Par Jean Morisset [1]
Soumis à AlterPresse le 18 juillet 2005
Le message dont je viens de prendre connaissance se lit comme suit : Jacques Roche, auteur du "Vent de Liberté", poète et journaliste né le 21 juillet 1961, kidnappé le 10 juillet 2005, torturé et assassiné le 14 juillet 2005.
Dans cette exaspération de la vie et des êtres que connaît Haïti comme des clapots s’entrechoquant sur la mer, on a assassiné une poésie, on a trucidé une pensée en pleine effervescence créatrice, et notre âme crie sa douleur et sa peine sans ne plus savoir où les diriger.
Pour nous, étrangers familiers qui passons et repassons par Quisquéya, séduits et confrontés par le pôle de la trajectoire franco-créole en cette terre d’Amérique, nous demeurons consternés.
Jusques à quand, jusques à quand ? Pourquoi, pourquoi chaque fois que s’élève une voix ayant le courage et la beauté de ne pas sacrifier ses viscères aux seules tentations de l’analyse et de la raison le vent de liberté qui l’habite, pourquoi faut-il qu’elle soit assassinée ?
Je me souviens de l’homme, je me souviens de la soirée de poésie des « vendredi soir littéraire » qu’il animait il y a peu, dans un Port-au-Prince déchiré, avec Lionel Trouillot et tous les autres.
Et voilà qu’en dépit de la cacophonie des bruits et des rumeurs, il y avait pour un moment, à peine la brunante estompée, des voix du cœur et du rêve, du combat houleux et de la mémoire saignante qui se côtoyaient et se fusionnaient dans un éclatement de vie, de lutte et d’espoir. Au-delà de tout, celle de Jacques Roche se distinguait par sa texture si riche, sa fermeté et la musique d’une voix qui dira un jour ce que voilà :
Un homme [...] craignant
la solitude du silence,
l’opacité de la nuit,
l’étanchéité du néant,
décida de ne pas crever.
Pour atteindre ce but,
il voulut laisser derrière lui un legs
[qui devrait] garder après sa mort,
l’empreinte de ses mains,
l’allure de ses pas
et l’élégance de son regard.
L’œuvre se réaliserait
en complicité avec le soleil, la lune,
les prunelles des enfants,
et le sourire des femmes.
L’homme rassembla dans sa tête
quelques mots simples
qui retenaient l’odeur du temps
[...] et la chose unique et d’utile
venait de naître : un poème.
Un poème généreux comme les bras ouverts,
le tumulte bleu de l’océan,
[un poème] comme l’essence de la vie
qui le laisserait vieillir
sans vieillir elle-même,
mourir sans mourir elle-même...
Au moment de crever,
une seule vérité compte encore
pour nous et les autres,
pour nous et la vie...
une seule préoccupation
allume encore notre regard :
l’œuvre [...] est-elle née ?
et de quel amour, de quel secret,
de quelle folie ?
Le poète comprit alors toute sa vie :
tous ses mots, tous ses silences
ne parlaient que d’amour...
Merci Jacques Roche. Et où que tu sois, que te soit offert ici témoignage de solidarité et d’admiration. Para siempre.
17 juillet 2005
[1] géographe-écrivain