Par Emmanuel Marino Bruno
Fort-Liberté (Haïti), 23 mars 2022 [AlterPresse] --- L’économiste et politologue Joseph Harold Pierre plaide en faveur d’une autonomisation du département du Nord-Est d’Haïti, dont l’idée doit émerger d’une élite locale, afin d’orienter les politiques publiques de développement dudit département.
Cette élite locale doit être « formée d’universitaires, de leaders communautaires, du secteur privé, des autorités religieuses des différentes communautés, qui, de par leurs prises de position et organisations, devraient orienter les politiques publiques locales », précise Joseph Harold Pierre, à travers un résumé, transmis à l’agence en ligne AlterPresse, de trois conférences animées dans le Nord-Est, les 7 mars 2022 à Trou-du-Nord, 8 mars 2022 à Ouanaminthe et 9 mars 2022 à Fort-Liberté.
« En tout premier lieu, certains problèmes, tels que l’énergie, doivent être résolus, avant de penser au développement de chacun des secteurs (...). La microfinance devrait être la première source de financement pour le démarrage de l’économie du Nord-Est d’Haïti », avance Joseph Harold Pierre.
Pour passer de la pauvreté à la prospérité dans le Nord-Est, il propose comme stratégie de tourner le dos à Port-au-Prince, c’est-à-dire de ne plus penser que le développement d’Haïti viendra de la capitale.
En ce sens, il appelle à renoncer « à l’idée de la décentralisation, au bénéfice d’une autonomisation, car décentralisation sous-entend une délégation de pouvoir des autorités centrales aux collectivités territoriales. Or, le pouvoir central est, au pire, inexistant et, au mieux, autoritaire, cacique et centralisateur ».
« Le développement du secteur agricole du Nord-Est pourrait réduire l’importation de produits alimentaires, surtout de la République Dominicaine qui dessert le grand Nord via Ouanaminthe », estime Joseph Harold Pierre, rappelant combien il existait un embryon d’agro-industrie, fait de distillerie et de laiterie, entre autres, dans le Nord-Est d’Haïti.
Il souligne combien l’agro-industrie possède une forte capacité de création d’emplois et peut contribuer en termes d’apprentissage et de transfert de technologie.
Il s’avère donc nécessaire de déterminer comment orienter le secteur agricole, pour réduire ses impacts négatifs sur l’environnement.
Dans le département du Nord-Est, qui accuse un grand potentiel agricole, « on peut cultiver des denrées, comme le maïs, la banane et les haricots. On peut aussi s’adonner à l’élevage », fait-il savoir.
Des études scientifiques, publiées au cours des 15 dernières années, telles que celle publiée, en 2017, par Meghan Christine Gonzalez et Henry Briceño dans la revue Aqua-Lac, font état du bassin de Trou Du Nord comme étant la zone d’Haïti ayant le plus grand potentiel agricole, relève l’économiste et politologue.
« L’industrialisation, spécialement la manufacture, est un autre secteur à développer, non seulement dans le Nord-Est, mais en Haïti toute entière. Pour cela, l’éducation doit être renforcée, en vue de créer les compétences nécessaires aux industries », recommande-t-il.
Le tourisme, un vecteur de développement du Nord-Est
Le tourisme constitue aussi un secteur crucial pour le développement du Nord-Est d’Haïti, avec ses nombreux sites et monuments historiques, comme le Fort Dauphin, le Fort La Bouque, la Batterie de l’Anse, le Fort Saint-Charles et le Fort Saint Frédérique, que peuvent visiter les touristes, de l’avis de Joseph Harold Pierre.
L’absence de l’État, en général, et de politique publique, en particulier, est à l’origine de l’état de délabrement, dans lequel se trouvent tous ces parcs, fustige-t-il.
La végétation des mangroves du Parc national des Trois Baies (Limonade, Caracol et Fort-Liberté) a perdu 40% de sa végétation, au cours de ces 30 dernières années, à cause de la coupe des arbres pour la fabrication du charbon, suivant une étude de 2019 publiée par Jusline Rodné-Jeanty et Michel Desse, souligne-t-il.
« Le tourisme joue un rôle important dans la croissance économique et la création d’emplois dans beaucoup de pays des Caraïbes. Or, grâce à son histoire, Haïti a un avantage comparatif par rapport à ces pays. Si le marché du tourisme est de quelque 30 millions de touristes dans les Caraïbes, le grand nord, spécialement, Cap-Haïtien et Fort-Liberté, peut prendre une part importante de ce marché », explique-t-il.
Quelques obstacles au développement du Nord-Est
L’économiste et politologue relève un ensemble d’obstacles au développement du Nord-Est d’Haïti.
Il mentionne le cas de Ouanaminthe, qui constitue un terrain fertile à la propagation de l’insécurité. Des zones de non-droit, habitées par des groupes armés, peuvent facilement s’y former.
Il signale également une rapide urbanisation anarchique à Ouanaminthe, avec un taux d’urbanisation de 60% et une densité de presque 1,000 habitants par km2.
Ouanaminthe, Port-au-Prince, Delmas et le Cap-Haïtien forment les communes les plus urbanisées en Haïti.
« Caracol peut suivre aussi cette même trajectoire, si les mesures appropriées ne sont pas prises. Par exemple, suivant les standards internationaux et adoptés par les pays de l’Amérique latine, la commune de Ouanaminthe devrait avoir 785 policiers pour ses presque 200 mille habitantes et habitants, alors que Caracol et Trou du Nord devraient en avoir 40 et 785, respectivement ».
L’urbanisation anarchique, une population jeune (la moitié des habitantes et habitants du Nord-Est a moins de 18 ans) et la pauvreté sont des facteurs déterminants de l’insécurité, énumère Joseph Harold Pierre.
Les arrondissements de Fort-Liberté, de Ouanaminthe et de Vallières sont privés d’électricité, contrairement à Caracol, Trou-du-Nord et Terrier Rouge (trois communes sur cinq de l’arrondissement de Trou-du-Nord) qui y ont accès, grâce au Parc industriel, poursuit-il.
La gestion des ordures demeure également un grand problème dans le Nord-Est, surtout à Ouanaminthe et à Caracol.
« L’urbanisation anarchique de Ouanaminthe et donc l’absence de gestion des ordures, tout comme à Cap-Haïtien, enlaidissent davantage l’image de cette ville frontalière dans le miroir de Dajabon, où les autorités locales ont pu gérer la propreté de la ville », signale Joseph Harold Pierre.
Coordonnées par le révérend père Hugues Louis, vice-recteur de l’Université (catholique romaine) Notre-Dame d’Haïti (Undh), à Fort-Liberté, les conférences tenues les 7, 8 et 9 mars 2022 s’inscrivent dans le cadre d’un travail, entrepris par Joseph Harold Pierre, en vue d’aider à l’émergence d’une nouvelle opinion publique et à la construction des élites en Haïti. [emb rc apr 23/03/2022 12:50]