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Haïti-Presse/Kidnapping : Les quartiers difficiles où le journaliste Edner Décime a trainé son micro deviennent son lieu de séquestration

P-au-P., 02 août 2022 [AlterPresse] --- Edner Décime, d’AlterPresse/AlterRadio, a longtemps trainé son micro dans les quartiers difficiles où la situation socio-économique s’est détériorée d’année en année, jusqu’à se transformer en grande partie en repères de gangs.

Ces quartiers périphériques de la capitale où les secondes s’allongent pour notre collaborateur depuis le dimanche 17 juillet 2022, lorsqu’il a été enlevé à Delmas (nord-est de Port-au-Prince) avec de nombreuses autres personnes. On ne sait pas si les autres ont été libérées ou pas.

Il y a une dizaine d’années, jeune reporter, Edner Décime avait été chargé, en compagnie d’autres collègues, de réaliser des reportages sur les milieux défavorisés, dont Martissant, Carrefour, Rivière Froide, Carrefour-Feuilles et Croix-des-Bouquets, entre autres.

Avec enthousiasme il s’y rendait, emportant son carnet de notes, son magnétophone, sa caméra photo/vidéo. Tellement fier d’être « journaliste multimédia » en herbe, allant à la rencontre des exclus de ces zones, et surtout leur donnant la parole pour exposer leurs problèmes, montrant les réalités de ces quartiers délaissés, abandonnés où la présence de l’État n’est qu’une fiction.

Ses périples dans les diverses zones périphériques de la capitale avaient donné une très belle série de 25 émissions, intitulée « Lavi nan katye bò lakay » (La vie dans les quartiers), diffusée à l’époque sur les stations privées Radio Kiskeya et Ibo, partenaires du Groupe Médialternatif ainsi que sur le site d’AlterPresse.

« Lavi nan katye bò lakay » a été conçue en 2014 pour plaider en faveur du respect du droit à la communication des jeunes, surtout des femmes, vivant dans la zone métropolitaine de la capitale.

Il faut réécouter ces jours-ci, les voix de ces jeunes acteurs-actrices, parlant de leurs problèmes, de l’absence d’attention des autorités, des initiatives mises en place pour tenter de faire face à des difficultés récurrentes. Leur dénonciation du dénuement des quartiers, de l’absence d’infrastructures, de l’insalubrité, de l’absence de structures de santé, de la délinquance, de la prostitution et de bien d’autres maux qui affectent ces milieux oubliés. Mais aussi les tentatives de s’organiser, malgré un déficit flagrant d’exercice de leur citoyenneté, et surtout leur talent et leur espoir.

Qui, des autorités, avait pris le temps d’écouter ? Écouter ces voix d’en-bas, auxquelles Edner Décime avait consacré toute son attention, sans retenue, espérant que son travail d’information aiderait à rompre le silence et attirerait l’attention sur une bombe à retardement !

Ceux/celles qui retiennent aujourd’hui le journaliste d’AlterPresse en otage étaient peut-être en pleine adolescence. Certains d’entre eux/elles n’étaient sûrement que des gamins/gamines.

L’État insouciant, qui se mure aujourd’hui dans le silence, n’a rien fait hier et est de plus en plus impuissant. Fatalement.

« Lavi nan katye bò lakay » c’est définitivement une série dont des extraits devront être repris en ces jours de douleur où le journaliste est gardé dans les mêmes milieux où il est allé à la rencontre de sa passion de jeune reporter.

Cruellement privé de sa liberté depuis plus de deux semaines, il manque terriblement à sa famille terrassée et sommée de payer une forte rançon, ainsi qu’à ses collaborateurs et collaboratrices d’AlterPresse/AlterRadio, ses amis de la communauté Hip Hop, dont il était un promoteur, et tous les autres, qui continuent sans relâche d’attendre le retour d’Edner Décime sain et sauf. [apr 02/08/2022 10:00]