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Barikad : un vrai film

Critique d’un long métrage haïtien à l’affiche à Port-au-Prince

Par Vario Sérant

P-au-P., 20 nov. 02 [AlterPresse] --- Après l’avoir vu, on en sort ému et troublé.

Barikad traite d’un thème universel et courant. L’originalité vient du fait qu’il ne s’agit pas de "l’amour comme il faut", mais de celui qui doit affronter les pesanteurs d’une société d’apartheid qui, au demeurant, auront raison de ce sentiment.

Thierry, le jeune homme d’une famille aisée de Port-au-Prince, et Odénie, la bonne (la servante) issue du pays profond, ne vivront pas heureux ensemble comme ça pourrait être l’épilogue des contes de fée, auxquels nous a habitués une certaine forme de cinéma.

Barikad est le genre de film qui prouve qu’on peut utiliser le septième art comme un outil de réflexion sur des réalités sociales actuelles.

Le réalisateur, Richard Senecal, s’immerge dans des personnages et milieux sociaux opposés, en les faisant se rencontrer et s’entrechoquer, pour soumettre des éléments d’information et de synthèse à la subjectivité du public.

Le film captive par le choix des lieux, pas seulement décoratifs, mais porteurs de ton et de sens. Citons entre autres la demeure "faite et fournie" de Thierry, celle, modeste au possible, de la tante d’Odénie, le terrain de basket-ball, les (petits) sentiers, le centre ville de Port-au-Prince fourmillant d’activités, le petit cadre - pittoresque et secret - de romance
(des deux amoureux). La magie de la caméra insuffle, par moments, à ces lieux et aux situations s’y déroulant une intensité émotionnelle qui n’est pas forcément imputable au jeu des acteurs.

Certains spectateurs avisés peuvent trouver, comme l’avait d’ailleurs prévenu le réalisateur, le rythme du film quelque peu lent. Mais cette lenteur n’agresse nullement et ne nuit pas à la trame. Le réalisateur a évoqué "son style posé". Mais au fait, tout film n’implique-t-il pas un point de vue sur le temps ? L’important, c’est que le réalisateur a su trouver les moyens appropriés, et non artificiels, pour montrer en douceur cet écoulement du temps.

Une image vaut mille mots, dit-on souvent. Plusieurs plans du film nous en ont donné l’illustration, comme par exemple celui montrant Thierry accoudé au balcon de la luxueuse maison familiale, l’air pensif, et observant les allées d’un bidonville, comme pour mesurer l’immensité du fossé qui le sépare de sa dulcinée. Dans la foulée, on a su apprécier également les effets traduisant parfaitement l’affolement et le désespoir de Thierry - à la recherche de sa bien-aimée - à la gare routière.

La qualité sonore des dialogues de Barikad est très bonne. Mais le contexte sonore de ceux-ci ainsi que de celui des actions est assez pauvre. Un choix de réalisation que je respecte, mais qui, à mon sens, atténue la vivacité de certaines séquences.

La résonance que Barikad trouve auprès du public prouve qu’il y a un marché pour un cinéma intelligent en Haïti. Bien entendu, par intelligent, nous ne voulons pas dire inaccessible. Mais par accessible, il ne faut pas non plus penser à un cinéma structurellement plat et désincarné. [vs apr 20/11/02 01:00 :]