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Haïti a urgemment besoin d’une nouvelle gouvernance !

Par Pierre-Richard Cajuste*

Soumis à AlterPresse le 7 novembre 2022

« Nous mourrons tous, nous mourrons tous, les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants ! », écrivait Jacques Roumain dans son chef-d’œuvre Gouverneurs de la rosée. Ici c’est la responsabilité humaine dans les catastrophes naturelles que le grand écrivain pointait déjà du doigt et l’incapacité d’offrir à une population en souffrance le strict minimum. On est dans les années 20-30.

Près d’un siècle plus tard, ce cri déchirant de Délira Délivrance n’a pas pris une ride. Il garde toute sa verdeur dans la situation de désespoir et de désarroi que vit la population haïtienne ces derniers temps. Les revendications restent les mêmes. Rien n’a changé. Au contraire, la situation écologique a même empiré. Le séisme du 12 janvier 2010 et les autres catastrophes naturelles qu’a connus le pays, les différentes pluies diluviennes, les cyclones, les ouragans survenus au cours de ces dix dernières années sont, à n’en pas douter, la conséquence d’une mauvaise gestion par l’Haïtien de son environnement.

Ces désastres naturels mettent aussi à nu l’extrême vulnérabilité structurelle du pays. Plus de 65% de la population vit dans l’extrême pauvreté, avec un taux de chômage avoisinant les 40%. L’État haïtien est incapable de remplir ses fonctions régaliennes. Du point de vue économique, c’est la récession (crise) en bonne et due forme : le pays affiche un chiffre d’exportation ne dépassant pas sept cents millions de dollars américains, alors que l’exportation dominicaine est environ de dix milliards de dollars américains l’an. L’investissement direct étranger est presqu’inexistant. Quant aux politiques publiques, on engage à tout-va des dépenses inaptes à assurer les services sociaux de base, encore moins à protéger et servir les intérêts de la population ; outre cette gabegie institutionnelle, les immenses pertes entraînées par une corruption endémique et systémique quasi-généralisée ne risquent guère, hélas, d’arranger les choses.

Au cours des dernières années, profitant de la faiblesse des institutions de maintien d’ordre et l’impunité en découlant, les gangs se sont multipliés à travers le pays, terrorisant la population, provoquant des déplacements de populations, ruinant de nombreuses familles lors des rapts et kidnappings contre rançons. Sans compter les assassinats, les viols et les tortures. La situation sécuritaire est telle que l’actuel gouvernement a été contraint de demander l’aide de l’étranger pour venir à bout de ce fléau.

La classe politique est désarmée. La situation socio-politique haïtienne combine aussi une suite de crises politiques qui ont mis bas tour à tour tyrannie et anarchie jusqu’à aboutir à l’assassinat du dernier président de la République, en juillet 2021. Un an après le meurtre, les différentes factions politiques formant l’opposition et le gouvernement n’arrivent à trouver une porte de sortie de la crise. D’un autre côté, les adversaires et les partisans d’une aide de l’étranger se déchirent. Pendant ce temps, la population souffre.

Depuis plus de deux décennies, nous nous débattons pour transformer ce système usé jusqu’à la corde. Cependant, jusqu’à date, très peu de choses ont changé, pour utiliser un euphémisme. Les Haïtiens sont fatigués de vivre dans cette insécurité quotidienne et le peuple de vivoter dans des conditions aussi inhumaines. Mis à part la pandémie du Covid 19, les désastres naturels, l’insécurité, la mauvaise gouvernance et les différentes crises politiques sont les principaux freins au développement des activités économiques en Haïti.

Un constat qui conduit les observateurs à se demander pourquoi les partenaires internationaux d’Haïti s’obstinent à traiter avec les mêmes acteurs nationaux alors que les résultats obtenus sont loin d’être probants.

Changeons de paradigme

Quand on regarde l’état de la situation, on se demande si on va encore une fois formaliser l’incertitude à travers de nouvelles élections. Face à cet échec collectif qui n’a que trop duré, il est venu le temps de changer la manière d’aborder la question du changement et du développement en Haïti. Cette nouvelle approche s’avère impérative si on veut sortir de l’abîme.

Au lendemain du séisme, les différents responsables de l’État parlaient du « nouveau futur ». Une décennie plus tard, ce projet a bel et bien échoué. À l’époque, il s’agissait d’une prise en charge efficace de la question sécuritaire, la mise en route d’un processus devant aboutir à un amendement constitutionnel, l’organisation d’élections à tous les niveaux, la recherche de la normalité constitutionnelle, l’établissement d’un état de droit, l’amélioration et l’accès aux services sociaux de base, la réforme de l’administration publique, l’appui à la reconstruction et au développement économique.

Il est certain que la réforme de l’administration publique est un élément essentiel. Un besoin important de fluidité et de savoir-faire en matière de planification dans l’administration publique haïtienne reste un impératif. C’est d’ailleurs par son fonctionnement administratif que le citoyen ordinaire peut évaluer l’efficacité d’un gouvernement. Mettre l’accent sur une bonne administration permet non seulement de rationaliser les services mais aussi d’augmenter nos ressources financières. Ils sont pléthore les citoyens ne disposant pas d’une carte d’identité, d’un passeport et même d’un acte de naissance. Que d’Haïtiens n’ont pas d’adresse et ne sont pas répertoriés par l’État ! Que dire des problèmes de cadastre et d’insécurité foncière auxquels les paysans sont souvent confrontés ? Il convient à tout prix d’y trouver une solution durable pour garantir la propriété et réduire par la même occasion les nombreux conflits terriens qui éclatent régulièrement dans nos provinces.

Changer l’architecture financière du pays exige d’abord que le citoyen existe. Jusqu’à présent, nos institutions publiques sont dans l’incapacité de rendre les services auxquels chaque Haïtien a droit.

Le combat efficace pour faire reculer continuellement et durablement les frontières de la pauvreté suppose, fondamentalement, l’existence d’un État de droit, fort, respecté et légitime, d’une administration bien outillée et performante et d’une participation effective de l’ensemble des composantes sociales à l’œuvre de construction nationale.

Un État qui se veut juste à le devoir d’assurer l’accès à la justice et à l’administration, promouvoir et protéger les droits de la personne et les libertés fondamentales. Mais cela ne suffit pas : il doit aussi assurer la cohésion sociale en étant un arbitre et un acteur qui assure l’accès à la santé, à l’éducation, et qui crée les conditions pour l’augmentation de la richesse en identifiant les vecteurs de croissance. L’État doit veiller à gérer les richesses de manière responsable et impartiale, afin d’assurer leur redistribution équitable.

C’est parce que les Haïtiens n’ont pas respecté ces principes sacrés du vivre-ensemble – certains par ignorance, d’autres par appât du gain - que nous sommes aujourd’hui dans cette situation à la fois chaotique et auto-destructrice. Le pays est devenu une vallée de larmes.

La misère engendre l’insécurité et l’insécurité, la misère : un cercle vicieux. Vivre ensemble dans la paix et l’harmonie nous force à prendre à bras-le-corps les questions liées à la production, la technologie et surtout un autre modèle de développement. Pour ce faire, nous devons mettre sur pied une autre forme de gouvernance au service de la population pour mieux reconstruire ce qui a été détruit par le séisme et les troubles politiques et pour construire l’Haïti rêvée par nos ancêtres et par nos contemporains, c’est-à-dire une terre où règnent l’unité, le respect des lois, la stabilité et le partage. Sinon on sera condamnés à faire les frais des manœuvres politiciennes des uns et des autres et à rester sous la férule des gangs ultra-violents qui essaiment un peu partout dans notre pays.

*Diplomate
Contact : cajuste2000@yahoo.com