturelle et d’appui au secteur du développement, la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL, au sud-est de Port-au-Prince), pour décrire diverses facettes de la vie de Jacques Roche, à laquelle ils ont été associés. Journalistes, militantes féministes, femmes et hommes de théâtre, de la culture en général (poésie, musique), de droits humains, d’organisations d’éducation populaire, ont conté, en présence de la ministre de la Culture Magali Comeau Denis, leurs expériences partagées avec Jacques Roche, de son vivant.

Les différents rassemblements et manifestations, tenus à l’occasion des obsèques du journaliste et poète assassiné Jacques Roche, se sont tous déroulés dans le calme, contrairement aux rumeurs persistantes de probables agressions et attaques de bandes armées. [gp rc do lf vs apr 21/07/05 18 : 00]