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Haïti en « état de terreur » : Antonio Guterres demande le renouvellement pour 12 mois de la mission de l’Onu

P-au-P., 16 juin 2022 [AlterPresse] --- Le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, recommande le renouvellement pour 12 mois du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh), à la fin de son mandat de 9 mois, le vendredi 15 juillet 2022, apprend AlterPresse.

La recommandation est contenue dans le rapport présenté, ce 16 juin 2022, par Guterres, lors d’une réunion tenue au Conseil de sécurité de l’Onu, à New York.

Le ministre des affaires étrangères du gouvernement en place en Haïti a fait le déplacement la veille pour assister à cette réunion, qui initie une série de discussions autour de la présence des Nations unies en Haïti.

La recommandation du secrétaire général concorde avec les conclusions d’une évaluation du Binuh, conduite en avril dernier, à la demande du Conseil de sécurité.

Les travaux ont été conduits par l’expert indépendant Mourad Wahba, qui estime que les causes profondes de l’instabilité en Haïti exigent « avant tout des solutions politiques ».

Selon l’évaluation, « une mission politique spéciale des Nations Unies reste la structure la plus appropriée et la plus efficace pour relever les principaux défis » du moment. « Le Binuh devrait être habilité à poursuivre ses missions de bons offices et s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité, qui sont intrinsèquement politiques ».

Le Binuh devrait être à même également de « renforcer le soutien apporté à la police pour endiguer la violence des bandes armées, et améliorer son action auprès de tous les secteurs de la société, y compris les communautés vivant dans des zones contrôlées par des bandes organisées ».

Cette évaluation n’empêche que la question du retour à une mission de paix serait posée dans quelques milieux, et des tractations seraient effectuées dans ce sens, selon des sources diplomatiques consultées par AlterPresse.

Les États-Unis auraient entrepris des discussions avec d’autres partenaires, dont le Mexique, pour envisager des changements en ce qui concerne la présence de l’Onu dans cette situation de crise multidimensionnelle qui s’aggrave en Haïti, affirment ces sources.

« Nous examinons quelle serait la structure de cette mission à l’avenir et nous nous assurons qu’elle est correctement équipée pour traiter les questions de sécurité en Haïti », a déclaré le secrétaire d’État adjoint Brian A. Nichols au quotidien américain Miami Herald.

« Les commentaires de Nichols constituent la première reconnaissance publique que le Binuh n’a pas fonctionné », a souligné le journal.

Mais, selon des sources américaines au Conseil de sécurité et à la mission américaine aux Nations Unies, citées par le Miami Herald, il n’y aurait pas de « discussions actives sur les plans visant à envoyer une nouvelle force de maintien de la paix en Haïti ».

Un pays en « état de terreur » et dans l’impasse politique

Lors de la réunion du 16 juin 2022, la représentante spéciale de l’Onu en Haïti, Helen Meagher La Lime, a, de son côté, fait part au Conseil de sécurité de la détérioration sécuritaire rapide du pays et de flambées de violence très inquiétantes dans la capitale Port-au-Prince, alors que les discussions sur la formation d’un futur gouvernement, elles se trouvent dans « une impasse prolongée », indique un bulletin d’Onu-Info.

Pour le seul mois de mai 2022, la Police nationale d’Haïti (Pnh) a signalé 201 homicides volontaires et 198 enlèvements, soit une moyenne pour chacun de près de 7 cas par jour.

« L’horrible violence qui s’est abattue sur les banlieues de Cité Soleil, Croix-des-Bouquets et Tabarre fin avril et début mai (2022), au cours de laquelle les femmes et les filles ont été particulièrement exposées aux violences sexuelles, n’est qu’un exemple de l’état de terreur dans lequel est plongé le cœur politique et économique d’Haïti », s’est alarmée la représentante spéciale.

Dans l’agglomération de la capitale Port-au-Prince, l’emprise des gangs s’étend inexorablement. Les enlèvements et les homicides volontaires ont augmenté respectivement de 36 et 17% par rapport aux cinq derniers mois de 2021.

Des dizaines d’écoles, de centres médicaux, d’entreprises et de marchés ont dû fermer, a poursuivi Helen La Lime, qui dirige aussi le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh). De nombreuses personnes sont piégées dans leurs quartiers ou même parfois dans leurs résidences. Au moins 17,000 autres personnes ont été déplacées de leur domicile, et beaucoup d’entre elles luttent pour trouver des produits de première nécessité (nourriture, eau et médicaments).

La circulation le long des principales routes nationales reliant la capitale au reste du pays est sérieusement compromise car les gangs ont érigé des barricades pour restreindre l’accès aux zones qu’ils contrôlent, affectant gravement la circulation des marchandises.

Face à un sentiment d’insécurité « omniprésent » et « croissant », Helen Meagher La Lime a pointé du doigt « l’incapacité apparente de la police à faire face à la situation » et « l’impunité manifeste avec laquelle les actes criminels sont commis », qui « fragilisent dangereusement l’État de droit dans le pays ».

Elle a rapporté au Conseil de sécurité qu’il y a moins d’une semaine (Ndlr : le vendredi 10 juin 2022), le tribunal de première instance de Port-au-Prince a été envahi par un gang local, qui a pillé et brûlé des dossiers et des pièces à conviction, tandis que dans d’autres régions du pays, les actes d’autodéfense contre des membres présumés de gangs bénéficient d’un soutien populaire croissant.

La Lime a réclamé une aide immédiate des États Membres de l’Onu pour développer la police nationale haïtienne, afin qu’elle puisse lutter contre la criminalité et la violence croissantes. La police en Haïti « manque actuellement de ressources humaines, matérielles et financières pour remplir efficacement son mandat ».

Vide institutionnel

L’instabilité découle en grande partie du vide institutionnel prolongé. Le Parlement ne se réunit plus depuis deux ans et demi. L’assassinat du Président haïtien, il y a près d’un an, a placé le pays en état de choc. Le secteur de la justice est quasi totalement paralysé.

À ce jour, les multiples initiatives et propositions pour aller de l’avant ont donné peu de résultats concrets, selon la Représentante spéciale. Le Binuh se concentre sur la relance des contacts entre les parties, « par le biais d’une série de rassemblements informels », visant trouver une voie vers d’éventuelles futures élections.

L’impasse dans laquelle se trouve l’enquête sur l’assassinat du défunt Président Moïse – pas moins de cinq juges en charge de l’enquête se sont succédé en moins de onze mois - illustre les problèmes profondément enracinés du système judiciaire haïtien : ressources financières et matérielles limitées, grèves fréquentes et détérioration de la sécurité.

Les besoins humanitaires continuent d’augmenter

L’insécurité prolongée et l’incertitude politique prolongée, combinées à une situation économique désastreuse et à des besoins humanitaires croissants, entravent gravement le développement socio-économique du pays, creusent les inégalités économiques et sapent les efforts de consolidation de la paix, a poursuivi la cheffe du Binuh.

Cette année 2022, quelque 4,9 millions d’Haïtiens devraient avoir besoin d’une aide humanitaire, dont au moins 4,5 millions de personnes qui devraient avoir besoin d’une aide alimentaire d’urgence. [gp apr 16/06/2022 21 :00]

Photo : Onu