Biographie du père Kawas FRANÇOIS, S.J
(14 mars 1954- 23 octobre 2022)
Par père Jean Denis Saint-Félix, S.J
Supérieur des Jésuites en Haïti
Transmis à AlterPresse le 3 novembre 2022
« Les jésuites sont des hommes crucifiés au monde et pour qui le monde est crucifié ; des hommes nouveaux qui sont dépouillé de leurs attachement pour revêtir le Christ ; des hommes morts à eux-mêmes afin de vivre pour la justice ; des hommes qui, pour reprendre les mots de saint Paul, dans les fatigues, dans les veilles, dans les jeûnes, dans la chasteté, dans la science, dans la patience, dans la bontés, dans l’Esprit Saint, dans la charité sans feinte, dans la parole de vérité, se montrent des ministres de Dieu et par les armes offensives et défensives de la justice, dans la gloire et le mépris, dans la mauvaise et la bonne réputation, dans le succès et dans l’adversité, tendent à grandes marches vers la patrie céleste. » [P. Pedro Ribadeinera, S.J., préface de la première édition des Constitutions de la S.J]
Né le 14 mars 1954, à Marigot, une section communale de Pilate, un très joli petit village situé au nord du pays, dans une famille de six enfants dont quatre garçons et deux filles, père Kawas François a fait ses études primaires à Pilate même. Au terme de ses études secondaires qu’il a réalisées au Collège Notre-Dame du Cap-Haïtien, dirigé par les Pères de Sainte-Croix, de 1968 à 1975, il entra au Grand-Séminaire de Port-au-Prince en vue de devenir prêtre du diocèse du Cap-Haïtien auquel il appartenait. C’est au Grand-Séminaire qu’il a connu des Jésuites qui faisaient partie du corps professoral. Lui-même leur rendit ce témoignage au moment où il fit son entrée dans la Compagnie : « Leur compétence, leur zèle apostolique et leur façon d’aborder les problèmes impressionnèrent plusieurs d’entre nous. »
Après avoir complété ses études de philosophie et de théologie, il fut ordonné prêtre le 23 août 1981, par Mgr François Gayot, un Montfortain, à Pilate, en même temps que son cousin Moïse. Il exerça le ministère sacerdotal comme vicaire à la cathédrale du Cap-Haïtien et ensuite à Dondon, durant cinq ans, avant d’exprimer son désir de devenir Jésuite. En faisant un retour sur ses premières années de vie sacerdotale, il notait dans les Nouvelles de la Province du Canada français, en janvier 1988 : « C’est au coeur de l’action apostolique dans les communautés ecclésiales de base que je sentis la nécessité d’un don plus total au Seigneur dans la vie religieuse. »
Le père Kawas est entré au noviciat de la Compagnie de Jésus, à Guadalajara, au Mexique le 2 août 1987 où il a prononcé les premiers voeux deux ans plus tard. Après avoir prononcé ses premiers voeux, il entreprit la première étape des études dans la Compagnie à Mexico. Il obtint une maîtrise en sociologie de l’université Iberoamericana à l’été 1991. Il portait déjà le désir d’appliquer ses connaissances à l’étude de l’histoire de l’Église en Haïti et des mouvements sociaux qui ont marqué l’évolution de la société haïtienne. Il obtint des autorités de la Province du Canada français d’aller poursuivre ses études en France. Il y résida de 1991 à 1995. Après avoir complété un second cycle en théologie à l’Institut Catholique de Paris, il s’inscrivit à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques du même institut au niveau des études doctorales. Il rédigea la thèse après son retour en Haïti et il la défendit en juillet 1998. Elle portait sur le sujet suivant : « La crise des relations Église-État (1980-1986) ». Il publiera, par la suite, plusieurs études qui s’inscriront dans la continuité de cette première recherche. Père Kawas a prononcé ses derniers voeux dans la Compagnie le 24 décembre 2002 à Port-au-Prince.
En Bon Missionnaire, Le Père Kawas FRANÇOIS a fait sa Pâque le dimanche 23 octobre 2022, en la journée mondiale de la mission de l’Église Universelle à l’hôpital du Canapé-Vert, à 09H10, à la suite d’un ACV survenu la veille, soit le samedi 22 octobre. Il était âgé de 68 ans et entamait sa 36ème année de vie religieuse.
Il fut avant tout un Haïtien conséquent, passionné de son pays, à l’aise et bien enraciné dans sa culture. Un chrétien fasciné par la personne de Jésus – il disait souvent que Jésus n’était pas un petit rabbin inconnu, errant dans un coin perdu de la Galilée, mais un homme totalement enraciné et engagé dans la réalité de son temps, investi d’une vraie autorité, émanant de son intimité avec le Père, lui permettant d’oeuvrer au changement du cours de l’histoire en vue de la libération intégrale de l’homme. Il était un prêtre selon le coeur du Christ - Un religieux jésuite formé dans la meilleure de nos traditions, imprégné de la culture universelle de la Compagnie de Jésus dont Saint Ignace de Loyola est le fondateur. Il fut un bon compagnon.
Le Père Kawas, ce sont aussi les initiatives, c’est l’excellence, ce sont les langues : au Grand Séminaire Notre-Dame alors qu’il était encore séminariste, il a fondé, avec d’autres, l’académie pour initier les grands séminaristes à l’apprentissage de la langue de Cervantes. On le trouve déjà à l’origine de la publication d’un petit livre intitulé, « La formation des prêtres dans l’histoire de l’Église d’Haïti. »
Le père Kawas ce sont des et des années de bonnes et sérieuses études comme le veut bien la tradition de la Compagnie de Jésus. C’est la passion pour la recherche pour laquelle il a réalisé de nombreux stages en documentation et en gestion des PME dans plusieurs pays d’Afrique dont le Cameroun et la Côte d’Ivoire. C’est une très longue histoire de collaboration à l’UNDH avec les professeurs Yves Blanchard, Joseph Chéry, Beauge Moncoeur, Renan Dorélien, etc. sur la délinquance juvénile, la violence, la participation aux élections, sur le sens du scrutin, la situation des étudiants haïtiens en République Dominicaine, etc.
Le père Kawas, c’est l’analyse sociale, ce sont des conférences un peu partout à travers le pays et à l’étranger - de nombreuses interventions à la radio et à la télé, bien structurées et impartiales sur la conjoncture, sur la réalité et la proposition de pistes de solution.
Le père Kawas, c’est l’écriture, c’est la consécration et la publication : Vaudou et Catholicisme en Haïti à l’aube du XXIe siècle : des repères pour un dialogue – L’histoire des jésuites en Haïti au XVIIIe et XXe siècle – L’État et l’Église Catholique en Haïti au XIX et XX e siècle (1860-1980) – La Crise de l’État en Haïti (1986-1990) – Jésuites, Sciences et changement social en Haïti, hier et aujourd’hui – L’Église Catholique en Haïti, à l’épreuve du pluralisme religieux. Pour ne citer que ceux-là.
Le père Kawas c’est l’enseignement de la Sociologie à l’UEH - plus spécialement à la Faculté des Sciences Humaines - de l’Histoire de l’Église d’Haïti à CIFOR, et de l’Histoire de la Compagnie de Jésus au noviciat des jésuites pendant de nombreuses années. Ce sont les dimanches du CERFAS, un rendez-vous mensuel où acteurs et experts étaient constamment invités à placer leur mot et à s’exprimer autour de la réalité du pays.
C’est la collaboration, c’est la grande compétence, le service gratuit - Ce sont de multiples retraites pour les communautés religieuses et le clergé diocésain – c’est de l’expertise mise au service de la planification apostolique de nombreux diocèses – c’est l’accompagnement fidèle, sincère et désintéressé des organisations de base au niveau national.
C’est le développement social inspiré de la bonne théologie des jésuites puisée à la source même de l’Évangile, un Évangile incarné et vécu dans la réalité des plus pauvre. Théologien, il était un apôtre de la nouvelle évangélisation, il a beaucoup contribué à la formation et à l’animation des Ti Kominote Legliz (TKL) ou Communautés Ecclésiales de Base, spécialement à Dondon, dans la ligne des documents de Vatican II, de Medellin, Puebla, Santo Domingo. Il avait toujours un programme, un projet développement à implémenter. Au moment de sa mort, il dirigeait le Centre de Recherche, de Réflexion, de Formation et d’Action sociale (CERFAS) dont il était le fondateur.
Le père Kawas fut délégué du provincial pour nos oeuvres apostoliques en Haïti pendant de nombreuses années. Il a accompagné Foi et Joie et le SJM pendant des années, surtout au niveau des conseils d’administration. Il était aussi consulteur du Territoire Jésuite d’Haïti depuis 2002 jusqu’à son départ, alors qu’il pilotait notre projet Jésuite de logement pour les victimes du tremblement de terre dans le Grand Sud. C’était un rude travailleur qui mourut en travaillant. Le jour même de son ACV, il avait eu une rencontre pendant toute la matinée pour finaliser un rapport lié au projet de logement.
C’est la musique – fin guitariste et compositeur (Granmèt mwen pa kap konprann..) – c’est l’amitié solide avec le père Bayas son mentor, Mgr. Yves-Marie Péan, Mgr. Moïse son cousin, le père Tilus, le père Voltaire, le père Roger, le père Sylvestre, le père Turcotte, Madame M. Manigat, Prof. M. Soukar ; l’ex président S.E Jean Bertrand Aristide. C’était un homme affable, jovial, de bon commerce, taquin, « ki te renmen bay massue », surtout les jeunes scolastiques jésuites – un fan du bon football - fanatique du Brésil et de la France, mais surtout du Réal Madrid. Il aimait aussi les bons mets.
Comme vous pouvez le voir, et comme l’ont si bien dit Messeigneurs Max Leroy Mésidor et Desinord Jean, dans les messages de sympathies qu’ils nous ont envoyés, « il s’agit d’une perte énorme, irréparable pour l’Église, le secteur universitaire et tout le pays. » C’est notre deuxième sociologue qui est parti. Après le père Souffrant décédé le 26 janvier dernier. Le pays est en train de perdre ses meilleurs fils. La situation de violence, d’incertitude et de stress permanent est en train de nous tuer toutes et tous au grand dam de nos soi-disant dirigeants qui n’ont ni science ni conscience et qui n’ont que faire de la souffrance et des douleurs de la famille haïtienne.
Nos sympathies s’en vont particulièrement aux membres de la famille du Père Kawas spécialement ses soeurs Françoise et Agathe, ses frères Vivandieu, Appolon et Kawol, ses neveux et nièces. A tous les confrères jésuites d’ici et d’ailleurs. Nous saluons aussi l’équipe du CERFAS, et celle du projet jésuite de logement dans le Sud et la Grand ’Anse. Sans oublier ses collègues professeurs de l’UEH et ses nombreux étudiants anciens et actuels.
Alors il faut tenir. Nous ne devons pas capituler. C’est aujourd’hui plus que jamais que nous devons continuer de nous engager, au nom de notre foi et de notre consécration au Seigneur, aux côtés de notre peuple pour lutter pour la justice et la réconciliation, la paix et le changement social, pour une amélioration des conditions de vie de la population, pour un lendemain meilleur pour nos jeunes et nos enfants. C’est ainsi et ainsi seulement que nous pouvons rendre un hommage authentique à la mémoire du P. Kawas et poursuivre son oeuvre de libération au milieu de notre peuple.
Dans son message aux confrères et à la Compagnie, Mgr. Yves-Marie Péan, évêque du diocèse des Gonaïves, ami d’enfance du père Kawas, s’est exprimé en des termes que voici : « Père Kawas s’est révélé depuis toujours un homme gai, joyeux, décidé, travailleur, serviable, aimant Dieu, L’Église et l’homme Haïtien. Il a grandement contribué à faire avancer bien des projets tant pour l’Église d’Haïti que pour son pays. Il peut partir en paix. Il a réussi à épuiser ses énergies intellectuelles, spirituelles et physiques au service du Seigneur et de son peuple. Nous sommes fiers de lui. » L’ex-président J.B Aristide, ami de vieille date du père Kawas disait ceci : « Au cœur de ce deuil, nous sommes unis à toute la Compagnie par le Dieu d’Amour. Au Rythme de cet Amour palpitait le coeur de notre Frère le Révérend Père Kwas. Requiescat in Pace ! Si les grands hommes ont pour tombeau la terre entière, notre Frère le Rév. Père Kawas a pour tombeau le cœur du Seigneur. Qu’en Lui et par Lui jaillisse la vie en plénitude. »
Le vendredi 4 novembre, à 11h, il y aura une cérémonie d’hommage à l’auditorium du Collège des Soeurs de la Charité de Saint-Louis, à Bourdon, suivie d’un temps de recueillement et de prière, de 15h à 17h. Le lendemain, samedi 5 novembre, les funérailles auront lieu à 8h30, en la chapelle de la visitation du Collège Saint Louis de Gonzague, à Delmas 31. C’est S.E. Mgr Max Leroy Mésidor, Archevêque Métropolitain de Port-au-Prince, qui a généreusement accepté de présider les funérailles, témoignant ainsi de sa proximité paternelle envers la Compagnie. L’homélie sera prononcée par son cousin et ami, Mgr. Moïse François. L’inhumation se fera au Centre de Spiritualité Manrèse à Tabarre.
Que l’âme de notre frère et ami repose en paix !