P-au-P., 26 oct. 2022 [AlterPresse] --- La demande d’intervention militaire étrangère en Haïti, formulée au début du mois d’octobre 2022 par le gouvernement de facto à l’endroit de la communauté internationale, risquerait de ne pas trouver une réponse favorable, selon des informations rapportées dans la presse internationale et consultées par AlterPresse.
Autant qu’en Haïti, le scepticisme règne au niveau de la communauté internationale autour d’une force d’intervention étrangère dans le pays, terrassé par une crise multidimensionnelle sans précédent.
Face au blocage du principal terminal pétrolier d’Haïti par des gangs armés, empêchant la distribution des produits pétroliers depuis environ deux mois, la montée vertigineuse des actes, l’éclatement de troubles antigouvernementaux et le resurgissement du choléra, le premier ministre de facto Ariel Henry a lancé, le 7 octobre 2022, un SOS à la communauté internationale.
La veille, une résolution du Conseil des ministres de facto a autorisé Ariel Henry à « solliciter et obtenir des partenaires internationaux d’Haïti un support effectif pour le déploiement immédiat d’une force spécialisée armée, en quantité suffisante pour stopper, sur toute l’étendue du territoire, la crise humanitaire. Une demande relayée par le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu), le Portugais Antonio Guterres, auprès de l’organisation internationale.
Conseil de sécurité de l’Onu divisé
Mais, le Conseil de sécurité de l’Onu est divisé sur la question. Les États-Unis d’Amérique et le Mexique, chargés de faire des propositions sur le dossier, ont dû se résoudre à travailler sur deux résolutions distinctes, dont une première sur les sanctions à l’encontre des chefs de gangs et de leurs soutiens.
Dans cette résolution, adoptée à l’unanimité, le vendredi 21 octobre 2022, par les 15 membres du Conseil de sécurité de l’Onu, les rédacteurs ont dû effacer toutes les références à une force internationale d’intervention en Haïti.
Une deuxième résolution en préparation, à propos de la force internationale d’intervention en Haïti, rencontrerait des difficultés, aucun pays ne voulant s’engager à contribuer au niveau des troupes, selon le quotidien américain Miami Herald.
Envoyer une force internationale en Haïti pourrait soulager, momentanément, la population étranglée par les gangs, mais une nouvelle mission étrangère n’a que peu de chances de sortir durablement le pays du chaos sans solution politique, estiment des experts contactés par l’Agence France presse (Afp).
« Alors que le gouvernement manque de légitimité et est incapable de gouverner, l’envoi d’une telle force d’action rapide aura-t-il le soutien des différentes parties en Haïti ou fera-t-il face à de la résistance, voire provoquera-t-il des confrontations violentes avec la population ? » s’inquiétait l’ambassadeur chinois adjoint à l’Onu, Geng Shuang, lors d’une séance du Conseil de sécurité.
Ces inquiétudes sont aussi partagées par la Russie, impliquée dans la guerre en Ukraine et qui accuse indirectement les États-Unis de traiter la question haïtienne comme s’il s’agissait d’une affaire qui se déroulerait dans leur arrière-cour.
Difficultés politiques et techniques
Aux États-Unis, des élections législatives de mi-mandat se tiennent le mardi 8 novembre 2022 et il est impensable que l’exécutif américain prenne une décision, qui engagerait des troupes américaines avant cette date, analysent des experts, dont l’ancien Colonel et homme politique haïtien Himmler Rébu, interrogé par AlterPresse.
Himmler Rébu relève également des difficultés techniques à mettre en place une mission militaire internationale, pour une action rapide contre les gangs, puisqu’une telle opération exigerait une coordination et des entrainements communs. Ce qui pourrait être compliqué à mettre en œuvre dans l’immédiat.
En dehors des États-Unis, « qui pourrait mener une telle mission ? », s’interroge Gilles Rivard, ancien ambassadeur canadien en Haïti, dont les propos sont rapportés par l’Afp.
Gilles Rivard exprime des doutes sur la réalisation d’une pareille opération, dans le contexte actuel.
« Ça fait 25 ans que la communauté internationale fait la même chose et ça n’a donné aucun résultat », commente Rivard, estimant que les Haïtiens ont « raison d’être amers », tel qu’on a pu le constater dans de récentes manifestations à travers Haïti.
« Le pays est ingouvernable » et « les Haïtiens sont incapables de livrer une feuille de route pour conduire à des élections », regrette Gilles Rivard, qui voit cette feuille de route comme un préalable à l’envoi d’une force internationale efficace.
« Il faut pousser le gouvernement haïtien à faire un compromis avec les autres partis politiques et la société civile », renchérit Robert Fatton, de l’université de Virginie.
Une force étrangère pourrait, certes, « donner un souffle » à une population, qui a besoin de « manger, de vaquer à ses occupations, sans la crainte continue d’être tuée par des gangs ou par la police », note Fatton.
Mais, « sans accord politique, sans compromis, après un ou deux ans, ce sera la même catastrophe », craint le chercheur, suggérant plutôt une force internationale, qui accompagnerait un « gouvernement de transition » vers des élections.
La demande d’intervention militaire étrangère en Haïti, formulée par le gouvernement de facto, constitue un acte criminel et une trahison, selon la position exprimée par des secteurs organisés. La question fait, cependant, polémique sur les réseaux sociaux et suscite des controverses.
Après l’occupation américaine de 1915, qui a duré 19 ans, et le débarquement des marines en 1994, Haïti a connu plusieurs interventions étrangères et accueilli diverses missions de l’Onu durant les 30 dernières années, sans que ses problèmes de stabilité et de sécurité soient résolus. [apr 26/10/2022 16:00]
Photo : Le secrétaire d’État adjoint américain pour les affaires de l’hémisphère occidental, Brian A. Nichols, et le premier ministre de facto d’Haiti, Ariel Henry