Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 10 novembre 2022
« Le premier ministre Justin Trudeau a convoqué, le 9 novembre écoulé, une autre réunion pour discuter de l’évolution de la situation en Haïti avec des ministres et des hauts responsables », informe le dernier communiqué du Bureau du Premier ministre du Canada. Sur le terrain en Haïti, la situation sécuritaire se dégrade quotidiennement. Le peuple haïtien est à bout de souffle et beaucoup se posent - souvent tout bas - la même question : quand est-ce que les Canadiens vont venir ?
Le nouveau communiqué, daté du 9 novembre, indique que Monsieur Trudeau « a convoqué le Groupe d’intervention en cas d’incident pour discuter de l’évolution de la situation sécuritaire et humanitaire en Haïti, qui demeure précaire (,,,) ». Langage détaché et diplomatique. Aucune annonce transcendante mis à part la demande du premier ministre « (…) de solliciter des contributions pour Haïti et d’exiger des comptes aux responsables des troubles au moyen de sanctions. »
Le communiqué souligne que « la Police nationale d’Haïti a réalisé des progrès pour démanteler les barrages et que les acteurs politiques d’Haïti ont repris leur dialogue ». Pas un mot sur la soi-disant « libération » du Terminal de Varreux par une police qui n’a donné aucune explication sur cette opération et encore moins sur ce qui est advenu de Jimmy Chérizier, alias Barbecue, recherché par la police depuis des années et directement pointé du doigt par la résolution résolution 2653 des Nations Unies, adoptée le 22 octobre 2022 ; une résolution adoptant un régime de sanctions ciblées visant spécifiquement Jimmy Cherizier et ceux qui menacent la paix, la sécurité ou la stabilité. Qu’est-il arrivé ? Où sont passés Cherizier et ses hommes qui ont bloqué la capitale pendant plus de deux mois ? Le gouvernement haïtien aurait-il effectivement passé un « deal » avec ce terroriste accusé de crimes contre l’humanité, après plus de deux semaines de pourparlers, comme révélé par CNN ? Tout porte à le croire puisque, depuis, le gouvernement haïtien n’a pipé mot, la police n’a montré aucune photo de victimes dans un camp ou dans l’autre. Par contre, le Chef de la Police nationale, Frantz Elbé n’a pas manqué de s’auto congratuler ainsi que ses hommes. Un vrai scandale qui montre qu’en Haïti, « le véritable et seul dirigeant du pays s’appelle Jimmy « Barbecue » Chérizier qui décide des vies, des biens, de nos allées et de nos venues, dénonce Maitre Bernard Gousse , dans le Nouvelliste.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le leadership du Canada dans une potentielle intervention étrangère n’a pas encore pointé son nez. Quant aux Haïtiens, leur zombification se poursuit puisque : dès l’annonce de la reprise de distribution de carburant, prévue de commencer ce samedi 12 novembre, ils n’ont même pas élevé collectivement leurs voix pour demander des comptes au gouvernement. Tout le monde attend le carburant pour reprendre ses activités et, désormais, les médias en ligne sont davantage préoccupés par les préambules de la Coupe du monde de la FIFA Qatar 2022, qui se déroulera du 20 novembre au 18 décembre prochain.
Quant à « la reprise du dialogue entre les acteurs politiques », entre la fuite en avant des responsables de l’Accord du Montana suite aux sanctions internationales (contre le président du Sénat, Joseph Lambert, et l’ex-président du Sénat, le Sénateur Latortue) et le « compromis historique national » qui propose (encore) un compromis avec le PHTK au pouvoir, il est clair que nos partis politiques n’ont pas fini de serrer la main du diable ! Les gangs, quant à eux, continuent à semer la terreur à travers des kidnappings, braquages et vols à main armée, des crimes et des viols collectifs de femmes et d’enfants.
Le Canada va-t-il reculer ?
« On a compris que les États-Unis ne voulaient pas prendre le leadership (de l’intervention internationale), mais on voit aussi que le Canada est en train de reculer depuis quelques jours », a déclaré le 9 novembre écoulé, le rédacteur en chef du Nouvelliste, Frantz Duval, lors d’une interview avec Eric Stromayer, Chargé d’affaires des États-Unis en Haïti. Le Canada va-t-il reculer ?
« Je ne suis pas d’accord avec cette présomption que le Canada recule », a répondu le député Emmanuel Dubourg contacté à Montréal, aujourd’hui. « Le premier ministre et tout son cabinet sont à pied d’œuvre pour aider Haïti. La situation n’est pas simple. Le Canada doit se préparer », a-t-il souligné en informant que des pourparlers ont lieu entre des parlementaires et des membres de la diaspora » et en rappelant que « le Canada est un ami d’Haïti, nous souhaitons de tout cœur aider le peuple haïtien ».
La « manière canadienne » trop souple pour les gangs ?
« Les Canadiens sont un peuple éminemment civilisé et je crains qu’ils soient horrifiés par la cruauté des gangs en Haïti » , déclare l’historien et constitutionaliste, Dr. Georges Michel en entrevue avec nous. Selon lui, les Canadiens n’ont pas d’expérience dans le Tiers-Monde or, dit-il., « ici, ils auront affaire à des criminels sans foi ni loi, des violeurs qui ont commis des crimes contre l’humanité. Il va (donc) falloir une opération musclée pour pacifier le pays », prévient-il.
D’autre part, comment interpréter « en cas d’incident » dans le dernier communiqué du Premier ministre Trudeau ? Prenons un seul exemple : des milliers de ces membres de gangs sont des mineurs. Comment penser les « éliminer » ou les mettre en prison dans un état failli, où la justice n’existe pas, où les prisons sont surpeuplées et des prisonniers atteints de choléra ? Voilà une seule question qui doit certainement préoccuper le Canada qui est un pays qui fonctionne avec des paramètres démocratiques.
Tout ceci, sans oublier que beaucoup d’Haïtiens, tant en Haïti qu’à l’étranger, ont manifesté leur refus d’une intervention étrangère. Mais, selon Dr Georges Michel, « il faut une opération radicale contre les gangs sinon nous aurons d’autres graves problèmes d’ici peu », avertit-il, du moment qu’elle n’implique ni les Nations-Unies ni Mme Helen La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU. Cet historien et constitutionaliste, connu pour son soutien à l’armée d’Haïti et son patriotisme, a été un des rares intellectuels à se prononcer ouvertement en faveur d’une assistance internationale pour éviter que le pays sombre dans le chaos. Il estime que ni le gouvernement haïtien, ni la police n’ont les moyens de combattre les gangs qui emploient la technique de guérilla. Selon lui, sans une assistance externe, « les élections ne seront pas possibles et les gangs non seulement gagneront mais ils seront les grands électeurs qui rempliront les urnes. » Quant à ceux qui redoutent qu’une intervention internationale renforce le pouvoir de facto d’Ariel Henry, il leur répond : « il ne faut pas confondre vitesse et précipitation : il faut d’abord pacifier le pays ensuite on s’occupera d’Ariel Henry. »
Arrêter de voir le complot partout
Selon une source à Ottawa qui a requis l’anonymat, « la manière canadienne c’est trouver les meilleurs outils que nous avons pour aider le peuple haïtien, le supporter, l’accompagner mais pas l’envahir ! » Devant la réticence des Haïtiens à voir des étrangers fouler leur sol, le gouvernement canadien – par toutes ses voix officielles – a clairement répété que le Canada voulait trouver les moyens de soutenir le peuple haïtien en cette période difficile. Dans le dernier communiqué du 9 novembre 2022, Monsieur Justin Trudeau souligne encore « la nécessité de soutenir la mise en œuvre d’une solution dirigée par les Haïtiens pour faire face à la situation actuelle. »
Pour notre source, si les Haïtiens s’impatientent de voir arriver la force internationale dont le Canada doit prendre le leadership, ils doivent aussi comprendre que l’appui (à une telle force) n’est pas visible à Ottawa : « Où est la société civile progressiste qui s’engage, et montre qu’elle est concernée ? Il n’y a que des critiques et aucune proposition » et c’est pour cela que le Canada n’a pas bougé, déplore notre source, tout en encourageant les Haïtiens à se battre pour construire leur pays et leur avenir. « Le Canada n’a aucune intention ni intérêt à envahir Haïti. Nous sommes connus pour être des pacifistes alors il faut que les Haïtiens arrêtent de toujours penser qu’on leur veut du mal. Le Canada sera toujours là comme partenaire pour les accompagner dans leur marche vers la démocratie », a conclu notre source.
Entre prix à payer et enjeux
Quel sera le prix à payer pour les Haïtiens si le Canada ne vient pas en Haïti ? Le Docteur Georges Michel émet deux hypothèses :
« Si (cette force armée spéciale) ne vient pas, nous allons continuer à nous enfoncer. A ce propos, il craint même le pire. « Rien n’empêche à Barbecue de pénétrer au Palais national pour se proclamer président de la République. Cela peut arriver. C’est déjà arrivé en Somalie, au Libéria. » Il ne le souhaite pas mais si cela devait se concrétiser « les bandits s’enhardiront et les étrangers devront gérer la catastrophe », a résumé l’historien Georges Michel, dans une interview au Nouvelliste.
Quant au Canada, s’il n’apporte pas en Haïti sa solidarité agissante, il aura fait beaucoup de bruit pour rien et déçu beaucoup d’Haïtiens, que ces derniers l’admettent ou non. Cela serait, peut-être encore plus grave que s’il était venu car il s’exposerait à un échec local et international qui l’empêcherait de redorer son blason aux yeux du monde.
Car, si la Floride est la première destination des réfugiés haïtiens en Amérique du Nord, le Canada en est la seconde. Or, ce serait un leurre de croire que permettre à un État paria d’exister au sein des Amériques n’exposera pas la région à une crise sanitaire (avec le choléra) ou au trafic de drogue ; que ce soit à une heure et demie d’Haïti (par la Floride) ou à quatre heures (pour Montréal).
De plus, le Canada a beau être un grand pays, il a toujours vécu replié sur lui-même et n’a posé aucun geste grandiose dans le monde pouvant, par exemple, lui assurer un siège de membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Canada n’a pas siégé au Conseil de sécurité de l’ONU depuis son dernier mandat en 1999-2000. En 2010, il l’a perdu au profit du Portugal et, une seconde fois, en 2020 face à la Norvège et l’Irlande qui ont remporté chacune un siège dès le premier tour. Or pour que le Canada soit perçu comme un véritable leader dans le monde, il doit contribuer aux missions de paix internationales et augmenter son aide au développement.
Conclusion
Un nationaliste et ancien militaire du Corps des Léopards sous Jean-Claude Duvalier, a déclaré sur Radio Métropole il y a un mois : « Je préfère qu’Izo (redoutable chez de gang) me mette une balle dans la tête plutôt qu’un blanc me donne une baffe. » Cet homme, au surplus délirant de testostérones, a choisi une belle mort car, aujourd’hui, des chefs de gangs tels que Izo, Barbecue ou Ti Makak, mettent le feu à leurs victimes vivantes. Que dirait-il aux parents qui assistent impuissants aux viols collectifs de leurs enfants ? « Des enfants, dont la grande majorité sont des filles, ont été victimes de viols collectifs pendant des heures devant leurs parents au milieu de l’explosion de la violence des gangs. Une fille sur quatre et un garçon sur cinq ont été abusés sexuellement dans la capitale haïtienne. », a rapporté le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, le 1er novembre dernier, Et ce ne sont que les victimes qui ont osé porter plainte.
« Nous sommes déjà sous l’occupation des bandits. La pire des occupations. Nous ne pouvons pas aller dans la ville la plus proche ou aller dans un autre département sans nous faire tirer dessus. S’ils critiquent le projet d’intervention, c’est qu’ils ont un intérêt dans le statu quo », a écrit Patrick Pelissier cette semaine sur Twitter. « L’insouciance des uns et la passivité des autres, nous ont conduit là où nous sommes », dénonce-t-il.
En lieu et place d’envolées nationalistes simplistes et hors-sol, prenons en considération les intérêts du peuple haïtien et de toutes ses victimes. Réfléchissons, travaillons ensemble et de façon rationnelle à proposer au Canada les voies et moyens de nous accompagner à faire le grand nettoyage des criminels et des corrompus, dans tous les secteurs de notre pays : politique, secteur privé et médias, entre autres. D’ailleurs, en nettoyant les écuries d’Augias et en traçant des exemples, le Canada pourrait motiver le peuple et lui redonnera confiance. Mobilisons des think tank comme certains haïtiens de Montréal qui œuvrent déjà à la création d’un observatoire de l’intervention canadienne en Haïti. « Le patriotisme, c’est l’amour des siens ; le nationalisme, c’est la haine des autres » (Romain Gary) Apprenons à faire la différence et à agir de sorte. A défaut, « Haïti restera le cimetière de la logique et du bon sens. » (Patrick Pelissier)
Photo logo : UNFPA/Ralph Tedy Erol