Par Emmanuel Marino Bruno
P-au-P, 06 sept. 2022 [AlterPresse] --- « Nous sommes fragiles, parce que la république d’Haïti est sur une liste grise du Groupe d’action financière (Gafi). Nous ne respectons même pas 40% des principes du Gafi. Les transactions avec l’étranger vont être plus chères et seront aussi retardées. Si nous tombons dans la liste noire du Gafi, nous ne pourrons effectuer aucune transaction avec l’étranger. La seule façon de recevoir de l’argent, ce serait grâce à l’aide d’une personne, qui voyage en Haïti ».
C’est en ces termes que s’est exprimé l’économiste et politologue Joseph Harold Pierre, dans une interview accordée à AlterPresse/AlterRadio sur la situation socio-économique en Haïti.
« En économie, le temps, c’est le temps d’opportunités. Le fait d’effectuer moins de transactions, ça prend plus de temps, et vous serez plus inefficients », explique-t-il, faisant référence à Haïti.
Il existe une situation extrêmement grave dans le pays, où les gens sont devenus plus pauvres, constate Joseph Harold Pierre.
Le nombre d’Haïtiennes et d’Haïtiens vivant en insécurité alimentaire est passé, en un mois, de 4,6 millions à 5,6 millions de personnes, selon la Suédoise Ulricka Richarson, coordonnatrice humanitaire de l’Organisation des Nations unies (Onu) en Haïti.
« Dans un mois, un million d’Haïtiens en plus sont tombés dans l’insécurité alimentaire. C’est quelque chose d’extrêmement grave. Je crois que c’est réellement une bombe », analyse Joseph Harold Pierre.
Le taux d’inflation atteint les 30.5 %
Par ailleurs, le taux d’inflation, dépassant déjà les 30 %, devrait stagner pendant encore longtemps, en regard des problèmes qui sévissent à l’échelle nationale et internationale, où les produits alimentaires ne cessent point d’augmenter davantage, anticipe Joseph Harold Pierre.
Depuis quelques mois, l’inflation évolue à un rythme effréné, atteignant 26.7% en avril 2022, 27.8% en mai 2022, 29% en juin 2022 et 30.5% en juillet 2022, d’après le dernier bulletin de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (Ihsi), rendu public le lundi 5 septembre 2022.
Dans certains départements du pays, le taux va au-delà de 31%.
L’économiste et politologue Joseph Harold Pierre souligne combien la situation risque de devenir plus difficile, à cause des facteurs externes liés au blocage, par les États-Unis d’Amérique et les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), des échanges commerciaux avec la Russie, suite au déclenchement, le 26 février 2022, de la guerre en Ukraine.
En 2022, il va y avoir 6,21 milliards de dollars d’importation (Ndlr : US $ 1.00 = 121.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.40 gourdes aujourd’hui), 1,71 milliards de dollars d’exportation et 4,5 milliards de déficit au niveau du commerce, prévoit-il.
De plus, l’argent des transferts (3,5 milliards de dollars) sera réduit, cette année, de 1.7%, en raison d’une éventuelle récession économique aux États-Unis.
L’injection des millions de dollars, effectuée par la Banque de la république d’Haïti (Brh) sur le marché des changes, pour stabiliser le taux de change gourde/dollar américain est « louable », fait valoir Joseph Harold Pierre, justifiant cette mesure par la volatilité du taux de change.
« Les personnes ne vont pas investir dans un taux de change volatile. Pour les investisseurs, il faut une certaine stabilité de la monnaie. », dit-il.
Ne pouvant contrôler les autres variables, la Brh intervient sur le marché pour stabiliser la monnaie nationale. Mais, le problème réside dans les données utilisées pour établir un taux de référence, considère-t-il, faisant allusion à l’utilisation des moyennes des taux de vente des banques commerciales.
Toutefois, Joseph Harold Pierre exhorte les autorités concernées à prendre des dispositions, pour faire appliquer les décisions de la Brh, concernant les opérations de changes, sur le territoire national.
La Brh doit avoir un contrôle clair sur la façon dont les banques commerciales et les maisons de transfert gèrent le dollar américain, en vue des impacts positifs sur le marché formel, recommande-t-il.
Au cours du mois d’août 2022, la Brh a publié la circulaire 114-3, modifiant la circulaire 114-2, sur les normes relatives aux transferts de fonds internationaux sans contrepartie.
« La mise en application de la circulaire 114-3, relative aux opérations de transfert de fonds internationaux sans contrepartie, est reportée au 3 octobre 2022 », a écrit, dans un tweet, la banque centrale.
Les règlements, concernant la répartition des dollars pour les transferts payés en gourdes ont été révisés dans la nouvelle circulaire 114-3.
« 0% à la Brh. 70% sans majoration des coûts à une ou plusieurs institutions financières du choix de la banque ou de la maison de transfert, dont les comptes en gourdes seront accrédités au taux pratiqué par l’institution financière pour le paiement des transferts. 30% à l’agent autorisé (banques et maisons de transfert) ».
Jusqu’à la date du lundi 3 octobre 2022, « la contrepartie dollar des transferts payés en gourdes est repartie, comme suit : trente pourcent (30%), sans majoration de coûts, à la Brh. La Brh créditera le compte en gourdes de la banque ou de la maison de transfert domiciliée chez elle pour l’équivalent des dollars reçus, ce au taux de référence du jour du paiement ; quarante pourcent (40%), sans majoration de coûts, à une ou plusieurs institutions financières du choix de la banque et de la maison de transfert dont les comptes en gourde seront crédités au taux de référence du jour du paiement ; trente pourcent (30%) à l’agent autorisé (banques et maisons de transfert) », selon la circulaire 114-2.
Pour pouvoir encaisser son transfert de fonds en dollars américains, la/le bénéficiaire doit le recevoir sur un compte d’épargne libellé en dollars, comme il était fixé dans la circulaire 114-2.
Cependant, « les maisons de transferts ne peuvent effectuer des transferts sur compte pour toute somme égale ou supérieure à 1,000 dollars américains. Dans ce cas, l’expéditeur doit effectuer un virement via son institution bancaire », ajoute la Brh, dans la circulaire 114-3.
L’objectif de ces dispositions nouvelles vise à faire revenir, le plus vite possible, les opérations de changes dans le secteur formel et parvenir à un niveau de transparence nécessaire, pour qu’Haïti sorte de la liste grise du Gafi.
L’économiste Joseph Harold Pierre appelle à un assainissement des finances publiques, en supprimant les dépenses non nécessaires et en luttant efficacement contre la corruption.
Le secteur privé doit également payer régulièrement ses taxes et impôts, pour que l’État puisse réduire ses déficits budgétaires, suggère-t-il. [emb rc apr 06/09/2022 12:30]