Par Gotson Pierre
P-au-P., 19 sept. 2022 [AlterPresse] --- L’augmentation vertigineuse à plus de 100% des prix des produits pétroliers, le 14 septembre dernier en Haiti ,par le gouvernement de facto d’Ariel Henry, constitue un passage en force. Il s’agit d’un acte arbitraire qui ignore les cris de désespoir de la population, une décision rejetée, entre autres, par des syndicats du secteur des transports.
Le gouvernement a pris des engagements et ne peut pas revenir en arrière, affirment les autorités. Cependant, la population sera cruellement seule à en payer les conséquences. Il ne faut attendre d’aucun responsable étatique un quelconque sacrifice en ce qui concerne son niveau de vie et sa manière de dépenser les maigres ressources de l’Etat, issues notamment des taxes versées par les citoyennes et citoyens ayant sué sang et eau.
L’État sacrifiera-t-il la population sur l’autel des exigences des institutions financières internationales, celles-là mêmes qui ne lèveront pas le petit doigt pour aider à faire face réellement aux conséquences des récentes mesures ?
Que réserve au pays cette nouvelle semaine, entamée par les familles avec des préoccupations renforcées ? Incertitude.
Quelle que soit la confusion qui règne, quelles que soient les tentatives de manipulation et d’instrumentalisation de la douleur d’une grande partie de la population souffrant énormément, jour et nuit, de la faim, il est évident que la frustration est à son comble. L’insatisfaction et la colère sont à la mesure des destructions regrettables observées à travers le pays.
Ceux et celles qui ont examiné les données concernant l’évolution de la situation d’Haiti au cours des 10 à 12 dernières années le savent très bien : le recul spectaculaire en matière de développement et d’accès à des services sociaux de base ne resterait pas sans conséquences !
En outre, la pratique du gangstérisme est devenue un élément central de la situation d’aggravation de la misère, car elle affecte profondément la relation entre les citoyens et l’État, ce dernier ayant perdu en grande partie sa capacité à contrôler le territoire et à interagir avec les communautés, en leur fournissant des services, aussi minimes soient-ils.
Ne parlons pas, dans un tel environnement, de l’érosion de l’investissement productif des Haitiens vivant en Haïti, en diaspora et encore moins des investisseurs étrangers.
Dans ce contexte aussi, où le pouvoir d’achat des ménages se réduit à un peau de chagrin, quel effet aura l’augmentation à plus de 100% des prix du carburant sur la société en général ?
Déjà, environ la moitié des 12 millions d’Haitiens vivent en insécurité alimentaire. Combien seront-ils dans les prochains jours ? Le tiers de la population ? 80, 90% ?
Surtout qu’avec les multiples actes de pillage dans plusieurs régions, de nombreuses personnes, pourvoyeuses uniques de revenus à leurs familles, vont probablement perdre leurs emplois... Quelle niveau de dégradation en résultera-t-il ?
Comment un gouvernement de facto peut-il assumer la responsabilité de décisions qui hypothèquent à un tel point l’avenir du pays ? Un pays déjà traumatisé par l’odieux assassinat, il y a seulement un an, d’un président dans sa propre résidence.
Après la décision aveugle imposée par la force à l’ensemble de la population par le gouvernement en place, la porte n’est-elle pas désormais ouverte à tous les autres projets autoritaires concoctés par le secteur au pouvoir ? Notamment le changement en un tour de main de la constitution, quand l’exemple chilien vient de nous démontrer, si besoin était, la délicatesse d’une telle démarche.
Au Chili, le processus de changement constitutionnel est lancé depuis plus d’un an, suite à une demande exprimée massivement par la population, lors d’une importante mobilisation. Un référendum a eu lieu pour décider ou non de changer la constitution. Puis, une élection pour mettre en place la constituante, selon les voeux exprimés. Et un autre référendum récemment pour se prononcer sur le texte de la nouvelle constitution. La population l’a pourtant rejeté !
Chacun doit donc réfléchir à cette question de changement de constitution, dans les conditions présentes, tel que prévoyaient de le faire l’ancien président Jovenel Moise et ses partisans.
Quelle répercussion la dernière décision gouvernementale aura-t-elle sur la possibilité de tenir des élections dans le meilleur délai en Haïti, alors que perdurera une ambiance insurrectionnelle créée par l’augmentation sans précédent des prix du carburant ? Grave crise socio-économique, accompagnée de violence exacerbée dans des régions sous coupe réglée des bandes armées semant la terreur et multipliant meurtres et kidnappings. De quelles élections s’agira-t-il donc ?
Est-ce une fatalité que, depuis plus de 30 ans, les Haïtiens/Haïtiennes se préparent chaque fois au pire ? Comment les forces vives du pays peuvent-elles se mettre ensemble, cette fois, pour éviter le pire ?
La gestion de la situation d’aujourd’hui exige un leadership éclairé. Cela demande beaucoup d’intelligence, du courage, la capacité de bien cerner la complexité de la réalité haïtienne et les forces en présence, de l’honnêteté, de la sincérité et une perspective claire vers une société véritablement démocratique. Une société fondée sur le respect de la volonté de la majorité des citoyens/citoyennes, une société engagée sur la voie du progrès à tous les niveaux, favorisant les projets collectifs et individuels, articulés aux principes de défense de l’intérêt commun.
Le dire est une chose, le faire en est certainement une autre.
Comme nous le savons, la route sera longue. Mais ce qui vient de se passer à la mi-septembre dans le sillage de la décision autoritaire du gouvernement, risque de la rendre encore plus longue et tortueuse.
A moins que chaque frange, chaque entité, chaque acteur/actrice ayant un mot à dire ou un geste à poser dans la crise actuelle, ne se serve des derniers évènements comme un signal fort ! Un signal pour se ressaisir et comprendre enfin que l’alternative est entre une société pour tous/toutes et une société d’exclusion à tout jamais atrophiée. Une société de « chen manje chen » (une jungle) où l’avenir est compromis.
Une société en « perdition », comme le dit la légende populaire, c’est-à-dire une femme continuellement enceinte sans perspective d’accouchement. Une société en recherche permanente de délivrance. [gp apr 19/09/2022 01:00]