Un peu partout en Haïti, « les familles ont des déficits alimentaires extrêmes, qui se traduisent par une malnutrition aiguë élevée, ou par le recours à des stratégies de subsistance d’urgence », s’inquiète la Coordination nationale de la sécurité alimentaire
Par Emmanuel Marino Bruno
P-au-P, 17 déc. 2022 [AlterPresse] --- La dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain (Ndlr : US $ 1.00 = + 160.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.70 gourdes aujourd’hui) et le niveau de terreur et de criminalité accrue, limitant l’approvisionnement du marché national, entre autres, seraient à la base d’une augmentation des prix, de 12 % en rythme mensuel et de 98 % en glissement annuel, dans le panier alimentaire moyen en Haïti, relève la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa), dans son dernier bulletin, publié, le 15 décembre 2022, sur les conditions de la sécurité alimentaire en Haïti, et consulté par l’agence en ligne AlterPresse.
Les chiffres, recensés par la Cnsa, confirment les soucis, de plus en plus exprimés, depuis de nombreux mois, par l’ensemble des ménages en Haïti, face à la vie chère (un niveau de plus en plus élevé et intenable d’inflation), qui tend à s’accélérer dans un contexte d’absence caractérisée de réponses institutionnelles et de mépris manifeste envers la population, affiché par celles et ceux qui prétendent être aux commandes de la barque nationale, selon différents témoignages obtenus par AlterPresse.
En cette fin d’année 2022, qui aurait dû être une période de fêtes, c’est la crispation et l’anxiété chez beaucoup de citoyennes et de citoyens, tant incapables de subvenir à leurs besoins les plus essentiels que le terme morosité économique parait trop faible pour rendre compte du niveau de torpeur des ménages confrontés à des horizons économiques de plus en plus sombres.
A l’origine de cette flambée des prix dans le panier alimentaire, la Cnsa mentionne aussi la hausse des prix du carburant (qui ont été augmentés à plus de 100% par le gouvernement de facto en septembre 2022) [1] et sa rareté persistante, depuis plusieurs mois sur le marché national, ainsi que la mauvaise performance de la campagne agricole de printemps 2022.
« Le coût nominal moyen du panier alimentaire, en novembre 2022, est d’environ 5,332.00 gourdes par personne par mois, soit 26,660.00 gourdes pour une famille de 5 personnes, contre 4,782.00 gourdes en octobre 2022, soit une augmentation mensuelle de 12% et de 98% en rythme annuel », relève la Coordination nationale de la sécurité alimentaire.
Le riz local (19%), le maïs moulu importé (13%), l’huile végétale (13%), le maïs moulu local (11%), le riz importé (9%) et le pois rouge (9%) représentent les produits, qui influencent le plus l’augmentation de valeur dans le panier alimentaire pour le mois de novembre 2022, ajoute-elle.
Le prix du riz local a surtout augmenté respectivement de 59%, de 19%, de 15% et de 15% sur les marchés de Ouanaminthe (Nord-Est d’Haïti), du Cap-Haitien (Nord), des Cayes (Sud) et de Jérémie (département de la Grande Anse, une partie du Sud-Ouest d’Haïti).
Le coût du riz importé est en augmentation, particulièrement sur les marchés de Ouanaminthe (47%), du Cap-Haitien (42%), de Port-au-Prince / département de l’Ouest (39%) et de Hinche / département du Plateau central (17%).
« L’augmentation du prix du maïs moulu importé s’observe particulièrement sur les marchés du Cap-Haitien (33%), des Gonaïves / département de l’Artibonite (20%), des Cayes (16%), de Fonds-des-Nègres / département des Nippes - autre partie du Sud-Ouest d’Haïti - (16%), de Port-au-Prince (15%) et de Port-de-Paix / Nord-Ouest (12%). Celui du maïs moulu local a notamment augmenté sur les marchés du Cap-Haitien (36%), des Gonaïves (16%), de Ouanaminthe (116%), de Fonds-des-Nègres (11%) et de Jérémie (10%) ».
Le prix de l’huile végétale de cuisine a augmenté de 25% sur le marché des Cayes et de 24% sur celui de Jacmel (département du Sud-Est), souligne la Cnsa.
L’augmentation du prix de l’huile végétale est flagrante sur les marchés de Fonds-des-Nègres (24%), des Gonaïves (19%), de Ouanaminthe (19%), de Port-de-Paix (15%) et de Port-au-Prince (13%).
Le prix du haricot rouge augmente notamment sur les marchés de Port-de-Paix (22%), de Port-au-Prince (20%), de Jérémie (19%), des Gonaïves (15%) et de Hinche (13%).
La Cnsa signale des augmentations mensuelles des prix dans le panier alimentaire sur tous les marchés départementaux (il y a 10 départements géographiques en Haiti), « à l’exception de celui de Jérémie, où une baisse de 8% est observée et celui des Cayes, sur lequel les prix sont restés relativement stables par rapport au mois d’octobre (2022) ».
Les plus affectés, les marchés de Ouanaminthe connaissent, respectivement, des augmentations de 24%, de Cap-Haïtien de 19% et de Port-au-Prince de 16%, alors que, sur les autres marchés, cette hausse varie de 2% à 13%, note la Coordination nationale de la sécurité alimentaire.
L’augmentation à 98%, en rythme annuel, des prix dans le panier alimentaire touche tous les 10 départements géographiques en Haïti.
« Les plus fortes hausses sont enregistrées, de manière respective, au niveau de Port-au-Prince (107%), de Jacmel et de Port-de-Paix (102%), de Ouanaminthe (100%), du Cap-Haïtien (99%) et des Gonaïves (98%). Pourtant, la plus faible hausse annuelle est observée sur le marché de Jérémie (74%). Les autres marchés régionaux affichent une hausse allant de 75% à 85% ».
Une insécurité alimentaire aiguë et persistante
L’insécurité alimentaire, que subissent les ménages, est aggravée par l’augmentation des prix des produits, les troubles socio-économiques, la violence des groupes armés sur le territoire national, la faible production agricole, la rareté et l’augmentation des prix du carburant, constate la Cnsa.
L’insécurité alimentaire en Haïti pourrait s’intensifier avec l’envol des prix, prévient-elle.
Dans des zones du grand Sud, affectées dans le tremblement de terre du samedi 14 août 2021, dans le haut Plateau central et ses prolongements dans le Nord, le Nord-Est et l’Artibonite, le Nord-Ouest, l’Île de la Gonâve et 3 communes (Cité Soleil, Port-au-Prince et Croix-des-Bouquets) dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, les plus lourdement frappées par les manœuvres des gangs armés, « les familles ont des déficits alimentaires extrêmes, qui se traduisent par une malnutrition aiguë élevée, ou par le recours à des stratégies de subsistance d’urgence ».
On assiste à une détérioration du pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables, en raison de la hausse des prix des produits alimentaires de base (locaux et importés) et de la réduction des possibilités d’emplois, due à la diminution des activités agricoles et du petit commerce à cause de la criminalité.
Le pouvoir d’achat des ménages est devenu de plus en plus dépendant des marchés pour la consommation alimentaire.
De septembre 2022 à février 2023, 4,7 millions de personnes pourraient rester en situation d’insécurité alimentaire, dont environ 19,200 personnes en situation de catastrophe alimentaire, notamment à Cité Soleil, selon les chiffres fournis par la la Coordination nationale de la sécurité alimentaire. [emb rc apr 17/12/2022 18:20]
[1] Ndlr : Entre mi-septembre2022, quand il était autour de 127.00 dollars américains, et le 17 décembre 2022, le cours officiel du baril du pétrole a continué de baisser sur le marché international, atteignant les US $ 79.26 au 17 décembre 2022.