Transmis à AlterPresse
1. Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) a appris avec stupéfaction que le 30 octobre 2022, lors d’échauffourées enregistrées sur la cour du commissariat de Delmas 33, un (1) journaliste a été froidement exécuté par des agents de la Police nationale d’Haïti (Pnh) et de nombreuses autres personnes ont été blessées par balles.
2. Ce grave incident est survenu au moment où plusieurs journalistes s’étaient rendus au commissariat de Delmas 33, en vue de protester contre l’arrestation, par des agents de l’Unité départementale pour le maintien de l’ordre (Udmo), d’un journaliste qui couvrait un mouvement de protestation qu’organisaient des résidents de Delmas 47.
3. En effet, selon les informations recueillies par le Rnddh, le 29 octobre 2022, aux environs de dix-sept (17) heures, des agents affectés à la Swat Team sont arrivés à Delmas 47 à bord de deux (2) véhicules portant l’inscription de leur unité spécialisée. Ils se sont positionnés dans le périmètre puis ont sillonné la zone avant de procéder à l’arrestation de cinq (5) personnes trouvées sur les lieux. Il s’agit de :
• Ezéchiel PAUL
• Enock MERIZIER
• James MONDESIR
• Andy MORISSEAU
• Dieupuissant ORESTIL
4. Ezéchiel PAUL, Enock MERIZIER et James MONDESIR appartiennent à la Brigade d’action sociale éducative 47, connue encore sous le nom de BASE 47. Ils avaient eux-mêmes lancé le mouvement antigouvernemental baptisé Bwa Kale, dont le slogan a été pensé par Ezéchiel PAUL. Andy MORISSEAU et Dieupuissant ORESTIL pour leur part, sont deux (2) mécaniciens qui travaillent habituellement dans la zone. Ils s’apprêtaient à rentrer chez eux lorsqu’ils ont été arrêtés.
5. Le jour même de leur arrestation, de nombreuses recherches ont été effectuées par les membres de la BASE 47 aux différents commissariats avoisinants, à la Direction centrale de la police judiciaire (Dcpj) ainsi qu’à la Prison civile de Port-au-Prince. Cependant, les cinq (5) personnes, qui avaient été arrêtées par les agents de la Swat-Team, n’ont été retrouvées nulle part.
6. Ainsi, en signe de protestation, le 30 octobre 2022, les membres de BASE 47 ont décidé de s’insurger contre les agissements des agents de la Swat Team, responsables de la disparition forcée de leurs camarades. Ils se sont réunis à Delmas 47, ont entreposé des pneumatiques enflammés sur le pavé et exigeaient le retour, dans leur foyer respectif, des personnes disparues, lorsque des agents de l’Unité départementale pour le maintien de l’ordre (Udmo) sont arrivés sur les lieux. Ces derniers étaient montés à bord d’un véhicule de couleur rouge immatriculé 1-01177 portant l’inscription Udmo. Ils se sont mis à bastonner les manifestants et ont lancé plusieurs tubes de gaz lacrymogène en leur direction.
7. Parallèlement, des journalistes qui avaient été informés du mouvement, s’étaient rendus sur les lieux pour le couvrir. Parmi eux, se trouvait Robeste DIMANCHE journaliste de Radio Télé Zénith, qui, ayant remarqué que les policiers bastonnaient les manifestants, a voulu s’enquérir de la situation.Rapidement, les policiers s’en sont pris à lui. Ils l’ont frappé à plusieurs reprises, en dépit du fait qu’il ait crié être un journaliste. Par la suite, il a été forcé de monter à l’arrière du pick-up de l’Udmo, en direction de bas Delmas.
8. Robeste DIMANCHE, avec lequel le Rnddh s’est entretenu, a affirmé qu’à un certain moment, les agents ont stoppé le véhicule pour décider entre eux de ce qu’ils allaient faire de lui. Tout au cours de leur discussion, ils l’ont injurié, l’ont frappé à plusieurs reprises et l’ont accusé d’être de mèche avec des membres de gangs armés, auxquels des journalistes donnent micro. Robeste DIMANCHE a ensuite été conduit au commissariat de Delmas 33. Les agents de l’Udmo ont dressé le procès-verbal de son arrestation avant de le mettre en garde-à-vue.
9. Ayant appris la nouvelle de l’arrestation de Robeste DIMANCHE, d’autres journalistes qui couvraient le mouvement de protestation à Delmas 47 se sont rendus au commissariat de Delmas 33, en signe de solidarité. Deux (2) back-ups de l’Udmo vraisemblablement appelés en renfort, ont tiré à balles réelles, à hauteur d’homme, en direction des journalistes. Romelson VILSAINT a été froidement abattu d’une balle à la tête. Au moins cinq (5) autres journalistes ainsi qu’un (1) responsable de BASE 47, ont aussi été blessés par balles. Il s’agit de :
• Ronald PETIT-FRERE, journaliste du média en ligne Télé 509. Il a reçu plusieurs coups de bottes des agents de l’Udmo ;
• Robens Le CAYEN, journaliste du média en ligne Le Cayen Info. Il a été atteint d’une balle au flanc gauche. En effet, Robens LE CAYEN, qui se trouvait derrière Romelson VILSAINT lorsque celui-ci a été abattu, a voulu obtenir des explications quant à cette exécution. A cette fin, il s’est rendu auprès d’un agent de l’Udmo qui l’a bousculé, injurié et, après la discussion et pendant que Robens Le CAYEN s’en allait, l’a visé de son arme et lui a froidement tiré dessus. La balle l’a atteint au flanc gauche. A la publication de ce document, il est encore hospitalisé ;
• Iphanes MONUMA, journaliste du média en ligne Iphactualité. Il a été frappé à la tête à plusieurs reprises par des agents de l’Udmo qui, pour ce faire, ont utilisé leurs armes à feu ;
• Dieudonne ST-CYR, journaliste de Radio Kingdom F.M. et du média en ligne L’Ethique. Il a été battu par des agents de l’Udmo, à coups de bottes et de fusils ;
• Jean-Marc JEAN, journaliste du média en ligne JJM Info. Il a reçu plusieurs coups de fusils à la tête.
10. Pour sa part, Pierre Paul Jean Yvon EXALUS a été atteint d’une balle à la cuisse droite. Il est l’un des responsables de BASE 47.
Faits subséquents
11. Dans la soirée du 30 octobre 2022, Robeste DIMANCHE a été invité à rentrer chez lui.
12. Le 31 octobre 2022, les corps sans vie de Ezéchiel PAUL, Enock MERIZIER, James MONDESIR, Andy MORISSEAU et Dieupuissant ORESTIL ont été retrouvés à Tabarre 43. Ils ont tous été exécutés.
Remarques générales
13. Le Rnddh note que, depuis quelque temps et dans un contexte particulier d’insécurité généralisée, les journalistes sont de plus en plus ciblés en Haïti. En ce sens, le Rnddh rappelle que de janvier à nos jours, au moins dix-neuf (19) journalistes ont été assassinés ou blessés. En effet, aux six (6) journalistes victimes des événements du 30 octobre 2022, s’ajoutent les suivants :
• Le 6 janvier 2022, à Laboule 12, John Wesley AMADY et Wilguens LOUISSAINT ont été tués et leurs restes calcinés. Ils travaillaient respectivement pour Ecoute F.M. et Safe News Haïti ;
• Le 23 février 2022, Maxiben LAZARRE, journaliste pour le média en ligne Rois des Infos, a été touché par balle alors qu’il assurait la couverture d’une manifestation des ouvriers-ères. La victime a succombé à ses blessures avant d’avoir été transporté à l’Hôpital Bernard Mevs. Le même jour, trois (3) autres journalistes ont été blessés : il s’agit de Sony LAURORE, de Laurore TV, de Yves MOISE de RCH 2000 et de Alvarèz ESTIME de Lakay TV ;
• Le 7 septembre 2022, trois (3) journalistes-reporteurs de Radio-Télé Zenith ont été atteints de projectiles en caoutchouc alors qu’ils couvraient des manifestations de rues. Il s’agit de Youly DESTINE, Robeste DIMANCHE et d’Yvenson JOINVIL. Yvenson JOINVIL affirme avoir été ce jour-là, visé de sang-froid par un policier, alors qu’il se trouvait à Bourdon, non loin du Ministère de la planification et de la coopération externe (Mpce) et couvrait une manifestation qui avait cours ;
• Le 7 septembre 2022, au Cap-Haitien, Luly MENARD journaliste culturel, correspondant de Radio Vision 2000, se trouvait devant chez lui et regardait une manifestation, lorsqu’une balle l’a éraflé à la tête ;
• Le 11 septembre 2022, deux (2) journalistes de médias en ligne ont été assassinés à Kafou Lanmò et Dèyè Mi par Katèl ainsi connu, un chef de gang placé dans la zone par Iscard ANDRICE. Les victimes revenaient de Nan Brooklyn, un quartier de Cité Soleil où ils s’étaient rendus en vue d’interviewer des victimes et prendre en photo certaines zones dévastées par le conflit armé éclaté depuis juillet 2022 ;
• Le 25 octobre 2022, à Delmas 40 B, des individus lourdement armés ont criblé de balles le véhicule de Roberson ALPHONSE, journaliste au Le Nouvelliste et à Magik 9, le blessant par balle ;
• Le 25 octobre 2022, le corps mutilé et sans vie de Gary TESS, journaliste de Radio Lebon F.M., a été retrouvé dans la commune des Cayes, quelques jours après sa disparition.
14. Le Rnddh estime que ces attaques en série contre les journalistes sont d’autant plus inquiétantes que ces derniers sont la cible, tant des bandits armés que des agents de la Pnh, dont le comportement, depuis quelque temps, est très alarmant. En effet, des voitures privées sont utilisées par des policiers lors des patrouilles, de nombreuses disparitions forcées sont imputées aux agents des unités spécialisées de la Pnh et surviennent après des arrestations, et les manifestations antigouvernementales sont réprimées avec beaucoup de violence. Sur ce point particulièrement, le Rnddh souligne que, de manière générale, l’institution policière est présente lors des mouvements de protestation organisés par la population dans le but de les réprimer ; mais absente lorsque ce sont les bandits qui occupent les rues, manifestent tout en brandissant leurs armes à feu.
15. Le Rnddh rappelle que les droits à la vie, à la sécurité ainsi que les libertés fondamentales de presse, d’information et de protestation sont des acquis démocratiques qui ne peuvent souffrir d’aucun accroc. La coalition politique décriée, dirigée par Ariel HENRY ne peut - en plus de son cynisme et de son incapacité à rétablir la sécurité, à faire régner la paix et à permettre la reprise des activités socioéconomiques dans le pays - s’attaquer systématiquement aux journalistes et à d’autres membres de la population, en les exécutant froidement ou en les empêchant de jouir et d’exercer leurs prérogatives citoyennes.
16. Le Rnddh constate que l’institution policière n’a partagé aucune information relative à la disparition forcée suivie de l’exécution sommaire de Ezéchiel PAUL, Enock MERIZIER, James MONDESIR, Andy MORISSEAU et Dieupuissant ORESTIL Ce n’est d’ailleurs que le 30 octobre 2022, tard après l’assassinat du journaliste Romelson VILSAINT, que la Pnh a annoncé ouvrir une enquête sur les événements du jour exclusivement.
17. En ce sens, le Rnddh juge regrettable que le service de communication de la Pnh ne fonctionne que pour faire de la propagande pour l’institution. Il reste désespérément muet lors des bavures policières, lors des interventions punitives de la Pnh ou lorsque des agents de la Pnh sont impliqués dans des actes de répression et de violation des droits humains à l’encontre de la population.
18. Le Rnddh condamne avec la dernière rigueur la disparition forcée suivi de l’exécution sommaire de Ezéchiel PAUL, Enock MERIZIER, James MONDESIR, Andy MORISSEAU et Dieupuissant ORESTIL ainsi que l’exécution dans l’enceinte-même du commissariat de Delmas 33, de Romelson VILSAINT et la blessure par balles de plusieurs autres personnes qui se trouvaient sur les lieux.
19. Le Rnddh estime que ces faits doivent être sévèrement punis. Conséquemment, il enjoint la Direction centrale de la police judiciaire (Dcpj) et l’Inspection générale de la Pnh à diligenter une enquête ; il encourage la communication de leurs conclusions à la juridiction répressive, pour que tous les agents fautifs, sans exception, soient jugés et condamnés selon le vœu de la Loi.
Port-au-Prince, le 3 novembre 2022