Par Daphnine Joseph
P-au-P, 25 févr. 2022 [AlterPresse] --- Conditions de travail très dures, absence dans des positions importantes au niveau des syndicats et manque d’accès à des soins de santé sont parmi les nombreuses contraintes, auxquelles font face les ouvrières, dans la branche de la sous-traitance en Haïti, selon les témoignages recueillis par l’agence en ligne AlterPresse.
L’une des grandes faiblesses du mouvement syndical en Haïti est l’absence flagrante de femmes dans des positions importantes, relève la coordonnatrice de Batay ouvriye, Yanick Étienne, à l’émission Espas fanm sur AlterRadio 106.1 F.m.
« Même si elles sont très actives au niveau des syndicats de base, leur cheminement, pour qu’elles puissent tenir jusqu’à la fédération, est très limité. C’est un gros problème, auquel nous faisons face », regrette Batay ouvriye.
Généralement, les responsabilités familiales des femmes empiètent sur leur évolution dans les syndicats. Elles font souvent preuve de manquements aux réunions importantes et aux séances de formation, relatives au syndicalisme.
En plus des difficultés communes, qu’elles partagent avec les hommes dans la branche de la sous-traitance, les ouvrières ont spécifiquement des problèmes cruciaux.
La santé des femmes et les moyens de transports
Beaucoup d’ouvrières ont des problèmes respiratoires, dus aux poussières des tissus. Elles ont des inflammations au niveau des pieds, après de longues séances de couture à l’usine.
« La question des soins de santé a une grande importance dans notre combat. Nous posons toujours des questions sur la santé des femmes ouvrières. Malheureusement, l’Office d’assurance accidents, du travail, maladie et maternité (Ofatma) ne prend pas à cœur ce problème », critique Yanick Étienne.
Aujourd’hui, la Compagnie de développement industriel (Codevi) à Ouanaminthe (Nord-Est) est la seule à accorder plus de temps aux ouvrières enceintes, aux heures de pause de repas, et à mettre disponible une garderie d’enfants.
Le Parc industriel de Caracol (Pic, également dans le Nord-Est d’Haïti) est le seul à mettre exclusivement un moyen de transports pour les femmes enceintes, suite à l’intervention des syndicats.
Plusieurs centaines d’ouvrières et d’ouvriers ont défilé, le mercredi 23 février 2022, sur la route de l’aéroport international de Port-au-Prince, pour continuer d’exiger un salaire minimum journalier de 1,500.00 gourdes (Ndlr : US $ 1.00 = 104.00 gourdes ; 1 euro = 118.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 1.90 gourde aujourd’hui).
Le photojournaliste du média en ligne « Roi des infos », Maxihen Lazzare, a été tué par balle et les journalistes Sony Laurore et Yves Moïse figurent parmi les personnes blessées par balles tirées par la Police nationale d’Haïti (Pnh), lors de cette mobilisation ouvrière.
Témoignages poignants des ouvrières, lors de la manifestation du 23 février 2022
« Nous somme nombreuses dans les usines à ne pas avoir de maris. Nous sommes à la fois mères et pères. La pitance, que nous recevons comme salaire, ne peut pas nous aider. Le premier ministre de facto et les responsables des usines ne font preuve d’aucun respect à notre égard », a fustigé une ouvrière de la sous-traitance, lors de la mobilisation du 23 février 2022.
Elle se plaint de n’avoir pas d’argent pour payer, cette année 2021-2022, les frais de scolarité de ces enfants.
« Pour assurer la journée de travail, chacune consomme un plat de spaghetti pour 100.00 gourdes, du jus pour 75.00 gourdes et 200.00 gourdes pour le transport (aller-retour). Nos patrons dépensent pour leurs chiens 1,500.00 gourdes par jour. Pourtant, ils estiment que ce niveau de salaire, de 1,500.00 gourdes, exigé par les ouvrières, est trop », fustige une autre ouvrière.
Certaines d’entre elles doivent traverser tous les jours le quartier de Martissant (périphérie sud de Port-au-Prince, sous contrôle, en toute impunité, de gangs armés depuis le 1er juin 2021), pour se rendre au travail, au risque de se faire agresser par des bandits armés, poursuit-elle.
« Parfois, des bandits armés nous attrapent en chemin et nous violent. Et maintenant, nous devons supporter toutes ces humiliations et la maltraitance, que nous infligent des policiers, en usant de bombes lacrymogènes et de rafales de balles contre nous. Nous n’en pouvons plus ! », a témoigné une ouvrière manifestante.
Les salaires, dans plusieurs branches d’activités, ont été déterminés, lors d’un Conseil des ministres du gouvernement de facto, qui s’est réuni le dimanche 20 février 2022, a indiqué le bureau du premier ministre de facto Ariel Henry.
Un arrêté, publié dans le journal officiel, Le Moniteur, le lundi 21 février 2022, a fixé à 685.00 gourdes le salaire minimum journalier pour les ouvrières et ouvriers, dans la branche de la sous-traitance.
Le dernier ajustement du salaire minimum journalier en Haïti remonte à novembre 2019, alors que le code du travail exige des ajustements à chaque augmentation d’au moins 10% du taux d’inflation, évalué aujourd’hui à plus de 24%. [dj emb rc apr 25/02/2022 16:10]