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Haïti : L’Onu exige une police plus forte pour réprimer les classes populaires

Par le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti (Rehmonco)

Transmis à AlterPresse le 3 octobre 2022

Alors que la population manifeste, depuis plus d’un mois, contre le régime de facto d’Ariel Henry, contre les mauvaises conditions de vie, l’insécurité et l’inflation artificielle, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu), Antonio Guterres a déclaré sur RFI qu’Haïti a besoin d’une «  police plus robuste  » pour réprimer les manifestants [1] . Pour l’Onu, cet important mouvement social, s’étendant dans l’ensemble du pays, n’est pas porteur de revendications sociales et politiques, qui méritent d’être traitées avec sérieux et empressement. L’Onu n’y voit que désordre, qui doit être réprimé rapidement par une police robuste.

Dans la foulée de la recommandation du secrétaire général, plusieurs diplomates étasuniens voient dans la mobilisation des classes populaires haïtiennes une manipulation de certains acteurs économiques corrompus [2] . Pour eux, rien ne justifie ces manifestations populaires en Haïti. Justin Trudeau, premier ministre du Canada, a parlé de crise provoquée par des oligarques [3] . À cet effet, il a convoqué une réunion spéciale sur Haïti, lors de l’Assemblée générale de l’Onu.

Soulignons que, depuis plusieurs décennies, des pays du Core Group, dont le Canada et les États-Unis d’Amérique, sont impliqués dans la construction d’une police robuste en Haïti [4]. Ils assurent son encadrement à travers un long processus de formation, de financement et de don d’équipements. À cette fin, plusieurs missions de formation de renforcement de la police nationale ont été envoyées dans le pays. Depuis lors, l’effectif de la police a plus que triplé. Loin d’être une force respectueuse des éléments de base des droits humains, la police haïtienne devient de plus en plus, par son mode opératoire, un corps complètement détaché de la population. Les agents de cette police, à l’instar d’un escadron de la mort, sont systématiquement munis d’armes de guerre. Généralement cagoulés, ils opèrent dans des voitures sans plaque d’immatriculation.

Tout cela est le résultat de cette « formation » que les « pays amis » donnent à la police haïtienne, une formation qui se révèle, depuis plusieurs années, être un véritable cauchemar pour les classes populaires urbaines et rurales dans le pays [5].

Pendant ces dernières manifestations, dénonçant le gouvernement de facto d’Ariel Henry, au cours du mois de septembre 2022, la police a fait montre d’une barbarie innommable. En effet, il n’est pas exagéré de dire qu’elle est égale des gangs armés en matière de cruauté. À titre d’exemple, sur la route de l’aéroport international de Port-au-Prince, des agents de la Police nationale d’Haïti, circulant dans un engin blindé, ont exécuté plusieurs personnes, dont l’écolier Widley Veron Joseph, deuxième lauréat de l’examen officiel du baccalauréat pour le département de l’Ouest [6]. Malgré les supplications de son père, qui a présenté sa fiche d’examen et ses pièces d’identité, les agents de la police ne l’ont pas autorisé à amener son enfant à l’hôpital. Au contraire, ces policiers ont chassé le père en tirant dans toutes les directions, avant de bruler vif le jeune adolescent blessé avec un pneu enflammé.

Loin d’être une simple bavure policière, cette barbarie renvoie plutôt à un mode opératoire de l’institution policière haïtienne, régulièrement financée et entrainée par « les formateurs des pays amis d’Haïti ». Dans son effort de casser la vigueur des manifestants, les policiers ont tiré sur plusieurs personnes à Simon Pelé, quartier situé à proximité de Cité militaire et de l’Hôpital de Chancerelles, dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince.

Madame Doudouche, femme très populaire dans le quartier, fait partie des victimes de la répression policière. Blessée par des projectiles, elle criait pour demander de l’aide. Accompagnés d’engins lourds du Service national de gestion des résidus solides (Sngrs), les policiers ont entassé la femme blessée, à l’aide d’une pelle mécanique, dans les camions de détritus, à côté des barricades, alors qu’elle était encore vivante [7]. Sans le moindre égard aux droits à la vie, les « forces de l’ordre » tuent des manifestants et manifestantes, puis elles cherchent systématiquement à faire disparaitre les cadavres, soit en les brulant, soit en les enfouissant dans des déchets [8].

Ces atrocités, largement relayées dans les médias sociaux et les médias les plus écoutés du pays, n’ont pas attiré l’attention des responsables de la police, du gouvernement et les représentants de l’Onu dans le pays. Au contraire, ils réclament encore un renforcement de cette police . Cela veut dire clairement que cette police doit se montrer encore plus brutale dans sa répression des classes populaires urbaines et rurales.

Par ailleurs, il s’avère important de sortir de la dichotomie entre gangs et la police en Haïti. Dans les faits, ils œuvrent tous deux systématiquement dans la répression des quartiers populaires [9] . Cette répression semble nécessaire au maintien de l’ordre socio-économique et de la politique d’apartheid. La documentation sur les massacres depuis 2018 est une preuve de ce besoin de répression [10] . Si les gangs pullulent et deviennent de plus en plus puissants, cela n’est pas dû à une quelconque faiblesse de la police. Au contraire, celle-ci dispose de tous les moyens, dès qu’il s’agit d’opprimer et de réprimer les manifestations populaires.

Le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti (Rehmonco) dénonce vigoureusement les déclarations du secrétaire général de l’Onu et celles des diplomates des pays du Core Group, cherchant à criminaliser le soulèvement des classes populaires en Haïti contre l’ordre social de la terreur et de la misère. En saluant la mémoire de l’écolier Widley Veron Joseph et des centaines de victimes des atrocités de la Police nationale d’Haïti, le Rehmonco encourage les classes populaires à poursuivre la mobilisation pour le renversement de l’État bourgeois et mafieux haïtien. C’est au prix de cette lutte acharnée, pour jeter les bases d’une nouvelle société, que nous pouvons rendre justice à ces familles endeuillées.

Pour authentification,

Renel Exentus,

Frank W. Joseph

Montréal, le 3 octobre 2022

Contact : rehmoncohaiti1915@gmail.com


[2Les violentes manifestations, qui ont plongé Haïti dans le chaos et l’anarchie, sont "financées par des acteurs économiques qui risquent de perdre de l’argent", a déclaré Juan Gonzalez, directeur principal pour l’Hémisphère occidental au Conseil national de sécurité à la Maison Blanche et assistant spécial du président Joe Biden. Voir les liens suivants pour plus de détails : https://lenouvelliste.com/article/238202/les-usa-ciblent-des-acteurs-economiques-qui-financeraient-les-manifestations

[3Voir la position de Justin Trudeau sur Haïti dans le lien suivant : https://lenouvelliste.com/article/238251/justin-trudeau-evoque-elites-et-oligarques-qui-destabilisent-haiti

[7Écouter la déclaration des témoins à travers le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=uwCN0fWV9nw

[9Plusieurs chercheurs en sciences sociales, dont Darbouze (2022), Lamour (2022), Biron (2022), travaillant sur Haïti, ont bien établi l’efficacité des gangs dans la répression des classes populaires.