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Humanisme et génie de Dessalines, fondateur d’Haïti, rétablis par un film d’Arnold Antonin

Par Gotson Pierre

P-au-P., 22 févr. 2022 [AlterPresse] --- L’humanisme et le génie du père de l’indépendance d’Haïti, occultés par l’histoire, sont rétablis par le nouveau film d’Arnold Antonin « Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte », qui sort, le mercredi 23 février 2022, à Pétionville (périphérie est).

Le documentaire de 97 minutes retrace l’histoire complexe du fondateur d’Haïti, assassiné en 1806, deux ans après la proclamation de l’indépendance. Le héros est alors condamné à l’oubli aussi bien dans son pays qu’en France, où ses exploits sont occultés.

Le choix dramaturgique d’Arnold Antonin mélange la réflexion et des moments de fiction qui illustrent certains pans de la vie de Dessalines et des aspects du contexte de l’époque.

Plus d’une dizaine d’historiens de renom, dont Pierre Buteau, Alix René, Gaétan Mentor, Leslie Péan, Vertus St Louis, et d’autres intellectuels livrent leurs réflexions critiques sur le cheminement et l’action de Dessalines, dans ce documentaire, dédié à la mémoire de l’historien Michel Héctor et sa compagne Denise, décédés en 2019 et 2021.

Les modestes descendants du général de l’armée indigène, devenu le premier empereur d’Haïti, apparaissent et s’expriment également à l’écran, dans le décor de la petite ville de Marchand-Dessalines, faite brièvement capitale d’Haïti au lendemain de l’indépendance.

Comprendre et faire comprendre Dessalines

C’est un film qu’Arnold Antonin réalise au bout de 3 ans de recherche, pour « comprendre Dessalines et partager sa compréhension avec la jeunesse haïtienne et le monde entier », confie-t-il dans une interview accordée à AlterPresse.

Il y a eu, en effet, un « effacement » de cette figure durant 40 ans dans l’histoire d’Haïti, puis une « réhabilitation » et une « instrumentalisation » du héros, pour « les meilleures comme les pires causes ».

Pas d’image authentique de Dessalines, ni de date de naissance établie. Transformé en mythe dans la mémoire collective, Dessalines fait partie de l’imaginaire des Haïtiens, alors qu’au niveau international il est présenté comme « un monstre assoiffé de sang ».

En fait, relève Antonin, le monde occidental a voulu éclipser à jamais le fait que la puissante armée de Napoléon, qualifié de « prédateur », a été vaincue par une armée d’esclaves, sous les ordres du « stratège et fin politique » Jean-Jacques Dessalines, accompagné d’autres généraux « qui maitrisaient l’art de la guerre ».

« Une subversion » absolue, comme le souligne le film. Les puissances de l’époque ne reconnaitront pas le nouvel État. Juste des relations commerciales des États-Uniens voisins avec ce pays qu’il faut, en outre, à tout prix, empêcher d’avoir une marine.

Ironie du sort, le général haïtien voulait, entre autres, venger l’Amérique colonisée, soutiennent les intervenants. 14 jours après la proclamation de l’indépendance, il signe une ordonnance pour accueillir les noirs et affranchis discriminés aux États-Unis. Il exprime sa reconnaissance aux philanthropes de tous les pays qui ont contribué à l’indépendance, apprend-on dans le documentaire.

Génie et humanisme

Cadre d’un débat, par moment contradictoire, sur la bataille pour l‘indépendance, la période coloniale, l’assassinat de Dessalines, son parcours d’individus, de commandant militaire et de dirigeant politique, le film campe Dessalines comme la « synthèse de l’effort historique » pour bâtir un pays.

Le combat de Verrières (Nord), en novembre 1803, donnant définitivement la victoire aux troupes d’esclaves sur celles de Napoléon, est « conçu personnellement par Dessalines, chef militaire impitoyable et politique génial », souligne Pierre Buteau.

Dans cette bataille, où la perspective humaniste s’affirme face à la barbarie française, Dessalines expérimente « la tactique de la terre brulée », initiée en Haïti, et qui sera employée plus tard sur d’autres théâtres de guerre à l’échelle internationale.

Il s’agit là d’une conception « moderne » et d’une bataille « déterminante dans l’histoire de l’humanité ». Le projet d’ « autodétermination » de Dessalines est « en avance sur le temps », met en relief le documentaire.

La vision de Dessalines embrasse l’ère indienne jusqu’à l’indépendance, en passant par la période coloniale, marquée par la traite négrière et l’esclavage. Refusant le nom de Saint-Domingue légué par les colons, le nouvel État - pour revenir « aux origines » - s’appellera Haïti, nom donné au territoire par les premiers habitants de l’Île, note Michèle Duvivier Pierre-Louis, présidente de la Fondation connaissance et liberté – Fokal.

Solitude

Certains choix de Dessalines sont questionnés. Comme celui, réprouvé par Leslie Péan, de faire d’Haïti un Empire au lieu d’une République sur le modèle des États-Unis, basé sur la division du pouvoir et des élections périodiques. Mais, justifie-t-on, s’il se fait très tôt proclamer empereur c’est « pour faire équilibre » à Napoléon.

Homme de réflexion et d’analyse (contrairement à l’image qu’on lui donne), Dessalines oubliera pourtant la réalité du terrain, dont le contexte change radicalement au lendemain de l’indépendance.

Luttes pour le pouvoir et les avantages du commerce international, climat de méfiance, problème de perception du concept de liberté : tout cela constitue, en partie, la trame du complot qui résulte en l’assassinat de Dessalines en octobre 1806. Le héros meurt « dans la solitude ».

Actualité et appropriation

Le documentaire se rattache à l’actualité, où les luttes de pouvoir sont perçues comme un obstacle à la construction d’une véritable nation. Il ne se veut ni passéiste, ni nostalgique, mais « un point de départ pour des débats » mettant en valeur une « intelligence critique ». On voit l’évocation du père de l’indépendance dans de récentes manifestations de rue en Haïti, où certains partis tentent une appropriation politique du personnage.

Arnold Antonin met en garde contre toute « instrumentalisation uniquement à des fins mesquines » d’un « personnage aussi grand pour l’histoire ». Il prône une « appropriation au service de la patrie et de l’humanité ». [gp apr 22/02/2022 04:00]