Par Nancy Roc*
Les 16 Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre se sont achevés le 10 décembre 2022. Aucun politicien n’a pris publiquement position, pendant ces deux semaines, sur la violence faite aux femmes en Haïti et encore moins contre les viols et viols collectifs perpétrés par les gangs dans le pays. Que penser d’une telle « omission » alors que le monde entier demandait d’agir contre la violence à l’égard des femmes en s’attaquant aux croyances et aux comportements qui perpétuent la violence ?
De l’Afrique au Canada, en passant par la France ou les États-Unis, tous les chefs d’État, dignes de ce nom se sont prononcés à l’occasion de cette campagne internationale qui a débuté le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, et a été clôturée le 10 décembre 2022, à l’occasion de la Journée internationale des droits humains.
En Haïti, le premier ministre de facto, Dr. Ariel Henry, n’a même pas mentionné la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre dernier sur son compte Twiter.
Quant au Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (Mcfdf), il a émis un communiqué conjoint avec le système des Nations Unies en Haïti pour appeler « au respect des droits fondamentaux des femmes et à l’intensification des efforts pour mettre un terme à la violence sexiste, y compris toutes les formes de violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles. » Fallait-il en rire ou en pleurer ? Car, c’est grâce au Nouvelliste que le public a découvert le visage de la titulaire de ce ministère fantomatique depuis sa nomination dans ce gouvernement de facto. Quant à son nom, le quotidien ayant « omis » de l’inscrire – quel nom mettre en effet à un communiqué conjoint ? -, personne n’a pu l’évoquer sur Twitter lorsque j’ai posté sa photo : il a fallu faire une recherche sur Google pour découvrir que ce fantôme s’appelle Dre. Sofia Loréus. Bref, je vous fais grâce de la platitude des propos de Madame, alors que des femmes et des filles se font violer tous les jours en Haïti à une allure effrayante.
Par contre, le 5 décembre 2022, la ministre a.i de la Justice, Emmelie Prophète, s’est distinguée en participant à un atelier de consultation sur la participation politique des femmes en Haïti, organisé par l’Onu Femmes, à l’hôtel Montana. Mme Marie Goretti Nduwayo, représentante de l’Onu Femmes a déclaré que « la perception masculine du pouvoir est réelle en Haïti » et s’est lancée dans un plaidoyer pour agir, traquer et punir les violences faites aux femmes en politique afin de permettre aux Haïtiennes d’avoir les mêmes chances d’accès et de partage des responsabilité dans ce pays.
Madame Prophète était invitée à titre de ministre a.i de la Justice. Toutefois, c’est la ministre de la Communication et de la Culture qui s’est exprimée. A travers des envolées lyriques, nous avons remonté le temps pour redécouvrir les mères fondatrices de la nation – en lieu et place des habituels pères fondateurs – « ces femmes sans lesquelles 1804 n’aurait pas été possible », la perception des femmes, leur traitement inégalitaire dans la société haïtienne, entre autres, et leur participation essentielle dans les prochaines élections. « Les partis politiques, les groupements de la société civile, l’État, doivent appeler à une participation large des femmes. Notre société ne peut accepter d’être amputée de plus de la moitié d’elle-même », a-t-elle conclu.
Alors que cet atelier faisait partie d’un projet conjointement financé par le Canada et le Pnud et intitulé « Réduction de la violence contre les femmes politiciennes en Haïti », la ministre n’a pipé mot sur le harcèlement sexuel contre les femmes dans les partis politiques. Pas un mot non plus sur la violence faite aux femmes. Pas un mot sur les viols et viols collectifs commis contre elles. La ministre de l’institution judiciaire a totalement ignoré les terribles difficultés des victimes et survivantes de viols et - soi-disant par manque de temps selon Nadége Beauvile, responsable de la communication à Onu Femmes – s’est empressée de répondre à l’invitation au déjeuner des officiels, en évitant toute question du public, des journalistes et des invités en ligne.
Margareth Thatcher disait « En politique, si vous voulez des discours, demandez un homme ; si vous voulez des actes, demandez une femme » En matière de violence contre les femmes, ces deux ministres l’ont démentie. Quant aux victimes et survivantes, leur chemin de croix sera long. Un prochain article de cette série, évoquera le témoignage d’une jeune fille de 19 ans, violée par sept (7) hommes. La violence contre les femmes en Haïti n’a rien d’un roman.
Ni femmes, ni enfants ne sont épargnés
Les statistiques sur les viols en Haïti sont problématiques pour plusieurs raisons mais, entre autres, parce que la peur des gangs empêche aux victimes de témoigner ou de se déplacer. Ainsi, « parler d’environ 10 cas signifie qu’il y en a 1 000 non signalés ; parler de 100 signifie qu’il y en a 10 000 », a déclaré Lara Chlela, point focal pour la prévention de l’exploitation et des abus sexuels à l’Unicef. Le dernier rapport des Nations Unies, souligne que « des femmes, des filles et des garçons de tous âges, ainsi que, dans une moindre mesure, des hommes, ont été victimes de crimes sexuels d’une extrême violence. Des enfants âgés d’à peine 10 ans et des femmes âgées ont été soumis à des viols collectifs pendant des heures devant leurs parents ou leurs enfants par plus d’une demi-douzaine d’hommes armés lors d’attaques contre leurs quartiers… » (https://www.alterpresse.org/spip.php?article28886)
Selon l’Onu, en août 2022, près d’1,5 million des habitants de la capitale, Port-au-Prince, vivraient dans des zones sous le contrôle ou l’influence des gangs. En cette fin d’année 2022, l’organisation féministe Solidarite fanm ayisyèn (Sofa) a rapporté qu’en moins de deux semaines, plus de 200 femmes et filles ont été violemment agressées, violées, à Cité Soleil, au bas de Delmas, à Canaan et Source Matelas. Ces viols s’étendent partout dans le pays, notamment dans la Vallée de l’Artibonite, où de nombreuses marchandes, les Madan Sara, ont été victimes de viols rapporte la coordonnatrice départementale de la Plateforme des femmes organisées pour le développement de l’Artibonite (Plafoda), Louisette Vertilus Jean Pierre.
La cruelle indifférence de nos politiciens
A l’occasion des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, j’ai publié le premier témoignage recueilli auprès de victimes et survivantes, lors d’une enquête menée pendant deux mois. « Silence on viole en Haïti » est le nom de la série de textes et témoignages qui en est née, Suite à la publication du premier texte, qui raconte le triple viol d’une jeune femme de 22 ans par un récidiviste, le sociologue québécois d’origine haïtienne, Frédéric Boisrond a twitté ceci, le 3 décembre 2022 :
Nos politiciens ont-ils perdu leur sens humain ? Font-ils cas de la souffrance des femmes haïtiennes qui composent 52% de la population ? N’ont-ils aucune empathie ? Ignorent-ils tous que « les violences sexuelles sont de graves atteintes aux droits, à la dignité et à l’intégrité physique et mentale des victimes, aux conséquences dévastatrices sur leur vie » ? (Muriel Salmona). Car, aucun d’entre eux, ni ceux considérés par certains comme les plus « progressistes » et les moins corrompus - tels que Jerry Tardieu, ex-député de Pétionville et Coordonnateur général du Mouvement En Avant ou le Sénateur Patrice Dumont du Rassemblement des Patriotes haïtiens (Rph) ; ou encore, l’économiste Fritz Alphonse Jean et l’ex-Sénateur Steven Benoit, respectivement président élu par l’Accord de Montana et premier ministre. Aucun n’a fait une déclaration ou publié ne fusse qu’un tweet pour condamner la violence faite aux femmes et/ou les viols et viols collectifs ayant lieu depuis des mois à travers le territoire national. Ceci, pendant 16 jours. Rien. Silence radio, Pas un mot.
Pour le professeur Joseph Harold Pierre, expert en économie et politique de l’Amérique latine, « le silence des politiciens qui se disent modernes et démocrates relatif à la violence faite aux femmes met à nu leur incohérence. Selon lui, leurs discours et leurs actions sont diamétralement opposés : « Comment peut-on se targuer d’être démocrate si on ne défend pas les droits des femmes en Haïti qui sont non seulement la majorité de la population, mais aussi et surtout le pilier, le potomitan de la société ? », questionne-t-il,
De son côté, Nadine Louis, co-fondatrice et Directrice exécutive de la Fondation Toya, une organisation à but non lucratif, créée pour l’encadrement et le renforcement des capacités et du leadership des filles et des femmes en Haïti, ne se montre guère étonnée devant « cette manifestation du patriarcat et de la domination de l’homme comme pratique dans la société haïtienne ». Par contre, si pendant ces 16 jours, aucun politicien n’a pris position, ni fait un seul effort pour sensibiliser le public en tant que leader ; pour Nadine Louis, cela signifie non seulement que « la violence sur les femmes ne constitue pas à leur yeux une problématique sociale mais, de plus, qu’ils n’ont aucun souci ni disposition pour s’attaquer à la discrimination ». Or, insiste-elle, « c’est la discrimination sociale qui engendre la violence ». La féministe conclut en lançant, « ils n’ont ni position, ni proposition. Alors, Messieurs, quelles sont vos propositions ? ».
Si les politiciens susmentionnés ont été pris comme exemples, c’est à cause de leur crédibilité parmi le public. Quant aux leaders de l’Accord de Montana, ils portent encore davantage de responsabilité puisque cet accord est présenté comme LA « solution haïtienne » pour une transition de rupture face au gouvernement de facto d’Ariel Henry. Si ces politiciens n’ont pas su tracer l’exemple pendant ces 16 jours, que dire de la racaille ?
Quant aux autres opportunistes – comme l’ex-premier ministre Claude Joseph qui s’est hâté de faire un poste sur les femmes, deux jours avant la fin de la campagne des 16 jours lorsqu’il a vu que j’interpellais les autres, photos à l’appui ; ou ce jeune économiste qui se voit déjà candidat à la présidence et a fait de même, je laisserai le dernier mot au professeur Harold Pierre : « On ne peut qu’être hypocrite, rétrograde et assoiffé de pouvoir ( pour ne pas défendre les droit des femmes) sans aucun sens d’intérêt collectif. Ils ne diffèrent de la majorité des politiciens traditionnels que par une surdose d’hypocrisie. »
La caricature à scandale
Lors de la campagne des 16 jours contre la violence à l’égard des femmes, une caricature a fait scandale sur les réseaux sociaux et c’est un jeune Haïtien, Ralph E. François, qui a été le premier à s’en indigner et en la barrant d’une croix rouge, le 3 décembre écoulé. L’Ambassadeur du Canada en Haïti, Son Excellence Monsieur Sébastien Carrière a également fermement condamné cette création : « Cette caricature est honteuse et inacceptable. Elle doit être retirée sous la pression de ses commanditaires. Le viol n’est pas un sujet humoristique, c’est UN CRIME », a- t-il twitté.
« J’assume cette faute » , a déclaré Jerry Boursiquot, caricaturiste de renom, « mais le dessin n’est pas de moi », s’est-il empressé de préciser en interview. Mais est-ce une justification suffisante ? Car Jerry Boursiquot est le fondateur du groupe de caricaturistes, qui se sont rassemblés pour illustrer les matchs de la Coupe du Monde à travers la série « Foutikomik ». Il est donc un leader et, malgré tout, il a permis la diffusion de ladite caricature. Il a eu beau expliquer que ce n’était pas l’intention du groupe de faire un appel au viol, en pleine campagne des 16 jours et de surcroit, pendant la Coupe du Monde, on se demande où ce groupe avait la tête.
« Nous voulions montrer que le filet du Brésil était vierge (le Brésil est représenté par une femme au teint clair portant une ceinture de chasteté ) car l’équipe n’avait pas encore reçu de but, avant d’en recevoir un du Cameroun (représenté par un Noir au faciès maléfique et détenant la clé qui ouvre la ceinture de chasteté du Brésil)) », a-t-il tenté d’expliquer, tout en ajoutant que les organisations féministes « ont tout de suite crucifié la caricature ». Ce serait donc les féministes qui ne comprennent rien n’est-ce pas ? Et que dire de Ralph E. François et de l’Ambassadeur du Canada ? Pas de réponse.
Pour Roody Edmé, éducateur, directeur d’école et éditorialiste dans le journal Le National, une telle caricature avec une connotation sexuelle (voire un viol) à peine dissimulée, « est une agression de plus contre les femmes dans un environnement aussi dangereux pour elles ». De plus, examine-t-il, « la ceinture de chasteté est un symbole de domination où le sexe de la femme est banni et ne dispose pas de son corps. Le « oh, no » de la femme, face au « oh, yes », démontre que malgré le refus de la femme, quoi qu’elle fasse on lui imposera le oui ». Enfin, Roody Edmé souligne que dans un contexte tel que celui de la Coupe du Monde de football, un tel message « pollue l’imaginaire des jeunes et c’est grave. »
Conclusion
De tous temps, les hommes ont imposé leur domination sur les femmes. Même dans les pays où prévaut l’État de droit, « la frontière entre aimer une femme et posséder une femelle est toujours très poreuse », écrivait ce week-end, l’humoriste, conteur et Dr en Biologie, Boucar Diouf, dans La Presse de Montréal. Dans une comparaison entre l’attitude des loups et des chimpanzés, il cloue au pilori ces mâles alpha qui sont selon lui, « des attardés (qui) militent en plein jour pour la domination masculine. »
La caricature de FoutiKomik démontre – si cela était encore nécessaire – à quel point l’hyper masculinité des leaders politiques et leur indifférence envers les droits des femmes, affectent directement la jeunesse qui reproduit les stéréotypes misogynes sans même avoir conscience de la portée de ses gestes. La caricature déforme, ridiculise, dénonce une situation ou le comportement d’une personne ou d’un groupe social mais, à travers l’histoire, elle s’est le plus souvent adressé à des rois ou à des personnages politiques. La Fondation Toya a déjà formé 21 influenceurs en genre et violence contre les femmes. Elle est prête à le faire pour l’équipe de Jerry Boursiquot, m’a dit Nadine Louis. Espérons que ce groupe produira alors des caricatures mettant en exergue la phallocratie de nos politiciens. Il est en effet grand temps, en ce 21ème siècle et cinq ans après le mouvement #MeToo, de prouver que la misogynie des mâles alpha qui sévissent tant dans le milieu politique, journalistique que sur les réseaux sociaux, relève bien plus de dinosaures ou de reliques d’un autre temps et de leur imbécillité existentielle. Mais lorsque cette dernière encourage les viols et viols collectifs en Haïti, il est temps de se mettre en colère et d’exprimer cette dernière à travers nos prochains bulletins de vote.
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Crédit photo logo : Une affiche représentant un homme violant une femme barré d’une croix noire, dans un marché de Monrovia le 30 novembre 2009 - afp.com/Glenna Gordo
Photo Dr Sofia Loréus – Le Nouvelliste
Photo Emmelie Prophète : capture d’écran Nancy Roc
*Nancy Roc est une journaliste canadienne d’origine haïtienne, indépendante depuis plus de 30 ans. A l’occasion de la campagne « 16 jours d’activisme » 2022, elle a mené – sur une base totalement volontaire - une enquête pendant deux mois sur la violence faite aux femmes en Haïti et sur les viols collectifs commis par les gangs. A travers AlterPresse.org, elle a décidé d’offrir, gratuitement et à tous les médias écrits ou en ligne, les 4 articles issus de cette enquête qui seront publiés dans les deux prochaines semaines. Ce travail est son hommage aux victimes de violence sexuelle dans son pays d’origine, Haïti ; ainsi qu’aux organisations féministes haïtiennes qui œuvrent dans ce domaine.
N.B : Toute reproduction, complète ou partielle de ces articles devra citer le nom de l’auteure. Un reformatage desdits articles doit obtenir la permission de l’auteure.
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Interview de Nancy Roc sur AlterRadio autour de cette enquête