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Sous-traitance : Le Rnddh exige des sanctions contre les policiers auteurs de brutalités contre les manifestations ouvrières en Haïti

Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) a recensé au moins quinze (15) victimes de brutalités policières, parmi lesquelles plusieurs femmes

« Aussi, le Rnddh juge-t-il inconcevable que des policiers se soient mis du côté des patrons, pour opprimer une population en proie à une pauvreté extrême, réclamant un salaire juste et équitable pour un travail aux horaires astreignants, qu’elle fournit quotidiennement. L’organisation croit que l’institution policière gagnerait de préférence à s’attaquer aux grands problèmes d’insécurité, qui ravagent le pays, comme les assassinats, les enlèvements suivis de séquestration contre rançon ainsi que la perte du contrôle du territoire haïtien au profit des gangs armés ».

Transmis à AlterPresse le 21 février 2022

Revendication de révision du salaire minimum : le Rnddh appuie la classe ouvrière et condamne les brutalités policières

1. Depuis plusieurs jours, des ouvriers et ouvrières mènent une lutte pour exiger la révision du salaire minimum, compte tenu de l’inflation qui a cours en Haïti. En ce sens, ils estiment qu’au moins mille-cinq-cents (1,500.00) gourdes devraient leur être attribuées pour une journée de huit (8) heures de travail. Et, pour faire passer leurs revendications, ils organisent des manifestations sur la voie publique.

2. Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), qui suit avec une attention particulière l’organisation de ces manifestations ainsi que le comportement des autorités policières vis-à-vis des manifestants-tes, estime de son devoir de se positionner par rapport à la revendication des ouvriers-ères et aux brutalités policières enregistrées depuis.

I. Faits antécédents et analyse sur l’inflation

3. Le 7 décembre 2021, dans l’après-midi, le gouvernement de facto, dirigé par le Premier ministre Ariel HENRY, a révisé à la hausse les prix des produits pétroliers. Les prix du diesel et du kérosène ont carrément double, alors que celui de la gazoline a connu une augmentation substantielle : en effet, le diesel est passé de cent-soixante-neuf (169.00) à trois-cent-cinquante-trois (353.00) gourdes et le kérosène est passé de cent-soixante-trois (163.00) à trois-cent-cinquante-deux (352.00) gourdes. Le prix de la gazoline est passé de deux-cent-un (201) à deux-cent-cinquante (250.00) gourdes. Ces tarifs sont rentrés en vigueur le 10 décembre 2021.

4. Quelques jours avant, c’est-à-dire en novembre 2021, l’Institut haïtien de statistiques et d’informatiques (Ihsi) a affirmé que le pays connaît un taux d’inflation avoisinant 25 %, en raison du fait que les prix des produits, les plus consommés par les ménages haïtiens, comme le riz, l’huile, les médicaments, etc., ont augmenté de manière exponentielle.

5. Parallèlement, il convient de souligner que l’inflation consiste en la hausse généralisée et continue des prix des produits et des services. Elle a donc, pour conséquence directe l’augmentation du coût de la vie et, par ricochet, la diminution – ou carrément la perte – du pouvoir d’achat des employés-es et des ouvriers-ères.

6. Les facteurs, qui peuvent entraîner l’inflation sont nombreux, : par exemple, pour Haïti, la dévaluation continue de la gourde par rapport au dollar américain ainsi que l’augmentation des prix des produits pétroliers constituent deux (2) facteurs importants ; d’une part, parce que le pays est tourné vers l’importation et d’autre part, parce que le prix du carburant affecte, en chaîne, les prix de tous les produits de première nécessité ainsi que celui du transport en commun.

7. De plus, l’insécurité, caractérisée par des luttes hégémoniques entre gangs armés, des assassinats, viols, vols et enlèvements suivis de séquestration contre rançon – une insécurité aggravée depuis l’avènement à la tête du pays en juillet 2021, du Premier ministre de facto Ariel HENRY - constitue aussi un facteur important de l’inflation, car, les produits agricoles ne circulent pas dans le pays. Ceci occasionne une flambée de prix de vivres, légumes et céréales.

II. Manifestations pacifiques et répression de la Pnh

8. Les 17 et 21 janvier 2022, des ouvriers-ères du Parc Industriel de Caracol, dans le département du Nord-Est, ont organisé un mouvement de protestation, en vue de réclamer une augmentation du salaire minimum, perturbant ainsi le fonctionnement du parc susmentionné, qui accueille plusieurs milliers d’ouvriers-ères. Ce mouvement a eu le mérite d’attirer l’attention de l’opinion publique sur le fait que le salaire, perçu par les ouvriers-ères, particulièrement ceux qui travaillent dans des établissements industriels tournés exclusivement vers la réexportation et employant leur personnel à la pièce ou à la tâche, représente une pitance qui ne leur permet pas de répondre à leurs besoins les plus fondamentaux.

9. En février 2022, plusieurs syndicats de travailleurs-euses haïtiens ont décidé de donner suite au mouvement initié dans le Nord-Est, en manifestant pacifiquement à Port-au-Prince, en vue d’exiger la révision à la hausse du salaire minimum. Ainsi, après notification à la Police nationale d’Haïti (Pnh), les 9, 10 février, 16 et 17 février 2022, des manifestations pacifiques ont-elles été organisées dans les rues de la capitale.

10. De manière systématique, les agents de la Police nationale d’Haïti (Pnh) ont fait un usage abusif de gaz lacrymogènes au détriment des manifestants-tes. De plus, dans une première vidéo circulant sur les réseaux sociaux, on peut visualiser des policiers en train de brutaliser des manifestants-tes. Et, au moins un (1) d’entre eux a été giflé avec beaucoup de violence, alors qu’il n’agressait pas le policier, ni ne représentait aucune menace pour lui. Une autre vidéo, devenue tout aussi virale sur les réseaux sociaux, montre des civils armés travaillant de concert avec des policiers pour disperser les manifestants-tes, tout en les menaçant de tirer dans leur direction.

11. Le Rnddh a recensé au moins quinze (15) victimes de brutalités policières. Il s’est entretenu avec douze (12) d’entre elles, confirmant ainsi les informations qui lui avaient déjà été communiquées par les syndicats organisateurs des manifestations pacifiques.

• Johanne MILCA, âgée de vingt-sept (27) ans, travaille à l’usine Hansae I. Au moment où elle s’apprêtait à laisser le Parc industriel de la Sonapi, pour rejoindre la manifestation, la police a fait usage de gaz lacrymogènes. Elle est tombée et s’est blessée à la tête. Elle a été admise à l’hôpital de l’Office d’assurance accidents du travail maladie et maternité (Ofatma). Elle a dû solliciter, auprès de son employeur, un congé maladie, qui lui a été octroyé pour dix (10) jours. Cependant, sa situation reste critique ;

• Miralda PIERRE, enceinte de six (6) mois, travaille à l’usine 51 BMF. L’endroit, où elle se trouvait, a été bombardé par du gaz lacrymogène. Elle est tombée en syncope. Elle a été conduite en urgence, à l’hôpital de l’Ofatma. Aujourd’hui, elle craint pour la vie de son bébé, qui ne bouge plus comme avant ;

• Dieula SIMEUS travaille à l’usine 2D20-45. Elle a été blessée au niveau de la main droite ;

• Newvile CHARLES, travaille à MGA Building 11. En tentant de se mettre à l’abri, lorsque la police tirait, en direction de la foule, des tubes et bonbonnes de gaz lacrymogène, il a été frappé par une motocyclette. Il est blessé au niveau du pied droit ;

• Ruth LEON travaille à l’usine Building 52. Elle est asthmatique et a dû être conduite en urgence à l’hôpital, après avoir inhalé du gaz lacrymogène ;

• Lucie LAGUERRE, âgée de quarante-sept (47) ans, travaille à l’usine Centry Group 13. Elle est tombée lors d’une intervention policière. Blessée aux genoux, elle a été soignée à l’hôpital de l’Ofatma ;

• Carline JEAN SIMON, âgée de trente-neuf (39) ans, travaille à l’usine building 55 Hansae. Asthmatique, elle a eu des problèmes respiratoires après avoir inhalé du gaz lacrymogène. Elle a été emmenée d’urgence à l’hôpital de l’Ofatma ;

• Gina HENRY a été frappée à la cuisse droite par une bonbonne de gaz lacrymogène ;

• Marie Lourdy PIERRE est tombée, lorsque la police est intervenue pour étouffer la
manifestation, qui venait à peine de commencer devant les locaux du Parc industriel de la Sonapi. Elle est fracturée au flanc droit ;

• Stéphanie FRANCISQUE, Josiane LAGUERRE, Stéphanie CORNER, Yolande NOËLSAINT et Cherlande BELIZAIRE travaillent au MGA Building 17, Building I et au Building 34. Elles ont été victimes de brutalités policières. Elles ont été soignées à l’hôpital de l’Ofatma, puis renvoyées chez elles.

III. Proposition du Conseil supérieur des salaires (Css)

12. En juillet 2019, le Conseil supérieur des salaires (Css) avait acheminé son dernier rapport, fixant le salaire minimum par secteur d’activités, dénommé segment. A l’époque, il avait été décidé d’octroyer cinq cents (500.00) gourdes de salaire minimum aux ouvriers-ères travaillant dans les industries tournées vers la réexportation, et plus ou moins que cinq cents (500.00) gourdes à d’autres segments. Ce montant avait été alors dénoncé, parce qu’il ne permettait pas aux ouvriers-ères, qui réclamaient mille (1,000.00) gourdes de salaire minimum, de subvenir convenablement à leurs besoins.

13. A ce stade, il convient de souligner, d’une part, que, selon la Loi du 6 octobre 2009, le Css est constitué de trois (3) groupes de trois (3) représentants-tes, chacun du Ministère des affaires sociales et du travail, du Secteur patronal et du Secteur ouvrier. D’autre part, la Loi du 6 octobre 2009 ainsi que le Code du Travail Haïtien font obligation au Css de réviser le salaire minimal, toutes les fois qu’il y a lieu, chaque année, trois (3) mois avant la fin de l’année fiscale et d’acheminer son rapport au Ministère des affaires sociales et du travail.

14. Pourtant, depuis 2019, malgré toutes les promesses, qui avaient été faites, et en dépit de la dégradation de la situation socioéconomique du pays, aucune révision n’a été enregistrée. Il a fallu, comme à chaque fois, que les ouvriers-ères décident de protester contre la cherté de la vie et d’exiger de meilleures conditions de travail, pour porter le Css à fournir son rapport, en date du 18 février 2022.

15. Dans ce rapport, le Css a proposé d’ajouter cent-cinquante (150.00) gourdes ou moins sur le salaire minimum, selon le segment concerné. Le même jour, une rencontre a été réalisée entre des syndicalistes et le premier ministre de facto Ariel HENRY, au cours de laquelle, il a été conclu d’ajouter cinq cents (500.00) au salaire minimum actuel, d’octroyer des avantages sociaux aux ouvriers-ères, par exemple en prenant en charge le transport et en rendant effective leur couverture d’assurance-santé. Quelques heures plus tard, une autre réunion s’est tenue avec le secteur
patronal, à la suite de laquelle l’ajustement salarial minimal a été révisé à deux cents (200.00) gourdes.

16. Enfin, le 20 février 2022, en conseil des ministres, il a été décidé d’ajouter cent-quatre-vingt-cinq (185) gourdes au salaire en cours, portant à six-cent-quatre-vingt-cinq (685.00) gourdes le salaire minimum des ouvriers-ères des industries tournées vers la réexportation. Il a aussi été décidé de leur octroyer des avantages et de réaliser une nouvelle révision salariale en septembre 2022.

IV. Commentaires et recommandations

17. Le Rnddh souligne à l’attention de tous-tes que la Loi du 6 octobre 2009 exige du Css une analyse de la situation socioéconomique du pays, chaque année, pour la soumission d’un rapport, argumenté sur la base du coût de la vie et de l’inflation, proposant ou non la révision du salaire minimum. Force est de constater que ce travail n’est jamais réalisé par le Css, puisqu’à chaque fois, c’est la classe ouvrière qui prend les rues pour exiger une amélioration de ses conditions de travail.

18. Le Rnddh estime que le Css doit s’atteler à prendre en compte les intérêts de la classe ouvrière plutôt que de protéger les patrons, comme il semble vouloir le faire, contrairement aux dispositions de l’article 3 de la Convention # 131 de l’Organisation internationale du travail (Oit) sur la fixation des salaires minima, qui dispose que « les éléments à prendre en considération, pour déterminer le niveau des salaires minima, devront, autant qu’il sera possible et approprié, compte tenu de la pratique et des conditions nationales, comprendre : les besoins des travailleurs et de leur famille, eu égard au niveau général des salaires dans le pays, au coût de la vie, aux prestations de sécurité sociale et aux nivaux de vie comparés d’autres groupes sociaux ... ».

19. Il convient aussi de rappeler que, lorsqu’en décembre 2021, les autorités étatiques avaient décidé d’augmenter les prix des produits pétroliers, elles s’étaient aussi engagées à adopter un ensemble de mesures d’accompagnement. Ces promesses n’ont jamais été tenues.

20. Sur la base de ces considérations, le Rnddh estime que les revendications de la classe ouvrière, qui exige mille cinq cents (1,500.00) gourdes de salaire minimum, sont justes.

21. Parallèlement, le Rnddh souligne à l’attention de tous-tes que la liberté d’expression constitue une liberté fondamentale. Elle ne souffre d’aucun interdit, toutes les fois qu’elle est manifestée pacifiquement, tel que cela est stipulé dans la Constitution haïtienne en vigueur et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par Haïti.

22. Aussi, le Rnddh juge-t-il inconcevable que des policiers se soient mis du côté des patrons, pour opprimer une population en proie à une pauvreté extrême, réclamant un salaire juste et équitable pour un travail aux horaires astreignants, qu’elle fournit quotidiennement. L’organisation croit que l’institution policière gagnerait de préférence à s’attaquer aux grands problèmes d’insécurité, qui ravagent le pays, comme les assassinats, les enlèvements suivis de séquestration contre rançon ainsi que la perte du contrôle du territoire haïtien au profit des gangs armés.

23. Fort de tout ce qui précède, le Rnddh recommande aux autorités concernées
 :
• D’augmenter substantiellement le salaire des ouvriers-ères, en tenant compte du coût de la vie, au lieu de prendre des décisions qui risquent d’envenimer la situation déjà chaotique du pays ;

• De passer les instructions en vue de porter les agents de la Pnh à mettre fin immédiatement aux répressions des manifestations pacifiques des ouvriers-ères ;

• De passer les instructions pour que l’Inspection Générale de la Pnh soit saisie des brutalités policières, enregistrées lors des dernières manifestations et que sanctions soient prises à l’encontre des policiers fautifs.

Port-au-Prince, le 21 février 2022