Español English French Kwéyol

Haïti-Environnement : La Plaine du Cul-de-sac, une zone agricole également affectée par les constructions anarchiques

Dans la Plaine du Cul-de-sac, de nombreuses terres fertiles, destinées à l’agriculture, font l’objet, depuis plusieurs années, d’une toute autre utilisation, négligeant ainsi les exigences en matière d’urbanisme et entraînant des conséquences négatives en termes de dégradation environnementale.

De plus en plus de constructions anarchiques sont érigées sur ces terres cultivables...

Par Marlyne Jean

P-au-P, 02 mai 2022 [AlterPresse] --- Située au nord et au nord-est de Port-au-Prince, la Plaine du Cul-de-Sac constitue l’une des agglomérations dans la capitale d’Haïti. Ce sont de vastes espaces de terres agricoles, autrefois dédiées à la production de la canne-à-sucre, de mangues, et autres, qui, progressivement - surtout à partir de l’été 2010, seulement quelques mois après le tremblement de terre du mardi 12 janvier 2010 (un grand espace, qui était en friche, est devenu l’agglomération de Canaan et de Jérusalem, suivant les noms donnés par des confessions religieuses) -, sont transformées en une agglomération urbaine, faisant sortir de terre de nombreux bâtiments en béton, observe l’agence en ligne AlterPresse.

De plus en plus d’espaces, où étaient souvent organisées des tournois de football durant les vacances d’été, et d’autres terrains de plantations sont transformés en espaces de constructions, pour accueillir maisons habitables, écoles, églises, entreprises et autres.

Habiter en Plaine serait avantageux pour de nombreuses citoyennes et de nombreux citoyens.

Ces milliers de personnes non seulement bénéficieraient de la disponibilité de l’eau, qu’ils pompent quotidiennement et directement de la nappe phréatique, mais i retrouveraient aussi et surtout l’espoir de devenir propriétaires de leur propres maisons en acquerrant beaucoup de lopins de terre.

« Il est inacceptable d’avoir des constructions dans les zones agricoles. Les zones agricoles ne devraient pas comporter de constructions, mais uniquement des espaces de productions agricoles », soutient, dans des déclarations à AlterPresse, l’ingénieur civil David Tilus, directeur exécutif du Groupe d’action francophone pour l’environnement (Gafe), scandalisé par ce phénomène qui se développe sur le territoire national.

David Tilus en appelle à l’éthique et au professionnalisme des ingénieurs, qui acceptent de construire n’importe où, parce qu’ils voudraient gagner de l’argent.

« Ces constructions inappropriées rendent l’air irrespirable. Les espaces verts tendent à diminuer. Les styles de maisons, que nous construisons, ne sont pas adaptés à notre climat, notre environnement physique. Ce qui est susceptible d’agir sur notre mental », affirme-t-il.

Ces constructions anarchiques dans les zones agricoles sont un crime contre ce pays, qui est en proie à la misère, à l’insécurité alimentaire, estime le Gafe.

« La Plaine du Cul-de-sac n’est plus une zone agricole.Elle est devenue une zone urbaine. On ne saurait retourner en arrière », relève, de son côté le professeur et ancien titulaire du Ministère de l’environnement, Jean Vilmond Hilaire, s’exprimant, sur AlterPresse, sur le phénomène des constructions accélérées au niveau des plaines du Cul-de-sac (au nord et au nord-est de Port-au-Prince), des Cayes (dans le département du Sud), dont les constructions (dans ces zones agricoles) changent la nature, l’utilisation et la vocation des terres.

Le sol est devenu inapte à la production, insiste Hilaire.

Cette urbanisation non normalisée avec l’absence des services sociaux de base, comme l’eau potable, l’électricité, est à l’origine de la baisse de la production agricole. Une baisse qui remet en question la question de la souveraineté alimentaire, qui cause l’insécurité alimentaire, selon Jean Vilmond Hilaire.

Un document, publié dans le cadre d’un Colloque international organisé à Port-au-Prince les 22 et 23 mars 2007, sur le thème « faire face à la pénurie d’eau », signale combien la Plaine du Cul-de-Sac est la zone en Haïti, qui subit le plus les impacts du phénomène d’étalement urbain.

« Cela s’explique par le degré de dégradation des ressources naturelles, dont les ressources en eau », ont souligné ces experts ingénieurs agronomes, nationaux et internationaux.

Les eaux de la nappe phréatique seraient en voie de salinisation, suite à leur surexploitation, font ressortir ces experts nationaux et internationaux.

La nappe phréatique de la Plaine du Cul-de-sac, cette source d’eau souterraine, sert à alimenter la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, en eau.

Tous les jours, divers camions-citernes font le va-et-vient entre ces zones, pour répondre aux besoins de la population.

La salinité de l’eau de la nappe de la Plaine a augmenté de 246%, de 1988 à 1999, selon une étude de l’Université Quiskeya, cite le média en ligne « Challenges », dans un article publié le 22 janvier 2016, titré « Plaine du Cul-de-sac : nappe phréatique en danger ».

La nappe phréatique dans la Plaine du Cul-de-sac est également menacée de pollution, en raison des contacts avec des latrines et des eaux usées - que produisent les ménages - qui filtrent dans le sol, selon cette étude.

La Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (Dinepa) affirme ne pas avoir relevé, jusqu’ici, des cas liés à la pollution, ni à la salinisation de la nappe. Mais, elle tient à mettre en garde la population, selon les propos du directeur des opérations à la Dinepa, Édouard Thomas.

La Plaine du Cul-de-sac n’était pas apte à recevoir des constructions. De plus, ces dernières empêchent la nappe de se recharger correctement, note Édouard Thomas.

« Lors des tombées des pluies, la nappe se recharge entre 45 à 50%, au lieu de 100%. En plus d’une exploitation à outrance de la nappe, cette situation réduit la durée de vie de la nappe et risque de l’assécher ».

Ce phénomène a causé d’autres dommages sur l’environnement, dont la déforestation et la destruction de la faune de la zone, ajoute Édouard Thomas.

Conséquences de ces constructions anarchiques sur l’environnement

Les maisons construites sur les terres agricoles risquent de s’enfoncer dans le sol, car les types de construction ne sont pas adaptés, ont confié l’ingénieur civil David Tilus et l’ancien titulaire du Ministère de l’environnement Jean Vilmond Hilaire.

Ces cas de figure seraient déjà repérés dans certaines zones des communes de la Croix-des-Bouquets et de Tabarre (au nord-est de Port-au-Prince), affirment David Tilus et Jean Vilmond Hilaire.

« Quand la qualité du sol ne peut pas recevoir ces types de structures et que les normes de construction n’ont pas été respectées, la maison risque de s’enfoncer dans le sol », explique David Tilus.

« Le poids des constructions change la pression exercée sur le sol, les déplacements de circuits dans la nappe phréatique. Ce qui pourrait entraîner l’enfoncement des maisons dans le sol et causer des dégâts considérables lors d’un tremblement de terre », avertit, pour sa part, Jean Vilmond Hilaire, directeur exécutif du Fonds haïtien pour la biodiversité.

Le processus d’enfoncement des maisons dans le sol se fait graduellement, précise Hilaire.

L’urbanisation agressive dans la Plaine du Cul-de-sac serait à la base également du lotissement non planifié des terres. Une situation, qui crée, en conséquence, l’insécurité au niveau des zones et le problème foncier, ajoute le professeur Hilaire.

En Haïti, de nos jours, environ 4,4 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens, soit 46% de la population, sont en situation d’insécurité alimentaire, a prévenu la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa), dans un rapport de situation, rendu public le vendredi 18 juin 2021.

Pour la mise en place de politiques publiques d’aménagement du territoire national

Les experts nationaux consultés évoquent la nécessité pour Haïti de disposer de lois pertinentes sur l’aménagement du territoire national.

Ils souhaitent la mise en place de politiques publiques d’aménagement du territoire national, l’adoption de plans d’urbanisme et de dispositions institutionnelles, à travers les mairies, pour faire respecter les normes de construction en Haïti.

« Vu les risques sismiques en Haïti, il devrait y avoir une politique publique, qui détermine quels types de constructions doivent être adoptés, dans quels espaces et suivant les critères appropriés », suggère David Tilus.

Selon lui, l’État devrait pouvoir définir les zones de constructions ainsi que les espaces verts.

L’ingénieur civil regrette qu’en Haïti il n’y a pas de sessions de formation en matière de constructions, qui accentue, entre autres, sur l’importance des firmes de constructions à faire admettre chez la population.

Des équipes rodées dans les mairies devraient avoir les connaissances et compétences nécessaires, pour superviser les constructions, souhaite-t-il.

À travers les mairies et les autres collectivités territoriales, l’État devrait avoir un contrôle sur les constructions, préconise, de son côté, Jean Vilmond Hilaire, espérant des dispositions institutionnelles adéquates à moyen et long terme.

« L’urbanisation des terres agricoles se fait, parce qu’il n’y a pas de lois, ni de politiques sur l’aménagement du territoire. Les lois qui existent ne visent qu’à protéger uniquement les zones dédiées à l’agriculture intensive ou agroforestière », déplore-t-il.

Jean Vilmond Hilaire appelle à stopper la progression des constructions au détriment des zones agricoles et à sauver les zones agricoles qui restent, comme la plaine de Miragoane, dans le département des Nippes (une partie du Sud-Ouest d’Haïti). [mj emb rc apr 02/05/2022 12:19]

Sources :

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02470067/document

https://challengesnews.com/plaine-du-cul-de-sac%E2%80%89-nappes-deau-en-danger/