Actualisé à 18:00
P-au-P, 15 nov. 2022 [AlterPresse] --- La nomination, par le premier ministre de facto Ariel Henry, du juge Jean Joseph Lebrun comme président à la Cour de Cassation, la plus haute instance du pouvoir judiciaire de la république d’Haïti, est saluée par des associations de magistrats et critiquée par certains organismes de défense des droits humains, observe AlterPresse.
Le poste était resté vacant depuis la mort, le 23 juin 2021, de l’ancien président de la Cour de Cassation et du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (Cspj), le juge René Sylvestre.
Cette nomination est saluée, dans une note en date du 14 novembre 2022, par l’Association professionnelle des magistrats (Apm), qui la considère comme un pas important vers le fonctionnement régulier de la Cour de Cassation.
UDe son coté, l’Association nationale des magistrats haïtiens (Anamah) prend acte de l’arrivée du magistrat Lebrun à la présidence de la Cour de cassation, tout en soulignant « l’inconstitutionnalité de la décision ». Elle « ne s’y oppose pas », écrit-elle dans un communiqué, « en raison de la situation chaotique du service public de la justice ».
L’occupation du poste de président de la Cour de Cassation par le juge Lebrun devrait pallier au dysfonctionnement du Cspj, organe d’administration, de contrôle, de discipline et de délibération du pouvoir judiciaire, estiment les associations.
Nomination « inconstitutionnelle, illégale et arbitraire »
La Plateforme des organisations haïtiennes des droits humains (Pohdh) et le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) dénoncent, dans des interviews à AlterPresse/AlterRadio, la nomination « inconstitutionnelle, illégale et arbitraire » effectuée par Ariel Henry.
« L’article 175 de la Constitution dit clairement que c’est le président de la république, qui doit nommer les juges à la Cour de Cassation. Un premier ministre de facto et illégal n’a aucune compétence légale et constitutionnelle pour nommer un président à la Cour de Cassation. », souligne le secrétaire exécutif de la Pohdh, Alermy Piervilus.
« Les juges de la Cour de Cassation sont nommés par le président de la république sur une liste de trois personnes par siège, soumise par le sénat. Ceux des cours d’appel et des tribunaux de première instance le sont sur une liste, soumise par l’Assemblée départementale concernée ; les juges de paix sur une liste préparée par les Assemblées communales », stipule cet article de la Constitution 1987 amendée.
La nomination du juge Jean Joseph Lebrun, s’inscrivant sur une logique « d’arrangement politique et politicienne » de l’équipe au pouvoir, constitue une manœuvre visant à influencer le pouvoir judiciaire et à le vassaliser, met en garde la Pohdh.
Cette décision n’entre dans aucune démarche, visant à aider véritablement à résoudre les problèmes, auxquels est confrontée la justice haïtienne, estime-t-elle.
« Toute personne ou institution, qui veut aider à résoudre la crise actuelle, n’a pas intérêt à supporter une décision pareille ».
Dans la réalité, la Cour de Cassation où siègent seulement trois juges, est dysfonctionnelle, déplore la Pohdh, tout en suggérant que la démarche actuelle devrait s’intéresser à la recomposition de la Cour de Cassation.
« Comment un premier ministre peut-il nommer un président à la Cour de Cassation, alors que celle-ci n’existe pas. » ?, s’interroge-t-elle.
Face à un gouvernement de facto et décrié, qui n’a aucune légitimité, la décision de nommer un président à la Cour de Cassation, dans ce contexte de crise, devrait être prise sur la base d’un consensus, qui pourrait, seul, permettre d’adresser cette question, nuance-t-elle.
Cette nomination est faite en violation de la loi, relève, pour sa part, dans des déclarations à AlterPresse, le Réseau national de défense des droits humains (Rndh), qui a aussi exprimé de vives inquiétudes sur les conséquences de cette nomination à la Cour de Cassation.
« Le juge Lebrun a fait carrière dans le système judiciaire. Malheureusement, il a accepté, en dehors de la loi et de la Constitution, de devenir le président de la Cour de Cassation. », regrette le directeur exécutif du Rnddh, Pierre Espérance.
Ariel Henry n’a aucun mandat. Par conséquent, il ne peut pas engager l’État dans une série de décisions, sans une entente permettant de déboucher sur un accord politique avec une feuille de route claire, rappelle le Réseau national de défense de droits humains.
Plus d’une dizaine d’organisations de droits humains, féministes et de la société civile avaient mis en garde le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (Cspj) et les différentes associations de magistrats contre toute tentative de nomination inconstitutionnelle et illégale de juges à la Cour de Cassation, dans une note de protestation publiée en avril 2022.
Elles avaient déjà dénoncé, en février 2022, des tractations, qui étaient en cours pour la nomination, en dehors de la Constitution, d’individus devant compléter la Cour de Cassation. [emb rc apr 15/11/2022 10:15]