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Économie : L’économiste Joseph Harold Pierre préconise des politiques sociales d’accompagnement, incluant des ajustements salariaux annuels dans le secteur public, en Haïti

Par Emmanuel Marino Bruno

P-au-P, 22 févr. 2022 [AlterPresse] ---Le politologue et économiste Joseph Harold Pierre préconise des politiques sociales d’accompagnement, tout en appelant l’État à prendre en compte, notamment, le secteur public, dans le cadre de la politique d’ajustement salarial en Haïti, lors d’une intervention à l’émission Tichèz ba, diffusée sur la station privée AlterRadio 106.1 f.m., suivie par l’agence en ligne AlterPresse.

« Toute la société est concernée (par l’ajustement du salaire minimum journalier), pas seulement la branche de la sous-traitance. Quand l’accent est mis seulement sur la sous-traitance, c’est mal penser la politique économique », souligne-t-il.

L’État devrait, d’abord, effectuer annuellement un justement salarial dans le secteur public, qui réunit le plus d’employés, soit 82 mille par rapport à la branche de la sous-traitance rassemblant environ 55 mille travailleuses et travailleurs, estime l’économiste Joseph Harold Pierre.

Les salaires, pour plusieurs branches d’activités, ont été déterminés, lors d’un Conseil des ministres, le dimanche 20 février 2022, a indiqué le bureau du premier ministre de facto, Ariel Henry.

Le salaire minimum journalier dans la branche de la sous-traitance a été fixé à 685.00 gourdes (Ndlr : US $ 1.00 = 104.00 gourdes ; 1 euro = 118.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 1.90 gourde aujourd’hui), alors que les ouvrières et ouvriers ont gagné les rues, durant les deux dernières semaines, pour exiger un salaire minimum journalier de 1,500.00 gourdes.

Le dernier ajustement du salaire minimum journalier en Haïti remonte à novembre 2019.

Entre-temps, la Centrale nationale des ouvrières et ouvriers haïtiens (Cnoha) a annoncé, pour les mercredi 23, jeudi 24 et vendredi 25 février 2022, trois nouvelles journées de mobilisation, pour protester contre la décision du gouvernement de facto de fixer le salaire minimum journalier à 685.00 gourdes au lieu de 1,500.00 gourdes, dans la branche textile en Haïti.

Joseph Harold Pierre demande aux autorités étatiques de mettre en place des mesures, pour faire appliquer les lois relatives au salaire minimum journalier en Haïti.

Dans 50% des cas, ces lois demeurent inappliquées, même au niveau de l’Amérique latine, à cause d’une absence de dispositions, relate l’expert en économie et politique de l’Amérique latine.

Nécessité d’accompagner les plus pauvres

Dans une logique de politique de transferts, le politologue et économiste plaide en faveur de mesures d’accompagnement de la population, dont 90% évolue dans le secteur informel, base de l’économie haïtienne.

L’État doit avoir des politiques sociales pour accompagner les communautés les plus démunies, notamment en nature (argent) et en espèces (services gratuits etc.), suggère-t-il.

Le salaire minimum journalier s’inscrit dans une politique sociale d’un pays, pour aider les personnes les plus défavorisées, insiste Joseph Harold Pierre, citant l’exemple de plusieurs pays, comme le Brésil et le Mexique.

Pourquoi le salaire minimum ? Quel est son sens ?, se questionne le politologue et économiste, pour bien asseoir son analyse axée sur la politique sociale.

Le sens premier du salaire minimum est d’aider les personnes à ne pas vivre dans des conditions misérables d’indigence (situation de quelqu’un, qui peut manger et dormir) et de pauvreté (situation de quelqu’un qui peut manger, dormir, aller l’école et avoir accès à la santé), explique-t-il, sans entrer dans les détails.

La révision du salaire minimum journalier devrait avoir lieu, chaque année, suivant le Code du travail, en son article 137, qui exige des ajustements à chaque augmentation d’au moins 10% du taux d’inflation, rappelle-t-il.

Les personnes vivant dans des conditions d’indigence en Haïti ((avec 1.25 dollar par jour) devraient avoir 900.00 gourdes comme salaire minimum journalier, considère Joseph Harold Pierre.

Toutefois, précise-t-il, une personne indigente ne vit pas dans des conditions de dignité.

Les personnes vivant dans une condition de pauvreté (avec 2 dollars par jour) devraient avoir 1,600.00 à 1,700.00 gourdes comme salaire minimum journalier, bien que, au regard des conditions actuelles, Haïti n’entre pas dans la ligne de pauvreté.

Variation annuelle du salaire minimum journalier dans la région

Dans son analyse, l’économiste Joseph Harold Pierre a passé en revue les variations, intervenues, chaque année, au niveau du salaire minimum journalier dans les pays de l’Amérique Latine (Colombie, Trinidad and Tobago et Jamaïque).

De 2010 à 2020, la Colombie accuse une variation annuelle de 5% en moyenne du salaire minimum journalier, alors que celle de Costa Rica est de 9%.

La variation annuelle de Trinidad est de 4%, tandis que celle de la Jamaïque est de 14%.

La Chine, bastion de la zone franche et de la sous-traitance, affiche une variation de 13 %.

De façon générale, une légère augmentation du salaire minimum journalier, par rapport à l’inflation, est observée, chaque année, dans les pays susmentionnés.

De 2011 à 2020, le salaire minimum journalier au Brésil était supérieur à la variation de l’inflation de près de 2%.

En effet, le salaire minimum journalier affiche généralement une variation minimale par rapport à l’inflation.

Pour que les conditions de vie de la population haïtienne n’empirent pas, il faudrait que le salaire minimum journalier affiche une augmentation égale à l’inflation, explique Joseph Harold Pierre.

Variation du taux d’inflation en Haïti et revendications ouvrières

En rythme mensuel, l’inflation en Haïti s’est établie à 4.6% et à 4.7%, respectivement en octobre et novembre 2021, a indiqué la Banque centrale, la Banque de la république d’Haïti (Brh), dans une note publiée, en janvier 2022, sur la politique monétaire couvrant les mois d’octobre à décembre 2021.

En glissement annuel, le taux d’inflation s’est fortement accéléré pour atteindre 24.6% en novembre 2021, après 13.1% en septembre 2021, rappelle la Brh.

Le taux d’inflation avait atteint la barre de 19.7% en octobre 2021.

De novembre 2019 à février 2022, le salaire minimum journalier dans la branche textile en Haïti était de 500.00 gourdes.

Vu le coût excessivement élevé de la vie, les ouvrières et ouvriers protestataires réclament désormais 1500 Gourdes comme salaire, en ajoutant 1000 Gourdes aux 500 Gourdes.

Si l’on tient compte des 1,500.00 gourdes, exigées actuellement par les ouvrières et ouvriers dans la sous-traitance, le salaire minimum journalier en Haïti devrait s’élever, de 2019 à 2022, à une augmentation annuelle de 66% en moyenne, évalue l’économiste.

Est-ce que la branche de la sous-traitance en Haïti détient la capacité d’offrir un salaire minimum journalier, accusant une augmentation annuelle de 66%, de 2019 à 2022 ?, se demande le politologue Joseph Harold Pierre.

Même s’il reconnait que cette exigence n’affectera pas trop les entreprises privées, parce que ces dernières effectuent leurs transactions en dollars américains, une modération s’impose pour Joseph Harold Pierre.

Un niveau d’ajustement salarial à 1,500.00 gourdes pourrait aussi avoir comme conséquence de contraindre ces entreprises à s’installer, de préférence, dans des pays de l’Amérique latine, qui offriraient plus d’avantages qu’Haïti, prévient-il.

L’économiste Joseph Harold Pierre signale un sérieux problème de gouvernance, existant au niveau de la politique économique dans le pays, où l’État n’encourage pas le secteur privé à investir, ni ne favorise l’investissement direct des étrangers. [emb rc apr 22/02/2022 09:30]