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Économie : Haïti risque de connaître une hyperinflation, prévient l’économiste Eddy Labossière

P-au-P, 16 nov. 2022 [AlterPresse] --- Avec l’entrée en vigueur des prix des produits pétroliers, augmentés de plus de 100%, Haïti est dans un processus d’hyperinflation, s’élevant à plus de 50%, une situation inédite dans toute l’histoire du pays, avertit l’économiste Eddy Labossière, dans une interview accordée à AlterRadio/AlterPresse.

Le niveau estimé à 30 % d’inflation, suivant les chiffres de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (Ihsi), ne correspond pas à la réalité des prix des biens et services, qui ont doublé voire triplé sur le marché national, relève l’économiste Labossière.

La décision du gouvernement de facto d’augmenter les prix des prix des produits pétroliers, qui sont des produits transversaux, entraîne des conséquences sur l’ensemble de la population, souligne-t-il.

Les prix dans toutes les filières vont continuer à augmenter considérablement dans l’économie nationale, déjà en faillite. Ce contexte délétère provoquera également la fermeture de nombreuses entreprises, bureaux, services, anticipe Labossière.

La gazoline a augmenté de 128 % quelques rares fois dans l’histoire économique d’un pays, notamment en période de guerre, quand un prix pourrait dépasser les 100 %, explique-t-il.

Actuellement, le prix du baril de carburant a baissé sur le marché international, passant de 127.00 dollars américains en septembre 2022 à 84.53 dollars américains (Ndlr : US $ 1.00 = + 145.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.60 gourdes aujourd’hui) en novembre 2022.

En dépit de la grogne populaire, le gouvernement de facto a décidé de maintenir à la hausse les prix du carburant.

L’annonce d’une augmentation à plus de 100% des prix des produits pétroliers avait exacerbé, à partir du 12 septembre 2022, les mouvements de protestations violentes, en cours depuis plusieurs semaines en Haïti.

Après plusieurs mois de rareté persistante « provoquée », une distribution régulière des produits pétroliers a repris, particulièrement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, depuis le samedi 12 novembre 2022.

Un gallon de gazoline se vend à 570.00 gourdes, celui du diesel à 670.00 gourdes alors qu’un gallon de kérosène ou gaz blanc, le plus utilisé par les ménages en Haïti, coûte désormais 685.00 gourdes.

« Les autorités haïtiennes n’ont pas d’instruments pour dépenser l’argent de la subvention des produits pétroliers. L’option aurait été le budget, mais la façon dont il est outillé ne nous permettra pas de l’utiliser », considère Labossière, qui pointe les mensonges du gouvernement de facto s’adonnant dans le gaspillage des fonds publics.

Finalement, ces autorités n’auront d’argent que pour le fonctionnement de l’État, poursuit-il.

« La plupart des dépenses budgétaires sont pour le fonctionnent. Elles n’ont pas vraiment d’impact sur l’ensemble de l’économie », déplore-t-il, plaidant en faveur de nouvelles conceptions budgétaires.

Selon une étude, une bonne partie des subventions des produits pétroliers (la réduction du niveau de taxes perçues sur les produits pétroliers) profite aux riches, évoque l’économiste, soulignant combien cet argent pourrait permettre de construire plus d’écoles, d’aider les familles incapables et de construire des hôpitaux.

En juin 2022, le titulaire de facto du Ministère de l’économie et des finances (Mef), Michel Patrick Boisvert, avait expliqué combien le gouvernement de facto ne pouvait plus continuer à supporter les subventions du carburant, cette réduction du niveau de taxes perçues sur les produits pétroliers, évaluée entre 7 et 9 milliards de gourdes par mois.

Boisvert avait fait cette déclaration, en marge de la signature d’un accord portant sur un programme de surveillance financière entre le gouvernement de facto en Haïti et le Fonds monétaire international (Fmi), qui devrait se poursuivre jusqu’au 31 mai 2023.

« Les institutions internationales n’attendent pas que vous appliquez à la lettre ce qu’elles demandent, parce qu’elles savent que cela peut créer des problèmes, comme des émeutes de la faim », soutient Eddy Labossière.

Le gouvernement de facto possède une marge de manœuvres. Mais, il faut des personnes compétentes dans les postes stratégiques, avance-t-il.

« Il nous revient de mettre des gens compétents, des patriotes, qui peuvent discuter avec l’étranger et lui expliquer comment il est impossible d’augmenter par exemple la gazoline à 128 % ».

Plus de 80% d’Haïtiennes et d’Haïtiens pourraient être en situation de pauvreté

La conjoncture en Haïti risque de plonger plus 80% de la population en situation de pauvreté, d’extrême pauvreté et d’urgence alimentaire. Ce ne sera pas étonnant que 10 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens sur 12 soient dans cette situation de pauvreté, dans quelques mois, augure Eddy Labossière.

« Aucun secteur ne fonctionne dans le pays. C’est une économie en faillite. Les secteurs primaire, secondaire et tertiaire ne fonctionnent point ».

De plus, « l’État n’est pas capable de payer ses dettes, il doit 2 mois de paiements de traitements aux fonctionnaires. Les 90 mille agentes et agents de la fonction publique ne perçoivent pas leurs traitements. C’est un État en faillite ».

Face aux pressions évidentes sur les salaires, il faudrait des ajustements salariaux dans toutes les branches d’activités. Sinon, la vie deviendra intenable en Haïti, craint l’économiste Eddy Labossière. [mff emb rc apr 16/11/2022 11:50]