Español English French Kwéyol

Mouvements humains : Situation de plus en plus grave, en 2022, des migrantes et migrants d’Haïti sur le continent américain

Par Wooldy Edson Louidor

Bogotá (Colombie), AlterPresse, 20 avril 2022 --- Au courant de cette nouvelle année 2022, tout semble indiquer combien le dossier des migrantes et migrants, en provenance d’Haïti continue de faire du surplace.

De multiples questions y relatives sont toujours sans réponse, alors que la situation de ces personnes déracinées, au large du continent américain, est de plus en plus grave, selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.

Extrême gravité de la situation des migrantes et migrants haïtiens

Cette situation s’est aggravée surtout à partir de 2016, lorsque des migrantes et migrants haïtiens ont commencé à sillonner le continent américain, depuis le Brésil et le Chili, vers les États-Unis d’Amérique, et à faire face à de nombreuses crises humanitaires dans des lieux de transit, dont la frontière colombo-panaméenne et celles du Mexique avec le Guatemala et le grand voisin du Nord.

Il en résulte une grande vulnérabilité, qui s’est caractérisée par de multiples obstacles, auxquels ces migrantes et migrants sont confrontés, surtout pour l’accès à la protection internationale, dont la demande d’asile, dans des pays de transit et de destination.

Le Mexique, l’un des rares pays à prendre en compte la demande d’asile de ces migrantes et migrants, a été maintes fois critiqué pour avoir rapatrié et refoulé des demandeuses et demandeurs d’asile haïtiens, en violant le droit de ces personnes à un procès en bonne et due forme.

Par exemple, le 9 novembre 2021, la Commission nationale des droits humains (Cndh) [1] a exigé des autorités migratoires mexicaines de reconnaître qu’elles ont violé les droits humains d’une famille haïtienne, qui a été injustement déportée en 2020, alors que sa demande d’asile était en cours.

Pour ce, la Cndh a recommandé que les droits de cette famille soient restitués, afin qu’elle puisse poursuivre son processus de demande d’asile au Mexique.

De la même manière, le 8 septembre 2021, l’organisation de défense des droits humains, Human Rights Watch (Hrw) [2] , a dénoncé le fait que les deux États, mexicain et étasunien, refoulent des demandeuses et demandeurs d’asile vers le Guatemala.

La pratique de l’État mexicain, qui consiste à « abandonner des familles vulnérables dans une zone très éloignée dans la forêt guatémaltèque, sans argent, sans nourriture, sans logement et en faisant fi de leurs demandes d’asile », a été fustigée par José Miguel Vivanco, directeur de Hrw pour les Amériques.

D’autre part, en 2021 et au début de cette année 2022 en cours, les déportations de migrantes et migrants haïtiens vers leur pays d’origine ont connu un essor sans précédent, particulièrement dans ces trois pays : la République Dominicaine, le Mexique et les États-Unis.

En 2021, le Mexique a déporté un total de 1,151 Haïtiens [3], dont près de mille seulement pendant le dernier trimestre. Bon nombre de ces rapatriements ont été effectués sous l’euphémisme de « retour assisté » (en Espagnol, « retorno asistido »).

Il faudrait souligner combien ces déportations (appelées « retours assistés ») ont produit les mêmes effets délétères sur la grande majorité de ces migrantes et migrants forcés, qui se sont vus refuser le droit d’introduire une demande de protection internationale par devant l’État mexicain, parce qu’obligés de retourner dans leur pays d’origine, où ils craignent pour leur vie, compte tenu du climat d’insécurité qui y règne.

Le cas des États-Unis est beaucoup plus grave, sous le gouvernement du président démocrate Joseph Robinette Biden Jr. (Joe Biden).

Selon des organisations de droits humains basées aux États-Unis, dont Washington Office on Latin America (pour son sigle en Anglais, Wola) et Witness at the Border, le gouvernement étasunien a rapatrié plus de 20,000 Haïtiennes et Haïtiens depuis l’investiture présidentielle de Joe Biden, le 20 janvier 2021, au 10 décembre de la même année [4] .

Les statistiques de ces rapatriements, opérés par l’actuelle administration démocrate, sont effrayantes : seulement pendant cinq mois, du 19 septembre 2021 au mois de février 2022, 17,900 Haïtiennes et Haïtiens ont été déportés à bord de plus de 160 vols.

D’autre part, l’hostilité de l’État dominicain envers les migrantes et migrants haïtiens a pu être également observée, à travers les rapatriements massifs de celles-ci et de ceux-ci vers la frontière commune avec Haïti.

31,712 Haïtiennes et Haïtiens ont été déportés de la République Dominicaine en 2021 (au 10 décembre), soit un pourcentage de 34% de plus que l’année 2020 [5] .

En ce qui a trait à la vulnérabilité des Haïtiennes et Haïtiens, dans des lieux de transit au long du continent américain, la forêt du Darien, située à la frontière colombo-panaméenne, bat tous les records.

Par exemple, du total de 133,726 étrangères et étrangers ayant traversé la frontière colombo-panaméenne de manière irrégulière, 82,952 étaient des Haïtiennes et Haïtiens, selon les autorités migratoires panaméennes [6] .

Les femmes et les filles sont les principales victimes des abus et des agressions sexuelles, qui ont été perpétrés par des malfrats, dont des membres des réseaux de trafic illégal de migrantes et de migrants et des groupes de criminalité transnationale organisée.

En 2021, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a sonné l’alarme, en soulignant combien « au cours des neufs premiers mois de 2021, les mineures et mineurs représentaient 20% du total des migrantes et migrants se trouvant en situation de mobilité, alors que, il y a d’ici quatre ans, ce segment de population représentait seulement 2% » [7] , selon les propos d’un haut fonctionnaire de cette agence onusienne, rapportés par EFE.

D’autre part, le 16 mars 2022, 96 organisations de la société civile, en particulier celles basées en Haïti, ont rapporté, lors de la séance 183 de la Commission interaméricaine des droits humains (Cidh) [8] , des témoignages poignants des migrantes haïtiennes victimes d’abus sexuels.

Elles ont étayé le caractère massif, impuni, systématique, raciste et structurel de ces violences, basées sur le genre, à l’endroit des femmes et filles migrantes haïtiennes, non seulement à la frontière colombo-panaméenne, mais aussi au Mexique.

Par exemple, à la fin du mois d’octobre 2021, deux migrantes haïtiennes ont été assassinées à Tapachula (frontière sud du Mexique). L’une d’entre elles a été « violée, étranglée et laissée sans vêtements » [9] , selon un média mexicain.

Ce crime, qualifié de « féminicide », a été vivement dénoncé par l’organisation de droits humains catholique, Centro de Derechos Humanos Fray Matías de Córdova [10] .

Du surplace

Face à la gravité de cette situation des personnes migrantes haïtiennes, il y a lieu de signaler l’inaction et l’indifférence, affichées par des pays impliqués dans cette migration continentale, dont les plus importants : le Brésil, le Chili, la Colombie, le Panama, le Mexique et les États-Unis.

Le 10 mars 2022, le président Joe Biden et son homologue colombien Iván Duque ont, affirmé dans une déclaration conjointe, leur volonté commune de « travailler dans le cadre d’un nouvel accord sur la nécessité de ce que les nations de l’hémisphère gèrent la migration de manière collective » [11] .

On attend encore la mise en œuvre de ce nouvel accord, qui devrait respecter le droit international.

Entre-temps, des personnes migrantes haïtiennes, qui continuent de prendre le chemin vers les États-Unis, ont besoin d’être protégées dans leurs trajectoires, en particulier, dans des no man’s land (dont des frontières), pendant que d’autres attendent une décision favorable de la part des autorités étasuniennes et mexicaines, en vue de ne pas se voir obligées de retourner en Haïti.

Plus de 12 années après le tremblement de terre, ayant survenu en Haïti le mardi 12 janvier 2010, la migration haïtienne post-séisme n’a pas encore fait l’objet de mesures de protection claires, précises et efficaces, orientées vers la prévention et la sanction des abus, dont sont victimes les personnes migrantes haïtiennes, comme les femmes et les enfants.

Jusqu’ici, cette migration est traitée en parent pauvre, parce que définie essentiellement comme une « migration humanitaire » et « économique », donc exclue du régime de protection internationale, dont celle établie par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Onu, Genève).

Qualifié par plus d’un de « raciste », ce mauvais traitement a vu le jour dans les années 1970, quand Haïti vivait encore sous la dictature féroce des Duvalier et que les « boat-people » haïtiens arrivaient par centaines sur les rives étasuniennes de Miami [12], ou encore des Haïtiennes et Haïtiens débarquaient au Canada [13] .

Des questions sans réponse

De multiples questions sont toujours restées sans réponse.

On peut citer, entre autres questions, le rôle du racisme structurel dans la gestion de la migration haïtienne post-séisme, la violation systématique du droit de ces migrantes et migrants à l’accès à un procès en bonne et due forme dans le cadre de leur demande d’asile, ainsi que la situation préoccupante des enfants haïtiens nés au Brésil et au Chili, et l’avenir des femmes et des filles haïtiennes qui ont été violées sur leurs parcours migratoires.

Ou encore : quelles perspectives d’avenir pour les Haïtiennes et Haïtiens, qui arrivent aux frontières du Mexique ?

Qu’en sera-t-il de celles et de ceux se trouvant déjà sur le sol étasunien en février 2023, date où leur document de Statut de protection temporaire (Tps) expirera ?

Que faire face à l’absence patente de garanties de protection, au Chili et au Brésil, en faveur des Haïtiennes et Haïtiens, qui se sont vus de plus en plus obligés de « ré émigrer » vers les États-Unis et de poursuivre leur déracinement, au lieu de retourner dans leur pays d’origine ? [wel rc apr 20/04/2022 14:39]


[1Comisión Nacional de los Derechos Humanos (CNDH), Recomendación no. 80 /2021 sobre el caso de violaciones a los derechos humanos a la seguridad jurídica y a la legalidad, así como al principio de no devolución de v1, v2 y v3, así como al interés superior de la niñez en agravio de v3 ; personas en contexto de migración internacional, CNDH, 9 novembre 2021 : https://www.cndh.org.mx/sites/default/files/documentos/2021-11/REC_2021_080.pdf

[2México : Expulsión masiva de solicitantes de asilo a Guatemala, Human Rights Watch, 8 septembre de 2021 : https://www.hrw.org/es/news/2021/09/08/mexico-expulsion-masiva-de-solicitantes-de-asilo-guatemala

[3Gouvernement du Mexique, Statistiques migratoires, http://portales.segob.gob.mx/es/PoliticaMigratoria/Sintesis_Grafica/?Sintesis=2021

[4Adam Isacson, Un hito trágico : 20.000 migrantes deportados a Haití desde posesión de Biden, WOLA, 17 février 2022 : https://www.wola.org/es/analisis/un-hito-tragico-20-000-migrantes-deportados-a-haiti-desde-posesion-de-biden/

[5La "camiona" dominicana y su único destino : la deportación a Haití, France 24, 10 de diciembre de 2021 : https://www.france24.com/es/minuto-a-minuto/20211210-la-camiona-dominicana-y-su-%C3%BAnico-destino-la-deportaci%C3%B3n-a-hait%C3%AD

[7Unicef denuncia un máximo histórico de niños migrantes que cruzan la selva del Darién, EFE, 11 de octubre de 2021 : https://www.efe.com/efe/america/sociedad/unicef-denuncia-un-maximo-historico-de-ninos-migrantes-que-cruzan-la-selva-del-darien/20000013-4649312

[8RE : Situación de derechos humanos de personas haitianas en movilidad humana en la región - YouTube

[9Cuatro policías de Chiapas, bajo investigación por muerte de migrante haitiana, La Silla rota, 28 octobre 2021 : https://lasillarota.com/estados/cuatro-policias-de-chiapas-bajo-investigacion-por-muerte-de-migrante-haitiana/575549

[12Cuatro policías de Chiapas, bajo investigación por muerte de migrante haitiana, La Silla rota, 28 octobre 2021 : https://lasillarota.com/estados/cuatro-policias-de-chiapas-bajo-investigacion-por-muerte-de-migrante-haitiana/575549

[13Cuatro policías de Chiapas, bajo investigación por muerte de migrante haitiana, La Silla rota, 28 octobre 2021 : https://lasillarota.com/estados/cuatro-policias-de-chiapas-bajo-investigacion-por-muerte-de-migrante-haitiana/575549