Par Jean-Marie Raymond NOEL [1]
Soumis à AlterPresse le 8 juillet 2005
Je suis de ceux à avoir toujours insisté sur le rôle important des gouvernements dans le processus de mise en œuvre de la Société de l’Information. Ce rôle peut avoir des effets catalyseurs ou inhibiteurs suivant le cas. La récente décision de supprimer le poste de Secrétaire d’Etat aux Mines, à l’Energie et aux Télécommunications vient tout simplement éliminer l’interlocuteur gouvernemental sur la question des technologies de l’information et de la communication (TIC). Aujourd’hui, il n’y en a pas ! Si je me trompe, j’invite les acteurs gouvernementaux ou des pouvoirs publics à me l’indiquer. Cela semble malheureusement renvoyer encore une fois aux calendres grecques les réponses aux préoccupations fortement exprimées par différents acteurs de la société à l’occasion de manifestations diverses : conférences, colloques, forum libre, forum virtuel, la Dizaine sur la Société de l’Information, ateliers, etc.
Je veux bien en rappeler ici quelques-unes et leur degré de traitement à date :
1. Formation de la Commission Nationale sur la Société de l’Information. Le projet de décret est bloqué au niveau du Conseil des Ministres, on ne sait pas trop pourquoi, vu que le Premier Ministre avait pris le ferme engagement de le faire le 8 décembre 2004 au CCAA (Caribbean and Central America Action) à Miami
2. Mise en œuvre d’un cadre légal et réglementaire incitatif. Tel que l’a signalé le Ministre des TPTC, Fritz Adrien, dans son intervention officielle à Rio de Janeiro, un projet a été mis en discussion pendant la Dizaine. Face au raidissement des représentants des partis politiques notamment, il a été recommandé de poursuivre les débats de façon sectorielle pour finaliser le projet de réforme. Un tel travail semble bien répondre à la nature de ce gouvernement et aux objectifs qu’il s’était fixés de préparer l’environnement pour le prochain gouvernement issu des élections
3. Elaboration d’un Plan National. Là aussi, les travaux sont bien avancés. Des débats de la Dizaine, les lignes d’orientation ont été validées, ce qui n’est pas rien. Il s’agit maintenant de préciser les programmes, les projets, les règlements, le calendrier, le budget d’application
4. Poursuite du travail de sensibilisation, d’information. Les récents ateliers sectoriels organisés dans le cadre de la Dizaine ont bien démontré la nécessité de forcer la réflexion et le positionnement de groupes spécifiques sur cette problématique. Ils sont des acteurs indispensables dans le processus d’intégration d’Haïti dans la Société de l’Information. Mais ils ne seront mobilisés que dans la mesure où ils sont bien conscients des défis et des enjeux pour leur secteur respectif. Les paysans ont bien donné la démonstration le lundi 23 mai à Papaye et le mercredi 25 mai dernier au Karibe Convention Center à Port-au-Prince
5. Renforcement des réseaux d’infrastructure électrique et de télécommunication. Le moins qu’on puisse dire est que la récente déclaration du Ministre Adrien, le mardi 5 juillet en cours sur Radio Métropole, justifiant la suppression dudit poste, renvoie à des horizons lointains une vision moderne dans l’approche des solutions à ces deux secteurs. Il n’a pas hésité pour présenter d’un côté l’EdH et le Bureau des Mines et de l’Energie et de l’autre le CONATEL comme les instruments étatiques de développement de ces secteurs
6. Manifestation d’une volonté et d’un engagement politiques clairs. Cela ne peut provenir que de l’Exécutif. Mis à part le discours d’investiture du Cabinet Ministériel d’octobre 2004, l’engagement du premier Ministre en décembre 2004 à Miami, je n’ai pas en mémoire d’autres prises de position publique des deux têtes de l’Exécutif (Président et Premier Ministre) en faveur des TICs, malgré le vibrant plaidoyer fait récemment par une représentante des populations de la côte Sud au Premier Ministre en tournée de promotion des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ont-ils jamais compris que ces technologies peuvent justement aider dans l’amélioration des services de base ? Ont-ils compris qu’elles peuvent même faciliter le dialogue national ? Ont-ils compris qu’elles peuvent même aider à réduire la délinquance juvénile ? Ont-ils compris que le processus électoral serait nettement plus fluide, plus efficace, s’il y avait la possibilité de communication et d’interaction rapides entre le CEP et ses centres d’opération sur le terrain ? Ont-ils compris qu’il sera difficile de parler de décentralisation, de déconcentration efficace sans des structures de communication modernes et efficientes ? Ont-ils compris l’urgence de démontrer une présence gouvernementale sur le Web (voir la place peu enviable de « dernier de la classe » attribuée à Haïti par la CEPAL dans son dernier rapport, page 65, intitulé Public policies for the development of information societies in Latin America and the Caribbean) ? Ont-ils compris que la réduction de l’inégalité sociale passe aujourd’hui par l’aménagement de structures d’accès à l’information dans tous les coins et recoins du pays ?
Mais je suis aussi de ceux qui ont toujours recommandé le partenariat multi acteurs dans le cadre de ce processus. Il faut en effet reconnaître que les pouvoirs publics à eux seuls ne pourront pas faire face à ces défis. L’effort d’investissement nécessaire ne peut être accompli par le seul Trésor Public, à moins que nous choisissions de nous déplacer à pas de tortue dans un monde en mutation incessante. La réflexion, l’innovation, le développement de produits adaptés ne sauront être laissés uniquement au secteur public. La diffusion ou le partage de l’information, des connaissances, des savoirs, des bienfaits mêmes de ces technologies, c’est surtout l’affaire des acteurs présents sur le terrain.
D’un autre côté, les dégâts consécutifs à une mauvaise gestion du dossier, les manques à gagner, les pertes de crédibilité, les mises au rencart, les pertes de commande, les frustrations, etc. ne toucheront pas que le gouvernement. Bien au contraire, les secteurs qui seront les plus affectés sont le secteur des affaires, les universités, les jeunes, la diaspora haïtienne, les populations déjà défavorisées, les institutions de la société civile, y compris même le secteur politique. Le coût social sera donc très grand.
Il importe donc que tout un chacun, que tous les secteurs se mobilisent pour que des décisions maladroites prises par le Gouvernement ne nous entraînent pas de force dans le cycle d’un perpétuel recommencement et ne viennent compromettre davantage l’avenir de ce pays.
Il faut apprendre à construire sur les acquis ! Et des acquis dans le secteur des technologies de l’information en Haïti, il y en a ! C’est là une invitation à tous ceux qui font partie du Comité de suivi (les membres du Comité d’Organisation de la Dizaine, les coordonnateurs des ateliers sectoriels, les coordonnateurs et rapporteurs des ateliers thématiques, la représentante du secteur universitaire) mis en place à la session finale de la Dizaine sur la Société de l’Information à jouer sa partition, car il ne faut pas faire marche arrière.
Nous devons continuer !
[1] Ingénieur et professeur à l’université