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Haïti : la société civile à la recherche d’un dialogue afin de rompre avec une crise sans précédent

Par Jean-Claude Icart*

Repris par AlterPresse du média canadien Le Nouvelliste numérique

Il a beaucoup été question d’Haïti dans le cadre de la 77e Assemblée générale des Nations unies. Dès l’ouverture, le Secrétaire général a mentionné Haïti comme l’un des pays les plus agités dans le monde. Puis, le président des États-Unis a invité la communauté internationale à aider davantage ce pays à surmonter sa pire crise depuis des décennies. Le même jour, le premier ministre du Canada rencontrait des responsables du Groupe consultatif ad hoc sur Haïti afin de voir comment contribuer à la stabilité et à la sécurité dans le pays. Deux jours plus tard, les États-Unis et le Canada coprésidaient une rencontre afin de recueillir des fonds pour renforcer la Police nationale d’Haïti.

Au cours des dernières semaines, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Des barricades furent dressées contre la pauvreté, le manque d’emplois, l’insécurité, la hausse constante du coût de la vie, la contrebande de carburant, les fluctuations du marché des changes, l’impunité des gangs qui tuent, violent, kidnappent, et la corruption au sein de l’administration. La démission du premier ministre de facto, Ariel Henry, est aussi demandée. Un éditorialiste a situé, au 29 août, un virage important : la police a tiré sur le peuple et, ce, dans différentes villes.

Selon le Global Initiative, il y aurait en Haïti plus de 200 gangs, regroupant environ 3,000 membres armés contrôlant au moins 30% de la population. Les gangs sont souvent utilisés par le pouvoir politique et des leaders économiques. Face à la montée de la contestation, les gangs ont commencé à investir les manifestations qui sont devenues plus violentes, s’en prenant même à des écoles, des maisons privées, des centres de santé, des Ong, etc. Des discours de plus en plus haineux ont commencé à se faire entendre. Certains ont assimilé tous les manifestants aux gangs. L’accent a alors été mis sur la sécurité, occultant les revendications légitimes du peuple.

Le 14 septembre dernier, sous pression du Fonds monétaire international (Fmi), le premier ministre de facto annonce une hausse des prix des produits pétroliers d’environ 100% à la suite de l’interruption de la subvention accordée, depuis déjà plusieurs années. En juillet 2018, on a connu une période d’instabilité après une tentative du gouvernement de hausser les prix de ces produits d’environ 50%, toujours à la demande du Fmi. Depuis, la situation socio-économique s’est considérablement dégradée, au point où la moitié de la population est en situation d’insécurité alimentaire. Cette grande précarité la rend très sensible à une hausse aussi brutale du coût de la vie.

La communauté internationale porte une grande responsabilité dans la situation actuelle. Elle a, par exemple, forcé la tenue d’élections en 2010, alors que le pays venait de subir un terrible séisme, puis a orienté ouvertement les résultats. Elle a assisté à la démolition de toutes les institutions du pays : aucune élection législative en cours de mandat sous l’administration des deux gouvernements (Michel Martelly et Jovenel Moïse) qui ont suivi, quasi dissolution du parlement en 2019 (il ne reste que 10 sénateurs élus sur 30 et aucun député), démantèlement de la Cour de cassation. De plus, l’actuel premier ministre est entré en fonction à la suite d’un gazouillis du Core Group (ce corps diplomatique composé de puissances étrangères et dirigé en fait par les États-Unis), relayé par l’Ambassade américaine. Ariel Henry gouverne donc par diktats et ne répond qu’aux injonctions de la communauté internationale.

Les États-Unis ont choisi Haïti pour être leur premier partenaire pour la mise en place du Global Fragility Act. Annoncée au printemps 2022, cette nouvelle politique vise la consolidation de la paix et la prévention des conflits afin notamment de réduire les menaces avant qu’elles n’arrivent sur leurs côtes. Les interventions à l’Onu au cours de cette semaine annoncent la mise en œuvre de cette politique. Il reste quand même un élément crucial : le respect du droit de la population haïtienne à choisir son destin.

Depuis près de deux ans, des groupes de la société civile et des partis politiques travaillent à un projet d’instance provisoire pour une transition de rupture afin de mettre un peu d’ordre et de tenir des élections acceptables. Malgré leurs efforts, le dialogue avec le premier ministre de facto a été impossible. Il faut que leurs voix soient enfin écoutées.

*Comité de solidarité/Trois-Rivières (Québec, Canada)