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Quand les États-Unis et le Canada jouent aux pompiers pyromanes dans la crise en Haïti

Une véritable propagande systématique des ambassades occidentales, en vue de préparer l’opinion publique pour une énième intervention militaire en Haïti

Transmis à AlterPresse le 8 novembre 2022

Par Renel Exentus  [1]

Il n’existe pas encore de bilan exhaustif sur les conséquences néfastes des missions militaires américaines et onusiennes en Haïti, depuis les trente dernières années. Les rapports les plus conservateurs font état de plusieurs centaines de milliers de victimes. L’introduction du virus du choléra, par les troupes onusiennes, a fait à lui seul plus de 10,000 morts et 800,000 contaminés. Les opérations militaires dans les quartiers populaires ont causé presqu’autant de victimes, mais les rapports en parlent très peu. À l’époque, les forces d’occupation pouvaient massacrer les pauvres des bidonvilles, sans trop attirer l’attention des organismes des droits humains [2] .

Soulignons que les États-Unis d’Amérique ont toujours joué un rôle de premier plan dans la déstabilisation, justifiant les interventions militaires en Haïti. Pendant la décennie 1990, tout a été mis en œuvre pour transformer en cauchemar la volonté des masses populaires de choisir leurs propres dirigeants. De concert avec les classes dominantes haïtiennes, les services secrets américains se sont servis du commandement de l’armée pour renverser le gouvernement démocratiquement élu d’Aristide. En 1994, Bill Clinton a ramené Aristide avec 20,000 marines. Après avoir déstabilisé le pays en instrumentalisant les militaires, les États-Unis interviennent pour apporter « la démocratie », sous la menace des mitrailleuses. Ce retour de la démocratie a été, en fait, une nouvelle imposition des mesures d’ajustements structurels, implémentés successivement par les gouvernements de Jean-Bertrand Aristide et de René Garcia Préval.

En 2004, avec l’appui du Canada, les États-Unis ont, de nouveau, renversé un gouvernement élu. L’armée d’Haïti étant dissoute, les armées étrangères intervenaient directement pour séquestrer le président. Cela a ouvert la voie à une nouvelle occupation militaire du pays, entrainant des conséquences néfastes pour les masses populaires. Les viols et les assassinats massifs n’ont été que la fine pointe de l’iceberg. Pourtant, avec leurs milliers de tanks, les missions militaires étrangères prétendaient, une fois de plus, apporter « la démocratie » aux « nègres » d’Haïti. Dans les faits, l’analyse de ces expériences d’ingérence permet de voir que les États-Unis se moquent de la démocratie, même formelle, dans la mesure où ils mobilisent toujours l’ensemble de ses agences pour déstabiliser le pays.

Par ailleurs, sur le plan institutionnel, les conséquences de ces interventions sont incommensurables. La gouvernance du pays tombe désormais sous l’égide des ambassades occidentales. En renforçant leur mainmise sur le pays, celles-ci s’octroient le droit de choisir le président, de décider de la liste des élus, voire même d’imposer des dirigeants de facto, etc. Les rares institutions fonctionnelles sont sous la coupe réglée des ambassades occidentales, notamment celles des États-Unis. C’est en ce sens que le régime néoduvaliériste du Parti haïtien tèt kale (Phtk) a été minutieusement sélectionné et institué, pour diriger le pays après le séisme du 12 janvier 2010. Ces ambassades arrivaient même à exiger le changement des résultats des urnes, en utilisant la force des baïonnettes de la Mission des Nations unies de stabilisation en Haïti (Minustah) en 2010.

Depuis deux semaines, les ambassades occidentales, notamment les États-Unis et le Canada, se livrent à une véritable propagande systématique, en vue de préparer l’opinion publique pour une énième intervention militaire en Haïti. Elles se basent sur l’existence d’une crise humanitaire sévissant dans le pays. Cela sous-entend que ces ambassades seraient des bons samaritains, qui courent au secours des pauvres dans le monde ! Certains intellectuels, dont Jean Marie Théodat, Frédéric Boisrond, Georges Michel, montent au créneau pour justifier une telle idée [3] .

Le bilan catastrophique des invasions militaires ne se circonscrit pas seulement à Haïti. Rappelons que les États-Unis et ses alliés viennent d’occuper militairement l’Afghanistan, pendant 20 ans. Cette occupation a causé l’une des plus importantes crises humanitaires dans la région. Dans plusieurs villes du pays, les Afghans se trouvent dans l’obligation de vendre leurs reins pour s’acheter de la nourriture, alors que le gouvernement de Joe Biden a gelé des fonds d’une valeur de plusieurs milliards de dollars appartenant à l’État afghan [4] . Dans le continent africain, les interventions militaires ont entraîné l’effondrement de l’État libyen, en transformant le territoire en théâtre de guerres fratricides depuis une décennie. Plus près de nous, dans le cadre d’un projet d’intervention avorté, le gouvernement étasunien a imposé des sanctions économiques au peuple vénézuélien, depuis plusieurs années. À cause de ses sanctions, plusieurs millions de Vénézuéliens ont sombré dans la pauvreté la plus abjecte, au point que la migration devient un acte de survie. Mais, une fois atteints la frontière américaine, ces migrants vénézuéliens sont massivement déportés.

Dans le cas d’Haïti, où les bons samaritains occidentaux s’apprêtent à envoyer leurs missions militaires, le cynisme s’associe à l’hypocrisie éhontée. Pour l’année 2021-2022, l’administration américaine a déporté plus de 20,000 haïtiens en moins d’un an [5] . Alors que ces migrants fuyaient la crise humanitaire et la violence des gangs, les bons samaritains étasuniens ne leur reconnaissaient même pas le droit de formuler une demande d’asile sur leur territoire.