Par Gotson Pierre
P-au-P., 19 janv. 2023 [AlterPresse] --- La situation de crise multidimensionnelle, qui submerge Haïti, tend à casser les liens entre parents, proches, ou amis. Elle mine leurs interactions, depuis que l’instabilité, la criminalité et la dégradation économique ont renforcé les barrières et les privations dans cette société, relève l’agence en ligne AlterPresse.
Tout naturellement, les conversations prennent la forme du vase, qui les contient.
Certes, au téléphone, on ne fait pas l’économie d’un « bonjour », malgré la pression quotidienne.
C’est peut-être grâce au téléphone que des liens se maintiennent encore, même entre jeunes ou vieux amoureux. Les plans, offerts par des compagnies téléphoniques, sont là pour ça, aussi.
Pas étonnant que soit revenu le temps de longues conversations vespérales au téléphone. Si non, d’intenses échanges par texto. Se déplacer devient si difficile !
On se parle de ses activités à distance, cloitré, sans pouvoir changer d’univers. De ses ennuis, de sa lassitude.
Des difficultés de s’approvisionner en produits de première nécessité. Des limitations de toutes sortes, causées par l’inflation.
Du danger qui guette en permanence. « Sais-tu que untel ou unetelle a été kidnappé ? ». Sans compter les attaques de résidences, les quartiers assiégés, les viols en série, les guerres. Préparation psychologique nécessaire face à toute éventualité.
On se parle des blocs résidentiels, qui se vident, alors que l’étau se resserre. Des maisons abandonnées ou presque. Espaces pour une famille de 5 à 6 personnes, occupés par un brave. Femmes, enfants, ailleurs. « Je vis avec mon gendre, qui part dans quelques mois ». Matière grise définitivement perdue.
Des commerces qui s’éteignent, des entreprises qui ferment. De l’angoisse du chômage qui menace, des conditions de travail de plus en plus précaires. De la difficulté de nourrir ses progénitures, d’aller voir un médecin…
On se parle des envies de sortir, faire un restaurant, un bar, une librairie. Assister à une conférence, un spectacle. « Deux ans depuis que j’ai rendu visite à des amis… »
Les souvenirs se transforment en refuge. Sortie à la plage, excursion en montagne, découverte. Tous les petits détails sont mis en valeur. « Les générations futures connaitront-elles les couleurs, les saveurs de ce pays ? »
Elles sauront, bien sûr, l’insécurité, ce mal qui est loin d’être un simple mot, dans une capitale gravement affectée par la criminalité. Elles sauront reconnaitre les signaux d’appauvrissement et d’accroissement de la misère. Un pays qui se meurt.
Elles auront, au bout du compte, expérimenté le malheur de l’irresponsabilité et l’instabilité politique. [gp apr 19/01/2023 00:30]